Par­fois, des évé­ne­ments dans l’actualité s’emboîtent comme des matrio­ch­ka. Alors que le gra­tin poli­tique et éco­no­mique du monde de la finance se retrouve à Davos, Oxfam sort oppor­tu­né­ment son étude sur les inéga­li­tés. Qui fait grand bruit. Evi­dem­ment, cela déchaîne une contre-offen­sive pour contes­ter les chiffres. Pour­tant les ten­dances rele­vées par Oxfam sont iden­tiques à celles du FMI ou de la Banque Mon­diale. Et puis, dimanche 25 jan­vier, la Grèce va voter. Syri­za, le par­ti de gauche, est en tête des son­dages. Et si les Grecs veulent que la poli­tique reprenne le des­sus sur le libé­ra­lisme à tout crin ? La panique com­mence à s’installer chez les dog­ma­tiques de la rigueur…

Extrait du rapport Oxfam Part des richesses mondiales des 1 % les plus riches et des 99 % restants ; les lignes en pointillés sont une projection de la tendance 2010–2014. D'ici 2016, les 1 % les plus riches détiendront plus de 50 % de toutes les richesses dans le monde.

Extrait du rap­port Oxfam . Part des richesses mon­diales des 1 % les plus riches et des 99 % res­tants ; les lignes en poin­tillés sont une pro­jec­tion de la ten­dance 2010–2014. D’i­ci 2016, les 1 % les plus riches détien­dront plus de 50 % de toutes les richesses dans le monde.

Le capi­ta­lisme mon­dial s’installe à Davos. Le Forum éco­no­mique mon­dial, l’amphitryon de ce raout, a pour devise : « Sou­cieuse d’a­mé­lio­rer l’é­tat du monde ». Dans un des thèmes, les quelque 2.500 par­ti­ci­pants (un record !) plan­che­ront sur « Socié­té et la sécu­ri­té » qui devrait, selon le pro­gramme offi­ciel,  « explo­rer com­ment la richesse et les inéga­li­tés de reve­nus exces­sives peuvent être abor­dées tout en sti­mu­lant la crois­sance et l’innovation et com­ment les socié­tés peuvent évi­ter le cercle vicieux de la méfiance, de la pola­ri­sa­tion et de troubles ».

 Car s’ils ont atteint leur but de faire explo­ser les pro­fits finan­ciers, ils sont bien conscients que les popu­la­tions, dans leur grande majo­ri­té, ont du mal à com­prendre que, au nom d’une crise éco­no­mique, leurs diri­geants poli­tiques et éco­no­miques leur demandent des sacri­fices mais en exo­nèrent les plus riches.

 80 per­sonnes pos­sèdent autant que 3,5 mil­liards d’individus !

 Fort oppor­tu­né­ment, Oxfam (ini­tia­le­ment Oxford Com­mit­tee for Famine Relief, créé en Angle­terre en 1942,  est une confé­dé­ra­tion com­po­sée de 17 orga­ni­sa­tions indé­pen­dantes qui agissent « contre les injus­tices et la pau­vre­té » en col­la­bo­ra­tion avec des par­te­naires locaux dans plus de 90 pays) rend public un rap­port, cor­ro­bo­ré par des études de l’OCDE, démon­trant qu’en 2014 1% des plus riches pos­sèdent 48% des richesses mon­diales, lais­sant 52% aux 99% res­tants ! En quatre ans, les 80 per­sonnes les plus riches au monde ont aug­men­té leur for­tune de 600 mil­liards de dol­lars pour atteindre 1900 mil­liards de dol­lars. Les richesses déte­nues par ces 80 indi­vi­dus sont équi­va­lentes à celles déte­nues par les 50% les moins lotis de la popu­la­tion mon­diale. Autre­ment dit, 3,5 mil­liards de per­sonnes se par­tagent les mêmes richesses que ces 80 per­sonnes extrê­me­ment fortunées.

 La crise de l’Etat régu­la­teur : l’exemple de la Suède

 Les dif­fé­rentes crises éco­no­miques qui se sont suc­cé­dées dans le monde depuis 1990 n’ont fait qu’amplifier le phé­no­mène et les inéga­li­tés se sont accrues. Pour­tant, les ana­lyses de ce phé­no­mène, de ses consé­quences sociales dra­ma­tiques, les aver­tis­se­ments des syn­di­cats et forces pro­gres­sistes dénon­çant cette dérive, n’ont pas man­qué. Sans pour autant chan­ger le cours des choses, bien au contraire. L’exemple sué­dois est inté­res­sant à cet égard puisque le modèle scan­di­nave était répu­té pour son sys­tème de redis­tri­bu­tion dans lequel l’Etat et la fis­ca­li­té jouaient un rôle majeur.

