Parfois, des événements dans l’actualité s’emboîtent comme des matriochka. Alors que le gratin politique et économique du monde de la finance se retrouve à Davos, Oxfam sort opportunément son étude sur les inégalités. Qui fait grand bruit. Evidemment, cela déchaîne une contre-offensive pour contester les chiffres. Pourtant les tendances relevées par Oxfam sont identiques à celles du FMI ou de la Banque Mondiale. Et puis, dimanche 25 janvier, la Grèce va voter. Syriza, le parti de gauche, est en tête des sondages. Et si les Grecs veulent que la politique reprenne le dessus sur le libéralisme à tout crin ? La panique commence à s’installer chez les dogmatiques de la rigueur…
Le capitalisme mondial s’installe à Davos. Le Forum économique mondial, l’amphitryon de ce raout, a pour devise : « Soucieuse d’améliorer l’état du monde ». Dans un des thèmes, les quelque 2.500 participants (un record !) plancheront sur « Société et la sécurité » qui devrait, selon le programme officiel, « explorer comment la richesse et les inégalités de revenus excessives peuvent être abordées tout en stimulant la croissance et l’innovation et comment les sociétés peuvent éviter le cercle vicieux de la méfiance, de la polarisation et de troubles ».
Car s’ils ont atteint leur but de faire exploser les profits financiers, ils sont bien conscients que les populations, dans leur grande majorité, ont du mal à comprendre que, au nom d’une crise économique, leurs dirigeants politiques et économiques leur demandent des sacrifices mais en exonèrent les plus riches.
80 personnes possèdent autant que 3,5 milliards d’individus !
Fort opportunément, Oxfam (initialement Oxford Committee for Famine Relief, créé en Angleterre en 1942, est une confédération composée de 17 organisations indépendantes qui agissent « contre les injustices et la pauvreté » en collaboration avec des partenaires locaux dans plus de 90 pays) rend public un rapport, corroboré par des études de l’OCDE, démontrant qu’en 2014 1% des plus riches possèdent 48% des richesses mondiales, laissant 52% aux 99% restants ! En quatre ans, les 80 personnes les plus riches au monde ont augmenté leur fortune de 600 milliards de dollars pour atteindre 1900 milliards de dollars. Les richesses détenues par ces 80 individus sont équivalentes à celles détenues par les 50% les moins lotis de la population mondiale. Autrement dit, 3,5 milliards de personnes se partagent les mêmes richesses que ces 80 personnes extrêmement fortunées.
La crise de l’Etat régulateur : l’exemple de la Suède
Les différentes crises économiques qui se sont succédées dans le monde depuis 1990 n’ont fait qu’amplifier le phénomène et les inégalités se sont accrues. Pourtant, les analyses de ce phénomène, de ses conséquences sociales dramatiques, les avertissements des syndicats et forces progressistes dénonçant cette dérive, n’ont pas manqué. Sans pour autant changer le cours des choses, bien au contraire. L’exemple suédois est intéressant à cet égard puisque le modèle scandinave était réputé pour son système de redistribution dans lequel l’Etat et la fiscalité jouaient un rôle majeur.
La montée des inégalités s’est faite en deux temps. Les salaires les plus élevés, ainsi que les revenus du capital, ont d’abord fortement augmenté au cours des années 1990, notamment à la faveur de la réforme fiscale de 1991. Puis, dans les années 2000, les incitations fiscales de la politique dite du « back to work » (retour à l’emploi) et le recentrage de l’État Providence, lequel s’est traduit par une diminution des prestations sociales (assurance chômage, indemnisation maladie…) avec à des conditions d’éligibilité plus strictes, ont créé un fossé grandissant, en terme de niveau de vie, entre les personnes intégrées au marché de l’emploi et celles qui en sont exclues. (« La forte progression des inégalités en Suède », Cyril Coulet, La Documentation française).
Cela ne marche pas, faisons la même chose !
Il s’avère que la fin du rôle de régulateur social de l’Etat conduit à la fin de grands pans du modèle scandinave et les résultats d’un quart de siècle d’une politique identique des partis bourgeois et sociaux-démocrates sont désastreux pour 99% de la population mais très favorable au 1% restant.
C’est cette politique économique et sociale qui est préconisée comme un dogme par l’Union européenne et qui s’applique avec le succès que l’on connaît entre autres en Grèce.
Le projet de loi Macron, actuellement en discussion à l’Assemblée nationale, est de la même veine. Les effets pourront même être pires en France. Le dialogue social en Scandinavie est une réalité entre patronat et syndicat sans que l’Etat ait à s’en mêler. Grâce à cela, certains acquis du modèle suédois ont pu subsister pour une partie de la population, mais surtout pour les salariés qui ont en emploi stable.
Mais le modèle social français n’est pas basé sur cette culture. Le rôle de la loi est essentiel chez nous pour encadrer des négociations patronat-syndicats. La faible implantation des syndicats (7,7% de syndiqués en France, 67,7% en Suède en 2013) et leur absence quasi-totale dans les petites entreprises ou dans l’artisanat, ne facilite pas la négociation de contreparties en cas de défaillance du code du travail. Ainsi, ne pas fixer un taux de majoration du travail du dimanche dans la loi et laisser cela aux bons soins des négociations de branche ou d’entreprise, est une véritable escroquerie pour les salariés car le rapport de force ne jouera pas en leur faveur dans 90% des entreprises pour imposer une majoration convenable.
Oxfam : « faire travailler les Etats… »
Dans son rapport, Oxfam fait plusieurs préconisations pour réduire les inégalités. La première est un véritable appel à changer les politiques actuelles pourtant présentées par la droite et la social-démocratie comme la seule possible. « Faire travailler les Etats pour les citoyens et lutter contre les inégalités extrêmes » : ce n’est pas un programme révolutionnaire et pourtant il détonne par les temps qui courent. Il en va de même pour les huit autres préconisations qui sont un appel à restaurer le rôle régulateur des Etats et redonne à la politique une place majeure dans la réduction des inégalités.
Ce ne sont pas des dangereux révolutionnaires qui considèrent que les règles du marché ne réguleront jamais la société, qu’elles ne bénéficieront qu’à une extrême minorité de la population. A l’oublier, des partis aux pouvoirs ont mis la politique au service des 1%, désespérant ainsi les 99% qui ne leur font plus confiance.
Le sens d’une victoire de Syriza en Grèce
C’est pourquoi une victoire de Syriza aux élections en Grèce est souhaitable. Pour les Grecs d’abord qui ont le plus souffert de cette politique libérale. Mais aussi pour les 99% du monde entier. Que le FMI ou la Banque Mondiale, l’Union européenne soient scandaleusement intervenus dans les élections en menaçant les Grecs de sanctions si jamais ils votaient pour Syriza, est l’hommage du vice à la vertu.
Que la politique reprenne ses droits et organise la résistance aux appétits des marchés financiers soulèverait un immense espoir auprès de tous ceux qui se sentent aujourd’hui sans défense et sans moyens pour faire valeur leur dignité.
Michel Muller