Quelques éléments factuels sur les jugements eux-mêmes et un cadrage juridique permettant de continuer des actions de boycott pacifique en toute connaissance de cause.
Quels étaient les faits reprochés ?
Le 20 octobre 2015 et par deux arrêts, la Cour de cassation a confirmé la décision de la cour d’appel de Colmar condamnant à de fortes amendes et à des dommages et intérêts 12 militants ayant participé à des actions menées à Mulhouse en 2009 et 2010 dans le cadre de la campagne BDS (« Boycott, Désinvestissement, Sanctions »). Devant un magasin Carrefour, ils avaient distribué des tracts, porté des vêtements et des pancartes, lancé des slogans appelant au boycott des produits en provenance d’Israël, parmi d’autres slogans très agressifs à l’encontre de l’Etat israélien.
Quelles procédures engagées contre eux initialement ?
Ils ont été poursuivis sur le fondement de l’article 24, alinéa 8 de la loi du 29 juillet 1881, pour « provocation à la discrimination envers un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance à une nation ».
Après la relaxe initiale prononcée par le tribunal correctionnel de Mulhouse, l’arrêt de la cour d’appel de Colmar avait retenu que les prévenus, par leur action, avaient appelé « à discriminer les produits venant d’Israël, incitant les clients à ne pas acheter ces marchandises en raison de l’origine des producteurs et fournisseurs, lesquels, constituant un groupe de personnes, appartiennent à une nation déterminée, en l’espèce Israël, qui constitue une nation au sens de l’article d’incrimination et du droit international. »
L’arrêt d’appel ajoutait que « la provocation à la discrimination ne saurait entrer dans le droit à la liberté d’expression dès lors qu’elle constitue un acte positif de rejet, se manifestant par l’incitation à opérer une différence de traitement à l’égard d’une catégorie de personnes, en l’espèce les producteurs de biens installés en Israël. »
Quels sont les termes des arrêts de la cour de cassation ?
La Cour de cassation a suivi la cour d’appel considérant que les faits relevaient bien du délit reproché, considérant aussi que « ces faits ne pouvaient se justifier au titre de la seule liberté proclamée par l’article 10 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme, qui peut être, en application du second alinéa de ce texte, soumis à des restrictions ou sanctions qui constituent, comme en l’espèce, des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la défense de l’ordre et à la protection des droits d’autrui. »
L’appel au boycott est-il désormais illégal en France ?
Ce qui est légal ou non est défini par des lois qui sont constamment modifiées. L’appel au boycott ne peut devenir illégal à la suite d’un simple arrêt, fût-il de la cour de cassation, plus haute juridiction judiciaire française.
En 1ère instance et en appel, le juge examine si les faits reprochés lui paraissent contraires à la loi. Ce faisant, il analyse les faits et se livre à une interprétation ; des situations similaires ou proches ont ainsi donné lieu à nombre de jugements différents devant des juridictions françaises.
L’ensemble des jugements rendus forme donc la jurisprudence en la matière et celle-ci évolue. D’ailleurs la Cour de Cassation elle-même a évolué sur cette question puisqu’après des arrêts rendus en 2004 et 2012 dans des affaires relatives à l’appel au boycott des produits israéliens, elle a rendu un arrêt en 2013 rejetant les pourvois des associations anti-boycott confirmant ainsi qu’un tel appel relevait de la liberté d’expression.
Parallèlement, de nombreuses décisions de tribunaux et de cours relevaient que l’appel au boycott faisait partie du domaine de la liberté d’expression.
Un recours devant la Cour Européenne de Droits de l’Homme, pour quoi faire ?
La procédure juridique nationale est donc allée jusqu’au bout. Les 12 condamnés ont décidé, car ce choix leur appartient, d’aller devant la Cour Européenne des Droits de l’Homme (CEDH).
En effet, la Cour de cassation contrôle l’exacte application du droit par les cours au travers de leurs décisions et sans parler d’une justice « aux ordres », il est cependant impossible de ne pas faire le lien de ces jugements avec la circulaire Alliot-Marie, du nom de la Garde des Sceaux de l’époque, qui invitait les Procureurs généraux des Cours d’appel à promouvoir l’interprétation qui est faite aujourd’hui. On peut aussi rappeler que la France est le seul Etat à criminaliser ces formes de boycott liées à la reconnaissance de l’État palestinien (même si ces mouvements sont souvent plus développés dans d’autres pays, y compris européens).
La CEDH, quant à elle, se situe incontestablement sur un plan d’indépendance supérieur à l’égard des États et s’attache davantage aux droits et à la liberté des personnes.
Quel est l’impact de ces décisions sur les actions de boycott dans l’avenir ?
Les boycotteurs seront sans doute désormais davantage exposés à des risques de plaintes susceptibles d’impliquer des actions devant les tribunaux et à des amendes très pénalisantes. De plus, les décisions viennent dans une période d’état d’urgence dont on ne sait quand elle prendra fin. La population française vit actuellement une situation de confusion où tous les amalgames semblent crédibles.
Mais les actions de boycott dénonçant la politique israélienne d’occupation et de colonisation des territoires reconnus par l’ONU comme partie intégrante de l’État palestinien (Etat observateur reconnu par l’Assemblée générale de L’ONU et de nombreux Parlements nationaux d’États démocratiques – dont la France -) et dénonçant la répression systématique de toute forme d’expression et de résistance de la société palestinienne, sont légitimes car inspirées par la volonté de dénoncer cette politique d’occupation.
Il faut ajouter que la décision récente de la Commission européenne d’imposer l’étiquetage différencié des produits issus des Territoires occupés en référence au droit international, souvent et abusivement commercialisés sous l’étiquette « Israël » conforte encore plus le droit au boycott.
Le boycott pacifique est l’arme citoyenne par excellence et son histoire est longue, des luttes historiques pour les droits civiques aux Etats – Unis au boycott anti – apartheid pour soutenir la lutte de libération en Afrique du Sud..
Mais au delà des enjeux des actions de boycott pour contribuer au respect du droit international par l’État israélien il faut aujourd’hui comprendre que c’est notre propre liberté d’expression, ici et maintenant – et sur tous les sujets – qui est désormais menacée; la pérennisation de l’état d’urgence et les dérives déjà constatées ne feront évidemment qu’aggraver ces menaces.
Je boycotte.… et je signe la pétition
http://www.avaaz.org/liberte_boycott
Christian Rubechi