Les syndicats sont unis sur un point : la loi sur la réforme du code du travail est inacceptable. Et tous appellent la population à s’exprimer dans la rue pour faire pression sur le gouvernement. Qui a été obligé de reporter la présentation du texte en conseil des ministres et d’ouvrir des discussions. Qu’en découlera-t-il ? Bien difficile de le savoir aujourd’hui. Mais le résultat dépendra étroitement de la capacité de mobilisation des syndicats et associations qui lancent des appels à manifester :
- Le 9 mars, la CGT 68, FO 68, FSU, Solidaires Alsace, L’USAE-FPT, l’UNEF Mulhouse, relaient l’appel national de leurs organisations au « retrait immédiat du projet de loi El Khomri » et lancent une journée de grève et de manifestations sous la forme d’un « Barbecue revendicatif à 11h devant la sous préfecture de Mulhouse» suivi par une grande manifestation à 14h, place de la Bourse
- Le 12 mars, la CFDT, la CFE-CGC, la CFTC, l’UNSA et la FAGE ont appelé « leurs structures territoriales à organiserdes rassemblements dans toute la France ». Dès que nous aurons les informations sur les initiatives à Mulhouse et en Alsace nous en rendrons compte.
En Alsace et dans le Haut-Rhin en particulier, d’autres raisons de manifester sont à l’ordre du jour: la défense du régime local complémentaire d’assurance-maladie et le « Service bénévole obligatoire » que le président du conseil départemental 68 veut imposer aux bénéficiaires du RSA.
Retrait et nouvelles négociations pour les uns
Mais revenons au projet de loi gouvernemental. Si l’unité entre les organisations persiste sur le refus du texte en l’état, deux stratégies différentes apparaissent. Sont-elles contradictoires ? Apparemment oui, puisque celles qui appellent à la manifestation du 9 mars et le 31 mars, exigent le retrait pur et simple du texte. Pour le statu-quo ? Elles s’en défendent, en considérant que la loi proposée par le gouvernement est inamendable et qu’il faudrait ouvrir des négociations sur de nouvelles dispositions à intégrer dans le code du travail. La CGT publie un texte en vue de son congrès en avril prochain qui s’intitule « Construire le code du travail du XXIe siècle » consultable sur le site
http://fr.calameo.com/read/0046291839e1e0fb5b424
D’autre part, 18 universitaires spécialisés en droit du travail ont constitué un «groupe de recherche pour un autre code du travail», ou GR-PACT. Ils planchent, depuis fin 2015, sur «la rédaction d’un projet complet de code du travail». «Après l’automne 2015, riche en rapports divers [celui de Jean-Denis Combrexelle, ou encore des juristes Badinter et Lyon-Caen], on s’est dit que quelque chose de menaçant s’amorçait, ce qui s’est révélé effectif avec le projet de loi», raconte Emmanuel Dockès, professeur de droit à l’Université Paris-Ouest-Nanterre-la-Défense et membre du GR-PACT.
D’où ce projet collectif de «réfection du code du travail» commencé dès décembre. Le projet de loi du gouvernement est lourdement critiqué par ces juristes, qui pointent des passages jugés «vraiment honteux» voire «catastrophiques». Loin de simplifier le code du travail comme annoncé par l’exécutif, le projet de loi, par ailleurs, enregistre selon eux une «hausse très significative de la quantité de texte». Soit une inflation de 27 %. «C’est une complexification de plus», note Dockès.
Mais pas question de rester dans l’immobilisme : «Le code du travail mérite d’être réformé», affirment les universitaires qui ont, pour l’heure, consacré leur effort à réécrire un premier chapitre portant sur le temps de travail. Et leurs propositions sont bien éloignées de celles de la ministre du Travail. Parmi les mesures phare : la reconnaissance du temps libre des salariés qu’«il faut écarter du pouvoir de direction», explique Christophe Vigneau, maître de conférences à l’Université Paris‑I. Comment ? En garantissant davantage la prévisibilité des horaires de travail, en donnant la possibilité aux salariés de s’opposer à des changements d’horaires ou encore en prévoyant des contreparties à l’adaptation du temps de travail.
