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Du 29 sep­tembre au 2 octobre 2015, Paris sera la capi­tale du syn­di­ca­lisme euro­péen. En effet, la Confé­dé­ra­tion euro­péenne des Syn­di­cats, orga­ni­sa­tion qui regroupe l’ensemble des syn­di­cats de notre conti­nent, tient son congrès en France. Une première.

En cette période où les conquêtes sociales euro­péennes sous leurs dif­fé­rentes formes natio­nales sont sacri­fiées sur l’autel du libé­ra­lisme, un congrès de ce type devrait mon­trer aux sala­riés de toute l’Europe com­ment les syn­di­cats comptent affron­ter cette situa­tion de déré­gle­men­ta­tion sociale géné­ra­li­sée qui sape les fon­da­tions sur les­quels ils ont été construits par des géné­ra­tions de travailleurs.

Et sur­tout indi­quer com­ment la CES pour­rait mobi­li­ser les 60 mil­lions des sala­riés qu’elle pré­tend repré­sen­ter, regrou­pés dans 90 orga­ni­sa­tions dans 39 pays.

Si la situa­tion actuelle est dif­fi­cile pour les sala­riés de tous les pays euro­péens, elle devrait être pro­pice pour une orga­ni­sa­tion syn­di­cale qui a gra­vé le pro­grès social dans le marbre de ses sta­tuts. On pen­se­rait dès lors que la situa­tion en Grèce devrait être une sorte de fil rouge du congrès de Paris puisqu’on y retrouve tous les aspects de  la crise de manière exa­cer­bée : remises en cause du modèle social, liqui­da­tion du ser­vice public, anéan­tis­se­ment de la pro­tec­tion sociale et des retraites, baisse des salaires, hausse (mas­sive ! il dépasse 50%) du chô­mage par­ti­cu­liè­re­ment des jeunes, déni de démo­cra­tie à l’initiative des ins­tances euro­péennes et de ses prin­ci­paux dirigeants…

Tous ces points figurent dans l’analyse que la CES fait de la situa­tion en Europe. Mais pas une ligne dans le pro­gramme du congrès n’est consa­crée à la Grèce.

DE MOLLES PAROLES…

On peut espé­rer qu’une motion d’urgence venant d’un syn­di­cat un peu plus offen­sif que d’autres donne l’occasion au congrès de débattre de ce que vivent les tra­vailleurs grecs et deman­dant qu’une soli­da­ri­té plus concrète soit envi­sa­gée avec les syn­di­cats hel­lènes. Dans une inté­res­sante ana­lyse de la Grèce inti­tu­lée « Quelques pre­miers ensei­gne­ments de la crise grecque », la Fédé­ra­tion des Finances CGT conclut avec espoir : « Il y a urgence à ouvrir ce débat. Le congrès de la CES (Confé­dé­ra­tion euro­péenne des syn­di­cats) cet automne à Paris pour­rait et devrait en être l’occasion. »

Il fau­dra que la CGT mette le paquet car, pour l’instant, la CES ne s’est fen­due que de molles décla­ra­tions : un com­mu­ni­qué en neuf lignes inti­tu­lé «Catas­trophe évi­tée à un prix incroya­ble­ment éle­vé » paru le 13 juillet et une lettre ouverte envoyée le 7 juillet aux diri­geants euro­péens dans laquelle figurent les exi­gences « révo­lu­tion­naires » que voi­là : « Nous vous appe­lons à reprendre les négo­cia­tions en bonne foi, avec l’objectif de trou­ver un accord socia­le­ment juste et éco­no­mi­que­ment sou­te­nable avec le gou­ver­ne­ment grec ». Il paraît que Jean-Claude Jun­cker en tremble encore…

DU BEAU MONDE A LA MUTUALITE…

D’ailleurs, quelques-uns des des­ti­na­taires de la lettre-ouverte pour­ront s’expliquer à la tri­bune du congrès car ils sont les invi­tés de la CES : Fran­çois Hol­lande, Jean-Claude Jun­cker, Mar­tin Schulz, Mar­kus Beyer, le direc­teur géné­ral de Busi­ness Europe (les entre­prises euro­péennes), Marianne Thys­sen, la Com­mis­saire euro­péenne à l’emploi, aux affaires sociales et à l’insertion, Nico­las Schmitt, le ministre luxem­bour­geois du tra­vail… Certes, Tho­mas Piket­ty sera là pour dénon­cer la mau­vaise redis­tri­bu­tion et appe­ler de ses vœux un capi­ta­lisme « gentil »…

Certes, le docu­ment qui pré­sente les thèmes de dis­cus­sion relève des ana­lyses et des reven­di­ca­tions per­ti­nentes mais le manque d’initiatives pour impo­ser ces choix dif­fé­rents ramène cela à une lita­nie de bons sen­ti­ments et de vains espoirs. Si encore on pou­vait espé­rer que le congrès demande des comptes à ces invi­tés qui ont tous mis la main à la pâte pour faire ava­ler la potion de l’austérité à Alexis Tsi­pras, on pour­rait y trou­ver quelque inté­rêt. Mais il y a peu d’espoirs : on lais­se­ra évi­dem­ment  les quelques contes­ta­taires dans la salle s’exprimer, il faut bien un peu de démo­cra­tie. Le débat, l’échange d’idées, eux, attendront.

