Nous vous proposons ici un article de Yannis Youlountas.
Né en 1970 en France; philosophe, poète, écrivain franco-grec contemporain; chroniqueur à Siné Mensuel, au Monde libertaire et les Zindigné(e)s.
Yannis était venu nous rendre visite à Mulhouse et nous avait livré sa vision de la société grecque dans un contexte qui était déjà celui que nous voyons se développer depuis quelques années.
Qui mieux que lui même pourrait résumer ses commentaires, que nous reprenons, sur la visite toute récente de Manuel Valls et Michel Sapin à Athènes pour y rencontrer Alexis Tsipras et le ministre des finances grec?
Tirés de son petit recueil "Derrière les Mots" publié en 2011 qui donnait à lire un abécédaire de son cru , il nous permettra certainement de citer quatre mots, par lui redéfinis donc.
Ils paraissent parfaitement adaptés aux constats qu'il livre dans son article.
ÉTRANGERS:
A dater de ce jour, et si ce mot désignait tous ceux qui le prononcent, et non ceux qu'il désignait jusque-là?
VALEUR:
L'argent résume toutes les autres.
SOUMISSION (Logique DE):
Tant que les salariés baisseront leur pantalon et se serreront la ceinture, ils continueront fort logiquement à tomber à genoux.
TARTOBOLE:
Athlète antique dont la discipline était d'entarter les Platon et autres tartuffes de son temps.
Nous ne doutions pas de la qualité de l'engagement de Yannis. Nous ne doutons pas de l'importance de ses analyse. 
Encore deux des mots de son abécédaire de 2011...
REFORMES:
A force d'accélérer le rythme des réformes, c'est par cargos entiers que le gouvernement va devoir approvisionner le pays en vaseline.
RÉVOLTE:
Ni police ni armée ne sauraient résister à un peuple vraiment déterminé et conscient de ses moyens et de sa légitimité.Révolte sans conscience n'est que chair à gendarmes.
Lors de cette réunion publique à Mulhouse il avait gentiment dédicacé un petit recueil de ses poèmes paru en 2006 ("Poèmes ignobles ").
Sur l' exemplaire que je lui avais tendu il avait écrit "Pour Noelle et Christian, ces Poèmes ignobles qui sondent la réalité de nos liberté. Bien Amicalement " - avec le A cerclé des mouvements anarchistes dont il se réclame.
Yannis, nous aurons certainement à sonder la réalité de nos libertés.
C.R
Depuis hier soir, Athènes est sous très haute surveillance. Une tentative d’enyaourtage(1) du premier ministre français a malheureusement échoué près du parlement, suite à la fermeture du centre-ville, notamment de la station de métro de la place Syntagma à partir de 18h. Les déploiements policiers sont immenses et les gardes du corps sur les dents.
 https://www.youtube.com/watch?v=O8-Ssyy1p60
C’est avec un statut similaire à un chef d’Etat que Valls, visage fier et allure de colon, a passé en revue la garde nationale grecque devant le monument du soldat inconnu, avant de finir la soirée dans l’opulence, sur la terrasse du musée de l’Acropole, à quelques centaines de mètres seulement d’un campement de sans-abris (dont plusieurs enfants) expulsés de leur domicile suite à la réforme du code civil. Le repas gastronomique a été servi en compagnie du ministre de l’économie français Michel Sapin, coordinateur du pillage du bien commun en Grèce au bénéfice de grandes firmes françaises : EDF, Vinci(2), Thalès, Veolia, Suez ou encore la SNCF qui s’apprête à racheter pour une bouchée de pain la société grecque de chemin de fer, TRAINOSE, ce qui aura pour effet de doubler des prix qui étaient jusqu’ici parmi les plus bas en Europe, et qui convoite également des infrastructures ferroviaires. Harlem Désir, secrétaire d’État aux affaires européennes figurait également parmi les convives, ainsi que Giorgos Stathakis, le très controversé ministre grec de l’économie, héritier d’une grande famille d’armateurs, connu pour avoir oublié de déclarer au fisc 38 biens immobiliers (oui, vous avez bien lu : 38 !) et plus de 1,8 millions d’euros égarés sur un compte discret. Ce scandale dure depuis le mois de décembre en Grèce et les manifestants y font souvent allusion, parmi d’autres cas de corruption et de népotisme qui s’ajoutent au bilan désastreux de la capitulation du 13 juillet 2015.

Hier soir éga­le­ment, sous les applau­dis­se­ments nour­ris d’une assis­tance triée sur le volet, Tsi­pras n’a pas man­qué de féli­ci­ter Valls et de témoi­gner son « estime » à l’un des hommes poli­tiques pour­tant les plus détes­tés de l’hexa­gone, qu’il a même qua­li­fié d’ « ami ».