Renégociation du texte gouvernemental pour les autres
Dans une déclaration commune, la CFDT, la CFE-CGC, la CFTC, l’UNSA et l’organisation étudiante FAGE, considèrent que « les mutations profondes de l’économie ont des conséquences en matière de précarité et de chômage qui nécessitent de renforcer les droits des salariés, de sécuriser les parcours des travailleurs et de favoriser un accès des jeunes à des emplois de qualité. » Elles font 9 propositions de modifications du texte gouvernemental :
- le retrait de la barémisation des indemnités prud’homales
- la modification des mesures supplétives sur le temps de travail afin que le droit actuel continue à s’appliquer à défaut d’accord notamment en ce qui concerne les astreintes, le fractionnement des repos, le repos des apprentis mineurs…
- en matière de licenciement économique, le texte doit permettre aux juges d’apprécier la réalité des difficultés économiques et retirer le périmètre national ;
- pour la réaffirmation du rôle intermédiaire et incontournable de la branche ;
- le fait syndical doit être reconnu quelle que soit la taille de l’entreprise ;
- aucun forfait jour ou modulation ne peut être mise en place unilatéralement ;
- en matière de forfait jour, l’encadrement législatif proposé par ce projet de loi est trop faible et ne permet pas d’assurer la santé et la sécurité des travailleurs ;
- des droits nouveaux apparaissent comme nécessaires en matière de formation ‑y compris professionnelle‑, d’apprentissage, de validation des acquis de l’expérience et des temps de travail, notamment dans le cadre du CPA dans lequel nous demandons la création d’un compte temps ;
Elles considèrent que « le projet de loi ne doit pas être seulement ajusté mais impérativement modifié en profondeur afin de le rééquilibrer en faveur des salariés. »
Un rejet massif et une adhésion populaire pour manifester
Il s’avère que ce projet de loi, largement commenté et explicité par tous les médias, est majoritairement rejeté par les Français à un niveau rarement atteint : 70% des Français la voient comme une menace pour les droits des salariés, et seuls 30% estiment qu’elle permettra la création d’emplois. En revanche, 53% pensent qu’elle donnera davantage de liberté aux entreprises.
La seule mesure que les personnes interrogées jugent positive est le recours au referendum dans les entreprises pour avaliser des accords. Ce qui devrait conduire les organisations syndicales à réfléchir sur la question de donner la parole aux salariés pour parachever une négociation.
La pétition lancée sur Internet et que nous avons relayé dans L’Alterpresse68, a maintenant largement dépassé le million de signatures et ce n’est pas la ridicule tentative de France Télévision de dénaturer cette initiative qui pourrait masquer le succès indéniable.
Une consultation portant sur plus de 10.000 personnes faites par France 3 montre que 60% participeront aux manifestations.
Le gouvernement doit en tenir compte, évidemment. Mais pour déboucher sur quoi ?
Veiller à garder le cap !
On connaît l’habileté des gouvernements pour récupérer des mécontentements et jouer sur les différences syndicales pour diviser un mouvement social : c’est du déjà vu, rappelons-nous la réforme des retraites de 2003.
Pour l’heure, la mobilisation se fait très fortement « contre » le texte gouvernemental, ce que l’on peut comprendre. Si le retraite du projet serait un succès pour les organisations syndicales, cela ne les exonèrera pas de travailler sur les modifications nécessaires du code du travail pour tenir compte des changements qui sont intervenus dans le travail, dans l’organisation de la production et des services, les effets de la mondialisation… Le fait que la dimension sociale est quasi totalement absente au niveau de l’Union européenne devrait être un autre champ d’exploration pour les syndicats et associations de défense des citoyens car c’est à ce niveau que 80% des textes législatifs sont à présent élaborés.
Il faudra donc bien que la mobilisation « contre » le projet El Khomri se transforme en « exigence pour » une meilleure protection des salariés dans le monde « ubérisé » et mondialisé que notre actuel code du travail n’est plus en mesure d’assurer.
Et ainsi démontrer aux travailleurs que l’avenir n’est pas celui du triomphe de la finance et la précarité absolue du salariat. Cette mobilisation est à son début et déjà se profile un nouveau rendez-vous: le 31 mars avec de grandes manifestations dans toute la France. Et peut-être avec tous les syndicats main dans la main?
Michel Muller