Phi­lippe Wanes­son s’investit inlas­sa­ble­ment aux côtés des mil­liers et mil­liers de réfu­giés pré­sents dans la ville. Il tient depuis des années la chro­nique des exi­lés, des poli­tiques et des soli­da­ri­tés en la matière.

Lun­di 31 août, le pre­mier ministre Manuel Valls vient à Calais, accom­pa­gné du ministre de l’intérieur et deux com­mis­saires européens.

Une visite de ministre est un exer­cice de com­mu­ni­ca­tion, mon­trer qu’on fait quelque chose alors qu’on ne répète que les mêmes recettes, et à défaut d’être cru au moins rendre d’autres dis­cours moins audibles et la réa­li­té moins visible.
Face à ce jeu de masques, un groupe de Calai­siennes, de Calai­siens et d’ami-e‑s venu-e‑s d’ailleurs pro­pose l’authentique dis­cours de Manuel Valls, celui qu’il devrait pro­non­cer, ain­si que le pro­gramme qu’il devrait suivre.

 

Mes chères conci­toyennes, mes chers concitoyens,

Je suis venu à Calais aujourd’­hui pour prendre acte de l’é­chec des poli­tiques menées jus­qu’i­ci. Elles mettent dans l’im­passe non seule­ment les exi­lé-e‑s pré­sent-e‑s sur ce ter­ri­toire, mais aus­si les habi­tant-e‑s de ce ter­ri­toire, ain­si que la France et le Royaume-uni. Il est temps de chan­ger de cap.

J’ai lu avec hor­reur la décla­ra­tion com­mune signée ici même le 20 août par Mme The­re­sa May et M. Ber­nard Caze­neuve. J’ai du reste envoyé celui-ci sans délais régler la cir­cu­la­tion des pin­gouins en Terre Adélie* .

Ce nou­veau cap, je le décli­ne­rai selon trois axes :

  • mettre en place en France une poli­tique d’hospitalité,
  • fon­der la coopé­ra­tion fran­co-bri­tan­nique sur d’autres bases,
  • agir pour un chan­ge­ment des poli­tiques européennes.

Pour ce qui est de la France :

  • le pays assu­me­ra sa part de soli­da­ri­té et offri­ra aux réfu­gié-e‑s l’ac­cueil qu’ils et elles sont en droit d’at­tendre. L’OFPRA sera déga­gé de la tutelle du Minis­tère de l’in­té­rieur et son indé­pen­dance sera res­tau­rée de manière à ce qu’il exa­mine les demandes d’a­sile avec la bien­veillance néces­saire. Les deman­deur-se‑s d’a­sile ne seront plus consi­dé­ré-e‑s comme des sus­pects de fraude, mais comme des per­sonnes ayant voca­tion à recons­truire leur vie en France. Nous met­trons en place des condi­tions d’ac­cueil au moins égales aux exi­gences de la légis­la­tion européenne.
  • le gou­ver­ne­ment met­tra en place avec les conseils géné­raux une poli­tique per­met­tant l’ac­cueil et la pro­tec­tion de tous les mineurs iso­lés étran­gers pré­sents sur le ter­ri­toire, quel que soit leur pro­jet migra­toire. Des solu­tions inno­vantes seront mises en place en direc­tion des mineurs en tran­sit. – nous enga­ge­rons les moyens finan­ciers néces­saires pour res­tau­rer l’ac­cueil incon­di­tion­nel de toutes les per­sonnes à la rue, quelle que soit leur natio­na­li­té et leur situa­tion administrative.
  • Concer­nant plus par­ti­cu­liè­re­ment le Calai­sis, nous nous enga­ge­rons dans la réno­va­tion éco­lo­gique du bâti et du loge­ment, pour mieux loger les Calai­sien-ne‑s et résor­ber le mal-loge­ment, et pour créer des uni­tés d’ac­cueil à taille humaine pour les exi­lé-e‑s en tran­sit. – j’ai confié aux pré­fets du Nord et du Pas-de-Calais la mis­sion, en concer­ta­tion avec les exi­lé-e‑s et les asso­cia­tions, de résor­ber l’en­semble des squats et cam­pe­ments insa­lubres, et de mettre en place des solu­tions d’ac­cueil dignes.
  • J’ai don­né ins­truc­tion à l’en­semble des ser­vices de l’É­tat de don­ner au Défen­seur des droits tous les élé­ments dont il pour­ra avoir besoin pour éta­blir les vio­la­tions des droits qu’a pu occa­sion­ner la poli­tique contre les exi­lé-e‑s et en déter­mi­ner les res­pon­sa­bi­li­tés. Ceci inclut mes propres res­pon­sa­bi­li­tés en tant que ministre de l’in­té­rieur puis pre­mier ministre. À charge pour le Défen­seur des droits de sai­sir la jus­tice à chaque fois iden­ti­fie­ra des vio­la­tions de la loi.
  • Le nou­veau ministre de l’in­té­rieur, rem­pla­çant M. Caze­neuve, a don­né l’ordre que les effec­tifs poli­ciers affec­tés au har­cè­le­ment contre les exi­lé-e‑s et au blo­cage de leur sor­tie du pays, soient redé­ployés vers d’autres tâches et vers d’autres par­ties du territoire