LA CES CONFORME A CE QUE VEULENT LES CONFEDERATIONS ADHERENTES

Il serait injuste d’orienter les seules cri­tiques contre la Confé­dé­ra­tion euro­péenne des syn­di­cats et de bro­car­der les diri­geants. Ber­na­dette Segol a essayé, durant son man­dat, de faire évo­luer l’organisation bien plus que son pré­dé­ces­seur bri­tan­nique John Monks, qui n’a jamais émis la moindre cri­tique à l’égard de la Com­mis­sion euro­péenne. L’actuelle secré­taire géné­rale de la CES va quit­ter son poste, rem­pla­cée par un repré­sen­tant ita­lien du syn­di­cat IUL ita­lien. La ques­tion reste ouverte si celui-ci a la volon­té de conti­nuer à faire évo­luer la CES vers un vrai syndicat.

Car il ne faut jamais oublier que le bud­get de la Confé­dé­ra­tion euro­péenne des syn­di­cats est assu­ré à 80% par des sub­ven­tions de la Com­mis­sion euro­péenne sur pré­sen­ta­tion de demandes qui doivent cor­res­pondre à l’agenda euro­péen. Ber­na­dette Ségol a ten­té de des­ser­rer ce car­can mais pour y arri­ver, il lui fal­lait l’appui des confé­dé­ra­tions euro­péennes adhé­rentes. Et c’est là que le bât blesse.

Pre­mier obs­tacle : les adhé­rents de la CES sont avant tout des orga­ni­sa­tions natio­nales qui pri­vi­lé­gient l’activité au niveau de leur pays. Aujourd’hui encore, les prin­ci­pales orga­ni­sa­tions scan­di­naves refusent un dia­logue social euro­péen digne de ce nom. Car actuel­le­ment, le dis­po­si­tif en place inter­dit que l’on y parle de salaires, de temps de tra­vail, voire de condi­tions de travail !

Les décla­ra­tions de soli­da­ri­té sont de pure forme et ne débouchent que très rare­ment sur des mobi­li­sa­tions concrètes. Evi­dem­ment, les tra­di­tions et les struc­tures syn­di­cales, sont pro­fon­dé­ment dif­fé­rentes entre le nord et le sud de l’Europe. L’arrivée de syn­di­cats des pays de l’est n’a pas appor­té plus de liant entre les adhé­rents de la CES, bien au contraire.

Un exemple par­mi d’autres : des cher­cheurs, entre autres un éco­no­miste alle­mand Klaus Busch, ont pro­po­sé qu’un salaire mini­mum euro­péen soit mis en place, ce salaire étant cal­cu­lé pour chaque pays en tenant compte de son PIB. Jamais la CES n’a pu ouvrir le débat publi­que­ment sur cette ques­tion pour­tant essen­tielle à l’époque où les sala­riés euro­péens sont mis en concur­rence pour faire bais­ser le coût du travail.

Deuxième obs­tacle : aucune orga­ni­sa­tion adhé­rente à la CES ne veut aug­men­ter les coti­sa­tions à ver­ser à l’organisation euro­péenne : peu de chances que celle-ci puisse se déta­cher de la Com­mis­sion dans ce cas. Pour­tant, serait-il ridi­cule d’envisager que chaque adhé­rent d’un syn­di­cat euro­péen verse une part de sa coti­sa­tion direc­te­ment à la Confé­dé­ra­tion euro­péenne des syndicats ?

UN MOUVEMENT SOCIAL EUROPEEN SANS SYNDICAT ?

Le der­nier congrès de la CES avait eu lieu en 2011 à… Athènes. Dans une ambiance hou­leuse comme on peut l’imaginer dans laquelle la CES était assi­mi­lée à la Com­mis­sion euro­péenne et qui n’a pas pu modi­fier cette per­cep­tion du peuple grec. Des affiches : « ETUC (CES en anglais) go home » fleu­ris­saient partout.

Et pour­tant, quatre ans après, le même scé­na­rio se repro­duit : un congrès conve­nu, les mêmes invi­tés, des textes qua­si­ment iden­tiques… Comme si en quatre ans, rien ne se serait pas­sé. Le mou­ve­ment des « indi­gnés » a été tota­le­ment occul­té par la CES car très sou­vent, les syn­di­cats natio­naux, confron­tés à ces mou­ve­ments sociaux, les trai­taient avec mépris ou condes­cen­dance. Pour avoir par­ti­ci­pé à des mani­fes­ta­tions madri­lènes, j’ai pu mesu­rer que les syn­di­cats com­men­çaient aus­si à subir le sort des par­tis poli­tiques en per­dant la confiance des sala­riés, sur­tout les plus combattifs.

Peut-on ima­gi­ner l’avenir des syn­di­cats fonc­tion­nant comme des ins­ti­tu­tions char­gées d’assumer le trai­te­ment social de la rigueur et de l’austérité, cher­chant des com­pro­mis ban­caux pour faire ava­ler des mesures de recul social, voire sociétal ?

A ce jeu là, les syn­di­cats per­dront ce qui est leur bien le plus pré­cieux : les adhérents…

Pour­tant, si un mou­ve­ment social peut se déclen­cher sur la base de la colère, il a besoin d’organisation pour per­du­rer et abou­tir. De nom­breuses asso­cia­tions, groupes se consti­tuent pour orga­ni­ser les résis­tances et ils ont créer  Syri­za ou Pode­mos. Mais on ne peut oublier que d’autres sont à l’affût avec des inten­tions moins avouables.

Serait-il pos­sible qu’un congrès de la CES puisse igno­rer ces dan­gers qui guette l’Europe actuel­le­ment ? Nous le ver­rons bien le 2 octobre prochain.

Michel Mul­ler

https://www.etuc.org/sites/www.etuc.org/files/other/files/congress_agenda_version_34_20150714_fr.pdf