Retour sur un conflit qui laissera des traces profondes
Un violent conflit a opposé la FILPAC-CGT à la direction du journal L’Alsace, dans la semaine du 17 au 21 novembre. Lors de ce conflit, Michel Lucas, patron du Crédit Mutuel, a pris une décision d’une extrême gravité, en imposant le lock-out pour mettre le mouvement de grève en échec. Le journal daté du mardi 25 novembre, publié dans une édition unique, a été imprimé dans un autre centre d’impression. Retour en arrière sur un conflit qui laissera des traces profondes et dont il faut savoir tirer les conséquences.
LES RAISONS D’UN CONFLIT
Les négociations salariales annuelles ont eu lieu au mois de mai. Ces négociations se sont soldées par une augmentation de 0,8%, applicable au 1er juin, pour tous les salariés. Un résultat considéré comme notoirement insuffisant par les salariés qui réclament 1,5% d’augmentation. (…) Face au conflit qui s’annonçait, la direction prend un engagement formel d’une reprise des négociations fin septembre, en garantissant une amélioration.
Après des semaines de tergiversations de la direction, la FILPAC-CGT la rencontre le 5 novembre. Qui explique que, d’une part, tenant compte de la situation économique, elle était en incapacité de répondre aux revendications, d’autre part, qu’elle ne s’était jamais engagée à une reprise des négociations.
C’est ainsi que, suite aux assemblées générales du personnel des 18 et 19 novembre, une grève de 24 h, le 20 novembre, a été votée à une écrasante majorité. Les arrêts de travail se sont soldées par deux non parutions successives, sur les datés du 20 et 21. Pendant toute cette période, la direction a refusé d’engager toute discussion avec la FILPAC-CGT. Face à cette attitude, la reconduction de la grève devenait inévitable, et les salariés en poste de nuit (impression, expédition, maintenance industrielle et prépresse CTP) déterminés à reconduire le mouvement aussi longtemps que nécessaire.
UNE FRACTURE AU SEIN DES SALARIES
Les événements ont pris une nouvelle tournure le vendredi 21 novembre. En début d’après-midi, la direction intime à la rédaction un bouclage des pages à 16 h. Les autres syndicats (CFDT, SNJ et SNJ-CGT) appelle à une assemblée générale du personnel à 16 h. A la quasi unanimité, elle appelle les grévistes, considérés comme minoritaires, à cesser le mouvement et à reprendre le travail. Ils décident également de participer à l’assemblée générale du soir. Comme c’était prévisible, les salariés en grève réfutent ce diktat et décident de reconduire la grève. Consciente du risque de fracture entre les salariés, La FILPAC-CGT dénonce le chantage exercé par la direction sur le personnel de la rédaction et des services administratifs. Elle appelle à l’unité de tous les syndicats pour intervenir auprès de la direction. Cette proposition permet de sortir d’une situation bloquée : tous les salariés présents décident de faire le siège de la direction. Celle-ci nous demande 3 jours de réflexions pour confirmer. Le travail reprend.
IMPRIME EN ALLEMAGNE
Le lundi 24 novembre, jour du 70e anniversaire de notre journal, la direction demande à la rédaction de boucler les pages à 17 h 30. Sentant le vent tourner et tirant profit de la division syndicale, la direction invite le personnel à des réunions d’informations à 16 h et 22 h. Surprise ! Le grand patron du CIC-Crédit Mutuel, Michel Lucas arrive à L’Alsace. Dans l’après-midi, il présente aux salariés réunis, deux journaux différents datés du 22 novembre : l’un imprimé par nos équipes, l’autre imprimé ailleurs. Le soir, il annonce que le journal de demain serait tiré dans un autre centre d’impression, sous forme d’une édition unique. Le lock-out, déjà prémédité la semaine précédente, devenait effectif. La FILPAC-CGT a vigoureusement réagit en condamnant une telle pratique, interdite par la loi et remettant en cause le droit de grève. Nous informons un huissier de justice de la situation et, dans la nuit, nous diffusons très largement un tract qui aura un impact certain.
Le lendemain, lors du C.E., la FILPAC-CGT demande la publication d’un communiqué en Une du journal. Une demande accordée par le directeur de la rédaction. Dans la journée, France Bleu Alsace et Rue 89 nous accordent une interview. Michel Lucas tente de faire pression sur les responsables de la FILPAC-CGT, en réfutant le terme de lock-out, considéré comme une grave erreur qui ne resterait pas sans suite. Alors que la tension montait, et que nous réfléchissons à la riposte en cas de nouveau lock-out, nouveau coup de fil de Michel Lucas, en fin d’après-midi. Il nous informe de la reprise de l’impression du journal sur notre rotative et demande notre accord pour la publication d’un communiqué en Une. Dans la soirée, c’est le soulagement qui prédomine, et les salariés reprennent le travail.
TIRER TOUTES LES LEÇONS
Ce qui s’est passé à L’Alsace interpelle nécessairement tous les syndicats de notre secteur d’activité et, particulièrement, les journaux détenus par le Crédit Mutuel. Il s’agit de prendre conscience de la gravité de l’attaque, et de la capacité destructrice de Michel Lucas. Nous sortons d’un conflit qui se solde, au final, par aucun acquis. C’est une première. Mais ce ne doit surtout pas être une raison pour ne plus rien revendiquer du tout. Lucas est un patron de combat, n’hésitant pas à recourir à des pratiques scandaleuses et illégales pour casser une grève, maniant la menace et le chantage. De fait, il ne supporte pas que les salariés puissent exprimer des revendications et agir pour obtenir satisfaction. Nous réfléchissons aux suites à donner à cette affaire, avec le recours éventuel à la justice. Ce ne sera pas suffisant.
Il sera nécessaire, à l’échelle de tous les journaux détenus par le Crédit Mutuel, les salariés avec leurs syndicats devront :
- Ne pas accepter que de tels agissements se renouvellent. Ce qui est arrivé à L’Alsace peut arriver partout. La question de la riposte immédiate en cas de récidive appelle une seule réponse : la solidarité des travailleurs à l’échelle de tous les journaux.
- Renforcer les liens entre les différents syndicats car la direction du CIC-Crédit Mutuel est experte à opposer les salariés pour diviser et affaiblir toute personne qui voudrait contester ses décisions. Des menaces précises pèsent aujourd’hui sur des salariés qui ont rendu compte de l’attitude patronale sur les réseaux sociaux.
- Prendre contact avec les organisations syndicales des pays limitrophes (Belgique, Luxembourg, Allemagne, Suisse, Italie), afin de prévenir le pire. Déjà, un premier échange est intervenu avec le syndicat Verdi du Bade-Wurttemberg.
- Contester la dégradation des relations sociales. Nous déplorons tous l’absence de toute information sur le devenir de nos journaux, les perspectives d’avenir, la politique de développement. Il n’existe aucun espace de négociation permettant d’aborder l’évolution de l’emploi, des qualifications, l’organisation du travail. Notre tâche prioritaire consiste à construire une stratégie syndicale commune, avec des objectifs partagés, permettant de créer un large rassemblement des salariés et le rapport de force nécessaire face à l’actionnaire. Nous avons, à de multiples reprises, insisté sur cette nécessité, qui relève de l’urgence absolue. Il convient de passer aux tâches pratiques.
*Lock-out : il s’agit d’une action patronale consistant à fermé provisoirement une entreprise dont les salariés ont décidé d’une action revendicative. En France, comme dans la plupart des pays européens, cette pratique est interdite et a conduit à des multiples co