 Pour ce qui est de la coopé­ra­tion fran­co-bri­tan­nique, mon action sera gui­dée par la fer­me­té et par l’amitié.

Fer­me­té : la France cesse dès aujourd’­hui d’être une répu­blique bana­nière, qui se fait payer pour accep­ter et per­pé­trer des vio­la­tions des droits de l’homme. Nous dénon­çons l’en­semble des dis­po­si­tions des accords fran­co-bri­tan­niques de ges­tion de la fron­tière qui violent ces droits.

Nous convain­crons le gou­ver­ne­ment bri­tan­nique de les rem­pla­cer par une poli­tique de coopé­ra­tion entre deux États voi­sins et membres de l’U­nion euro­péenne pour que les réfu­gié-e‑s puissent accé­der à une pro­tec­tion dans le pays où elles pensent avoir les meilleures chances d’in­té­gra­tion, où ils et elles sou­haitent rejoindre des proches, où ils et elles veulent construire leur avenir.

Je plai­de­rai pour une poli­tique d’ou­ver­ture à ces hommes et ces femmes qui partent en dia­spo­ra pour assu­rer leur ave­nir et celui de leurs proches, et qui sont une richesse tant pour leur pays d’ac­cueil que pour leur pays d’origine.

Dans le cadre des ins­ti­tu­tions euro­péennes, je tra­vaille­rai à une réorien­ta­tion des poli­tiques migra­toires, dans le res­pect des prin­cipes suivants :

  • l’U­nion euro­péenne doit assu­mer sa part dans l’ac­cueil des per­sonnes cher­chant refuge face aux crises du monde. Il est anor­mal et injuste que le Liban accueille un nombre de réfu­giés équi­valent à un tiers de sa popu­la­tion, et que la région la plus riche de la pla­nète en accueille si peu. Pour cela, l’U­nion euro­péenne doit per­mettre leur accès à son ter­ri­toire, et ouvrir ses fron­tières. Les réfu­giés doivent avoir le libre choix du pays où ils demandent l’asile.
  • Les migra­tions sont une res­pi­ra­tion néces­saire tant aux pays de départ qu’aux pays d’ac­cueil. L’U­nion euro­péenne doit faci­li­ter l’ins­tal­la­tion sur son sol des per­sonnes qui le sou­haitent et leur libre circulation.
  • L’U­nion euro­péenne doit contri­buer à ce que les per­sonnes sou­hai­tant res­ter dans leur pays puissent le faire. Elle doit mener une poli­tique basée sur la sou­ve­rai­ne­té ali­men­taire, la lutte contre le réchauf­fe­ment cli­ma­tique, la réso­lu­tion des conflits armés, la fin des dic­ta­tures, l’ac­cès des popu­la­tions aux res­sources de leur pays. Pour cela, elle doit réfré­ner les appé­tits des com­pa­gnies occidentales.
  • Par­mi les exi­lé-e‑s pré­sent-e‑s à Calais, il y a peut-être le père ou la mère d’une pre­mière ou d’un pre­mier ministre de France ou du Royaume-uni. Par res­pect pour elles et pour eux, je me dois d’en finir avec cette poli­tique de la honte qui a été menée jusqu’ici

* On trouve là un de ces traits d’hu­mour dont Manuel Valls nous a ren­du fami­lier : comme Ber­nard Caze­neuve a per­du le nord, il l’en­voie au Pôle sud, où il n’y a que des manchots.