 La mon­tée des inéga­li­tés s’est faite en deux temps. Les salaires les plus éle­vés, ain­si que les reve­nus du capi­tal, ont d’abord for­te­ment aug­men­té au cours des années 1990, notam­ment à la faveur de la réforme fis­cale de 1991. Puis, dans les années 2000, les inci­ta­tions fis­cales de la poli­tique dite du « back to work » (retour à l’emploi) et le recen­trage de l’État Pro­vi­dence, lequel s’est tra­duit par une dimi­nu­tion des pres­ta­tions sociales (assu­rance chô­mage, indem­ni­sa­tion mala­die…) avec à des condi­tions d’éligibilité plus strictes, ont créé un fos­sé gran­dis­sant, en terme de niveau de vie, entre les per­sonnes inté­grées au mar­ché de l’emploi et celles qui en sont exclues. (« La forte pro­gres­sion des inéga­li­tés en Suède », Cyril Cou­let, La Docu­men­ta­tion française).

 Cela ne marche pas, fai­sons la même chose !

 Il s’avère que la fin du rôle de régu­la­teur social de l’Etat conduit à la fin de grands pans du modèle scan­di­nave et les résul­tats d’un quart de siècle d’une poli­tique iden­tique des par­tis bour­geois et sociaux-démo­crates sont désas­treux pour 99% de la popu­la­tion mais très favo­rable au 1% restant.

C’est cette poli­tique éco­no­mique et sociale qui est pré­co­ni­sée comme un dogme par l’Union euro­péenne et qui s’applique avec le suc­cès que l’on connaît entre autres en Grèce.

Le pro­jet de loi Macron, actuel­le­ment en dis­cus­sion à l’Assemblée natio­nale, est de la même veine. Les effets pour­ront même être pires en France. Le dia­logue social en Scan­di­na­vie est une réa­li­té entre patro­nat et syn­di­cat sans que l’Etat ait à s’en mêler. Grâce à cela, cer­tains acquis du modèle sué­dois ont pu sub­sis­ter pour une par­tie de la popu­la­tion, mais sur­tout pour  les sala­riés qui ont en emploi stable.

Mais le modèle social fran­çais n’est pas basé sur cette culture. Le rôle de la loi est essen­tiel chez nous pour enca­drer des négo­cia­tions patro­nat-syn­di­cats. La faible implan­ta­tion des syn­di­cats (7,7% de syn­di­qués en France, 67,7% en Suède en 2013) et leur absence qua­si-totale dans les petites entre­prises ou dans l’artisanat, ne faci­lite pas la négo­cia­tion de contre­par­ties en cas de défaillance du code du tra­vail. Ain­si, ne pas fixer un taux de majo­ra­tion du tra­vail du dimanche dans la loi et lais­ser cela aux bons soins des négo­cia­tions de branche ou d’entreprise, est une véri­table escro­que­rie pour les sala­riés car le rap­port de force ne joue­ra pas en leur faveur dans 90% des entre­prises pour impo­ser une majo­ra­tion convenable.

Oxfam : « faire tra­vailler les Etats… »

Dans son rap­port, Oxfam fait plu­sieurs pré­co­ni­sa­tions pour réduire les inéga­li­tés. La pre­mière est un véri­table appel à chan­ger les poli­tiques actuelles pour­tant pré­sen­tées par la droite et la social-démo­cra­tie comme la seule pos­sible. « Faire tra­vailler les Etats pour les citoyens et lut­ter contre les inéga­li­tés extrêmes » : ce n’est pas un pro­gramme révo­lu­tion­naire et pour­tant il détonne par les temps qui courent. Il en va de même pour les huit autres pré­co­ni­sa­tions qui sont un appel à res­tau­rer le rôle régu­la­teur des Etats et redonne à la poli­tique une place majeure dans la réduc­tion des inégalités.

 Ce ne sont pas des dan­ge­reux révo­lu­tion­naires qui consi­dèrent que les règles du mar­ché ne régu­le­ront jamais la socié­té, qu’elles ne béné­fi­cie­ront qu’à une extrême mino­ri­té de la popu­la­tion. A l’oublier, des par­tis aux pou­voirs ont mis la poli­tique au ser­vice des 1%, déses­pé­rant ain­si les 99% qui ne leur font plus confiance.

 Le sens d’une vic­toire de Syri­za en Grèce

 C’est pour­quoi une vic­toire de Syri­za aux élec­tions en Grèce est sou­hai­table. Pour les Grecs d’abord qui ont le plus souf­fert de cette poli­tique libé­rale. Mais aus­si pour les 99% du monde entier. Que le FMI ou la Banque Mon­diale, l’Union euro­péenne soient scan­da­leu­se­ment inter­ve­nus dans les élec­tions en mena­çant les Grecs de sanc­tions si jamais ils votaient pour Syri­za, est l’hommage du vice à la vertu.

 Que la poli­tique reprenne ses droits et orga­nise la résis­tance aux appé­tits des mar­chés finan­ciers sou­lè­ve­rait un immense espoir auprès de tous ceux qui se sentent aujourd’hui sans défense et sans moyens pour faire valeur leur dignité.

 Michel Muller

 http://www.oxfam.org/fr

http://stats.oecd.org/Index.aspx?DataSetCode=UN_DEN&Lang=fr

http://www.ladocumentationfrancaise.fr/pages-europe/d000679-la-forte-progression-des-inegalites-en-suede-par-cyril-coulet/article