La première confédération syndicale française tient son congrès à Marseille du 18 au 22 avril. L’occasion, après les vicissitudes qu’a connu le syndicat dans sa direction après le départ de Bernard Thibaut lors du précédent congrès, de tourner cette page et de se concentrer à nouveau sur l’essentiel : l’action syndicale…

La CGT affiche clai­re­ment ses objec­tifs : « Ras­sem­bler pour reven­di­quer, construire la soli­da­ri­té, choi­sir son camp, vaincre l’austérité ». Par ce slo­gan, lar­ge­ment déve­lop­pé dans les docu­ments pré­pa­ra­toires, la confé­dé­ra­tion veut démon­ter qu’elle ne campe pas sur une posi­tion uni­que­ment défen­sive, « contre » la poli­tique patro­nale et gou­ver­ne­men­tale : elle se veut force de pro­po­si­tion (« Le nou­veau code du tra­vail du 21e siècle ») mais veut aus­si se pla­cer à la tête d’un mou­ve­ment social d’envergure qu’elle sou­haite construire avec d’autres (« rassembler »).

La loi « Tra­vail » lui offre l’occasion de pas­ser aux tra­vaux pra­tiques de son orien­ta­tion que le 51e congrès devrait valider.

Le congrès des syndicats

On ne le sait pas tou­jours : ce sont les syn­di­cats de base (et non les struc­tures inter­mé­diaires Unions dépar­te­men­tales ou Fédé­ra­tions) qui prennent les déci­sions. Or, la période après le 50e congrès et les pro­blèmes de direc­tion qui en ont sui­vi, ont plus for­te­ment ébran­lé la CGT sur le ter­rain que dans les ins­tances. Phi­lippe Mar­ti­nez, l’actuel secré­taire géné­ral élu après la démis­sion (une pre­mière dans la CGT !) du suc­ces­seur dési­gné de Ber­nard Thi­baut, Thier­ry Le Paon, pro­pose une ana­lyse sans conces­sion de cette période et ouvre des pistes pour que son orga­ni­sa­tion relève enfin les défis qui lui sont posés :

  • une poli­tique reven­di­ca­tive répon­dant aux chan­ge­ments pro­fonds qui ont affec­té le tra­vail dans une socié­té mon­dia­li­sé et confron­té à de nou­velles orga­ni­sa­tions (effets du numé­rique, entre autres),
  • les rap­ports d’un syn­di­cat avec la poli­tique et sin­gu­liè­re­ment faut-il que la CGT affiche ses pro­jets socié­taux sans les « délé­guer » à des par­tis dont la cré­di­bi­li­té est tel­le­ment entachée ;
  • une réor­ga­ni­sa­tion de la confé­dé­ra­tion tenant compte du « redé­cou­page » du monde du tra­vail (les Fédé­ra­tions d’industrie cor­res­pondent-elles encore à la réa­li­té ?) mais éga­le­ment d’une réforme ter­ri­to­riale qui déplace les centres de décisions.

Les syn­di­cats sont-ils prêts à enta­mer ces chan­tiers d’envergure qui signi­fie­raient le début d’une nou­velle ère pour la CGT ?

Appli­quer les déci­sions… enfin !

La CGT connaît, comme tous les syn­di­cats euro­péens, une baisse d’adhérents et est confron­tée à la volon­té du patro­nat et des gou­ver­ne­ments de droite ou sociaux-démo­crates, d’affaiblir les pro­tec­tions des sala­riés, de réduire les droits col­lec­tifs et de pro­mou­voir une indi­vi­dua­li­sa­tion des sta­tuts du salariat.

Dans ses docu­ments, la direc­tion confé­dé­rale, reste très géné­rale sur les objec­tifs et sur ses pro­po­si­tions de réforme interne : appa­rem­ment, peu de chose sont évo­lué sur ce ter­rain ces der­nières années.

