L’af­faire du lycée Mon­taigne de Mul­house rap­pelle que le sys­tème, ses règles et son oli­gar­chie cassent des ser­vices publics et brisent des vies dans tous les sec­teurs de la socié­té. Y com­pris dans le sec­teur édu­ca­tif dont on pour­rait pen­ser à prio­ri qu’il a été conçu pour qu’on y « élève », pas pour qu’on y « casse ». Et pourtant…

Joli, le lierre de la façade du lycée

Les marches de l’en­trée du lycée Michel de Mon­taigne de Mul­house, ce ven­dre­di 17 juin 2016, étaient trop étroites pour accueillir tous les par­ti­ci­pants au « ras­sem­ble­ment » orga­ni­sé par des « repré­sen­tants des per­son­nels d’en­sei­gne­ment, d’é­du­ca­tion et de sur­veillance ». Le motif de cet appel incon­gru à s’a­gi­ter devant l’é­ta­blis­se­ment le plus « posé » de la cité du Boll­werk avait été libel­lé avec beau­coup de pré­cau­tion : ces sala­riés enten­daient « aler­ter leur auto­ri­té de tutelle sur la souf­france et les risques psy­cho-sociaux encou­rus par les per­son­nels ».

On n’au­rait pas com­pris grand-chose à ce qui se déroule depuis six ans der­rière le lierre qui orne joli­ment la façade de ce lycée sans la paru­tion d’un article de presse le dimanche pré­cé­dent. Dans son édi­tion du 12 juin, le jour­nal « L’Al­sace » a en effet tenu à infor­mer clai­re­ment ses lec­teurs : ce sont d’a­bord les méthodes de la pro­vi­seure du lycée que les per­son­nels mettent en cause. « Des choses graves se passent depuis 2010. En six ans il y a eu six adjoints. Cer­tains sont res­tés un mois, d’autres six, le secré­ta­riat a chan­gé de per­sonne à trois reprises. Il y a aujourd’­hui huit per­sonnes en état de souf­france au tra­vail recon­nu. Des agents d’en­tre­tien tra­vaillent en état de souf­france per­ma­nent et n’ont pas les moyens de se défendre ». Il paraît même que « les menaces de pro­cès en dif­fa­ma­tion, de pour­suites contre les repré­sen­tants syn­di­caux sont per­ma­nents ».

La peur n’a pas encore chan­gé de camp

En tout cas, cette fois, ni les repré­sen­tants syn­di­caux, ni le jour­nal « L’Al­sace », ne se sont lais­sés impres­sion­ner par la pers­pec­tive de pro­cès en dif­fa­ma­tion. Il est vrai que tous les (mé)faits sont consi­gnés dans un rap­port du CHSCT à paraître pro­chai­ne­ment. Mais, tout de même : jamais jus­qu’i­ci de pareilles mises en cause de la hié­rar­chie de l’E­du­ca­tion Natio­nale n’ont été éta­lées dans la presse locale avec autant d’im­pu­deur et d’im­pu­dence. Serait-ce l’ef­fet d’un contexte social qui com­men­ce­rait à libé­rer les esprits et à secouer les cla­viers ?… Serait-ce vrai­ment que les temps qui courent sortent de l’ordinaire ?…

N’exagérons rien : il y avait du monde à ce ras­sem­ble­ment, mais tout le monde n’é­tait pas là. Dans sa très brève inter­ven­tion, le repré­sen­tant de l’in­ter­syn­di­cale a remer­cié les pré­sents au nom de ceux qui n’ont pas osé venir. Signe que la peur n’a pas encore chan­gé de camp. Si le ras­sem­ble­ment sem­blait dense et dyna­mique, c’é­tait dû en par­tie à une forte repré­sen­ta­tion d’une inso­lente jeu­nesse qui bran­dis­sait des ban­de­roles, se ris­quant même, briè­ve­ment, à lan­cer un slo­gan poli­tique. Il faut dire que des élèves, aus­si, ont été mal­me­nés, au point que l’un d’eux a été ame­né à dépo­ser une plainte devant le tri­bu­nal admi­nis­tra­tif contre la proviseure.