Ce ven­dre­di matin, il a été éga­le­ment impos­sible de gêner la visite de Manuel Valls à l’Ins­ti­tut fran­çais d’A­thènes, com­plè­te­ment encer­clé de bar­rages fil­trants. Depuis 10h30, Michel Sapin est en ren­dez-vous avec son homo­logue grec et quelques amis cos­tu­més pour la séquence « bonnes affaires », alors que depuis 11h, Manuel Valls est reçu au Palais Maxi­mou, rési­dence du pre­mier ministre, pour fina­li­ser une feuille de route basée sur un « par­te­na­riat stratégique ».

Quel sera le conte­nu réel de cet accord ?

Valls et Tsipras vont évoquer un partenariat économique pour « sortir le pays de la crise » et rappeler le « soutien indéfectible de la France depuis l’entrée de la Grèce dans l’union européenne », en 1981. Mais en réalité, cet accord concerne les conséquences de la « seconde capitulation » du 24 mai 2016 (3), c’est-à-dire l’extension de la grande braderie qui prévoit désormais jusqu’à 597 îles mises en vente et 538 sites archéologiques. Le gouvernement français veut faire profiter ses amis grands patrons de cette juteuse affaire. C’est l’heure des soldes et tout le monde accourt en Grèce, à commencer par les responsables politiques russes et chinois, en début de semaine(4), accompagnés par des dizaines d’hommes d’affaires. Les domaines clés de la coopération gréco-française seront « le développement rural, la réforme de l’administration publique, l’innovation, le tourisme et, bien sûr, l’investissement », motif principal du séjour.

L’autre annonce qui va ten­ter de mas­quer la réa­li­té mor­ti­fère, c’est la pro­messe du gou­ver­ne­ment fran­çais d’ac­cueillir 400 ou 500 réfu­giés par mois, en pro­ve­nance de Grèce. Mais la face sombre de ce sujet, c’est que plus de 200 poli­ciers et gen­darmes fran­çais par­ti­cipent actuel­le­ment à la ges­tion cala­mi­teuse de la ques­tion des réfu­giés et migrants dans les îles grecques. Ces jours-ci, les muti­ne­ries se mul­ti­plient dans les camps inhu­mains de Les­bos et de Samos. Mer­cre­di soir, le camp de réfu­giés de Moria à Les­bos s’est encore rebel­lé, puis, hier soir, celui de Samos, entre 20h et minuit, sui­vi d’une répres­sion ter­rible des gar­diens et de la qua­si-tota­li­té des forces de police de l’île qui ont aus­si­tôt conver­gé sur les lieux. Il y a au moins 30 bles­sés donc plu­sieurs ado­les­cents. Cer­tains sont dans un état grave et ont du être trans­por­tés vers un hôpi­tal mieux équi­pé, celui de Samos étant com­plè­te­ment dégra­dé par les poli­tiques d’aus­té­ri­té depuis quelques années.

Les mass-médias grecs, relayés par les agences de presse inter­na­tio­nales, osent noyer le pois­son en évo­quant une obs­cure rixe entre des migrants, ce qui est tota­le­ment faux selon les témoi­gnages directs recueillis depuis. C’est encore une muti­ne­rie pure et simple contre des condi­tions de déten­tions vio­lentes, arbi­traires et inhu­maines. Rien d’autre. D’ailleurs, au moins deux bun­ga­lows ont été incen­diés et plu­sieurs pri­son­niers ont réus­si à s’échapper.

Pour seule réponse, Tsi­pras et Valls annoncent la pro­chaine conver­sion de l’a­gence de sur­veillance Fron­tex en « arma­da de garde-côtes euro­péens », direc­te­ment coor­don­née depuis Bruxelles. Valls a éga­le­ment évo­qué le ren­for­ce­ment immi­nent de la pré­sence poli­cière fran­çaise dans les îles grecques, avec 300 CRS et gen­darmes sup­plé­men­taires d’i­ci peu.

« Tout va bien, Madame la mar­quise », semblent-ils enton­ner en trin­quant : l’Eu­ro de foot va com­men­cer, ain­si que la sai­son tou­ris­tique esti­vale ! Mais ils oublient d’é­vo­quer les mil­lions d’in­sou­mis qui bloquent de plus en plus la Grèce(5), la France, l’Es­pagne, le Por­tu­gal et la Bel­gique, en atten­dant plus. Jus­qu’à quand fein­dront-ils d’être sourds ? Et jus­qu’où fau­dra-t-il aller dans nos luttes ?

Yan­nis Youlountas

1) équi­valent en Grèce des « entar­tages » en France ou en Bel­gique (sou­vent pré­pa­rés par Noël Godin et ses com­pa­gnons pâtissiers).
2) Xavier Huillard, le PDG de Vin­ci, avait même accom­pa­gné Fran­çois Hol­lande en Grèce lors de son voyage des 22 et 23 octobre 2015.
3) durant l’Eu­ro­groupe du 24 mai 2016.
http://www.economie.gouv.fr/accord-dette-grece-eurogroupe-des-24-mai-2016
4) Tsi­pras a reçu Pou­tine à Athènes, puis s’est ren­du à Pékin.
5) Par exemple, il y a un mois :
http://blogyy.net/2016/05/08/le-blocage-de-la-grece-vu-de-linterieur/