Pour­tant, lors des  48e et 49e congrès de la CGT, Ber­nard Thi­baut avait cou­ra­geu­se­ment sou­le­vé les pro­blèmes et avan­cé des solu­tions. Qui ont été votées… sans jamais être mises en œuvre. Très intel­li­gem­ment, Phi­lippe Mar­ti­nez rap­pelle, en annexe des docu­ments de congrès, ces déci­sions comme pour rap­pe­ler à ceux qui les ont votées qu’il faut aus­si les appliquer !

Et il laisse entendre qu’il faut, à pré­sent, se mettre à jour. Et rapidement…

Un congrès dans une actua­li­té brû­lante et une contes­ta­tion interne

Les débats vont se dérou­ler en pleine mobi­li­sa­tion contre la loi Tra­vail. Il a fort à parier que les syn­di­cats vont être for­te­ment sen­si­bi­li­sés par les luttes en cours. Cela est par­fois utile pour « gagner » un congrès pour une direc­tion qui sait sur­fer sur une situa­tion favo­rable mais en géné­ral n’est pas pro­fi­table aux débats de fonds qui néces­site par­fois des révi­sions par obli­ga­toi­re­ment déchi­rantes de cer­ti­tudes anciennes.

La crise que la CGT a connue avec l’affaire Le Paon était aus­si une crise poli­tique et struc­tu­relle de la confé­dé­ra­tion. Les rai­sons pro­fondes de cette crise n’ont pas dis­pa­rues : une oppo­si­tion à toute évo­lu­tion du syn­di­cat existe au sein de la CGT et elle n’exprime pas tou­jours clai­re­ment les motifs de son oppo­si­tion. Sou­vent sont invo­qués la « mol­lesse » de la CGT, son manque de pré­sence dans des luttes « sur le ter­rain »…. Thèmes faciles car ils peuvent tou­jours trou­ver un écho sur­tout dans un moment où l’action syn­di­cale a du mal à trou­ver une adhé­sion de masse des sala­riés pour­tant seule condi­tion pour peser sur les événements…

Le syn­di­cat CGT de Goo­dyear par exemple, met­tant à pro­fit son expo­si­tion média­tique après la scan­da­leuse condam­na­tion à de la pri­son ferme d’une par­tie de ses mili­tants, mène cam­pagne sur le thème « Que fout la CGT » ! Il cherche en réa­li­té, à ame­ner le syn­di­cat sur un ter­rain exclu­si­ve­ment poli­tique avec une vision ancienne et dépas­sée du syn­di­ca­lisme qui ne pour­rait qu’être inféo­dé à un par­ti poli­tique. Bref, la théo­rie de la cour­roie de trans­mis­sion que 95% des sala­riés fran­çais récusent…

La vraie suc­ces­sion de Ber­nard Thibaut

Assez habi­le­ment, Phi­lippe Mar­ti­nez a mis la CGT en pointe dans la lutte contre la loi Tra­vail. De quoi enle­ver quelques argu­ments à ceux qui l’estiment trop modé­rée. Et il sau­ra le faire éga­le­ment lors du congrès.

La confé­dé­ra­tion a mal­heu­reu­se­ment per­du trois années pour poser les ques­tions de fonds. Et il est dif­fi­cile de rat­tra­per cela en quatre jours de congrès. L’essentiel est donc pour le can­di­dat Phi­lippe Mar­ti­nez de se doter d’une équipe de direc­tion solide et recueillant une large confiance des congres­sistes. On peut ain­si dire que la vraie suc­ces­sion de Ber­nard Thi­baut com­mence trois ans après son départ en 2013. Il était temps…

Le nou­veau secré­taire géné­ral pour­ra com­men­cer à mener la tâche de relan­cer la pre­mière orga­ni­sa­tion syn­di­cale fran­çaise qui, mal­gré tout, conserve encore en France et à l’étranger, une renom­mée et une confiance qui lui garan­ti un ave­nir. A condi­tion de réus­sir à répondre aux défis de son temps… et pas à ceux du 19e et du 20e siècle. Bon cou­rage, Phi­lippe Martinez…

Michel Mul­ler