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Les cas­seurs sont protégés

Si la reven­di­ca­tion à l’o­ri­gine du ras­sem­ble­ment est dans tous les esprits, elle n’a cepen­dant pas été for­mu­lée ce 17 juin. Sinon « à mots cou­verts », comme ce fut écrit dans la presse locale : c’est bien sûr le départ de la pro­vi­seure qui est espé­ré. Un espoir dont la concré­ti­sa­tion dépend de la hié­rar­chie qui, jus­qu’i­ci, s’est logi­que­ment déro­bée. Com­ment, en effet, de hauts fonc­tion­naires, dopés aux primes et à l’i­déo­lo­gie libérale(1), plus que jamais achar­nés à la réa­li­sa­tion de la RGPP(2) peuvent-ils désa­vouer une pro­vi­seure qui met un peu trop de zèle et com­met quelques « mal­adresses » dans l’u­sage des tech­niques mana­gé­riales qu’on lui a inculquées ?!…

C’est si périlleux que le som­met de la hié­rar­chie a refu­sé d’in­ter­ve­nir dans cette affaire, et ce, depuis six ans. Et s’ils étaient inter­ve­nus au lycée Mon­taigne à Mul­house, ils auraient dû inter­ve­nir éga­le­ment dans un très grand nombre d’é­ta­blis­se­ments de France et de Navarre. Si la vio­lence hié­rar­chique s’ac­cen­tue sous l’ef­fet des évo­lu­tions poli­tiques et éco­no­miques, elle n’est pas nou­velle. Elle n’est que le reflet d’une socié­té qui ne peut durer que grâce aux contraintes impor­tées du modèle de base : celui de l’entreprise.

En retour et récom­pense, la hié­rar­chie est, pour l’es­sen­tiel de ses actes, pro­té­gée. Quels que soient les dégâts humains qu’elle pro­voque. Et peu importe les vies que l’on casse. Par un euphé­misme contraint, ce ne sont pas des mots aus­si durs qu’on emploie : on parle plu­tôt de « souf­france au travail ».

C’est le terme qu’ont uti­li­sé les sala­riés du lycée Mon­taigne qui, s’ils obtiennent le départ de la pro­vi­seure – comme c’est pro­bable suite au cham­bard qu’ils ont réus­si à orga­ni­ser -, n’ont pas posé le pro­blème de son point de chute ni celui de la manière dont elle exer­ce­ra ses nou­velles fonc­tions. Ni même la ques­tion de la façon dont elle les a exer­cées dans son poste anté­rieur, à Col­mar. Il se mur­mure pour­tant qu’elle n’y a pas lais­sé que de bons souvenirs.

A l’ins­tar de ce qui se fait dans le cadre de l’Obser­va­toire de la dis­cri­mi­na­tion et de la répres­sion syn­di­cales(3), peut-être serait-il pos­sible de créer un peu de contre-pou­voir par davan­tage de trans­pa­rence, en assu­rant, par exemple, une meilleure tra­ça­bi­li­té de cer­tains éner­gu­mènes de la pyra­mide hié­rar­chique ? Tout en s’or­ga­ni­sant col­lec­ti­ve­ment, en menant des luttes, pour qu’en­fin la peur change de camp.

Sachant que dans un contexte aux règles inchan­gées, il n’y aura pas de réponse tota­le­ment satis­fai­sante à ce type de problèmes.

B. Schaef­fer

(1) L’an­cien rec­teur de l’a­ca­dé­mie de Stras­bourg se pro­té­geait, en plus, der­rière une arma­ture monar­chique !… Voir l’ar­ticle que la revue Rue89-Stras­bourg lui a consa­cré il y a deux ans.

(2) RGPP : c’est la Révi­sion Géné­rale des Poli­tiques Publiques. Il s’a­git en fait d’or­ga­ni­ser la casse des ser­vices publiques pour leur fixer des objec­tifs qui les rendent aus­si « ren­tables » que des entre­prises qui marchent « bien ».

(3) La Fon­da­tion Coper­nic, la CFTC, la CGT, FO, la FSU et Soli­daires, ain­si que le Syn­di­cat des Avo­cats de France et le Syn­di­cat de la Magis­tra­ture ont mis en place un Obser­va­toire de la dis­cri­mi­na­tion et de la répres­sion syn­di­cales, appuyé sur un conseil scientifique.