Le phé­no­mène « Amok » est « une folie meur­trière indi­vi­duelle obser­vée en de nom­breux endroits du monde par les eth­no­graphes, puis théo­ri­sée à par­tir de sa forme ins­ti­tu­tion­na­li­sée en Malai­sie d’où vient le mot. L’accès de vio­lence meur­trière prend fin par la mort de l’individu après que celui – ci ait atteint d’autres per­sonnes » (Wiki­pe­dia).

Götz Eisen­berg, socio­logue et publi­ciste, a livré au maga­zine en ligne « Nach­Denk­Sei­ten » .une contri­bu­tion, en date du 25 juillet, inti­tu­lée « D’Orlando à Munich : Amok ou terrorisme ».

Son approche du phé­no­mène  ter­ro­riste à par­tir du concept d’Amok est tra­duite et com­men­tée dans l’article de Ber­nard Umbrecht publié le 31 juillet dans le « Saute Rhin »:  http://www.lesauterhin.eu/dorlando-a-munich-amok-terrorisme-gotz-eisenberg/

Contrai­re­ment au clas­se­ment pré­ci­pi­té des atten­tats dans la case « ter­ro­risme » opé­ré par  nos ins­tances offi­cielles et par nombre de com­men­ta­teurs média­tiques, le socio­logue ana­lyse quelques cas récents de « tur­bo-radi­ca­li­sa­tion » impré­vi­sible, et la res­pon­sa­bi­li­té évo­quée de l’Etat isla­mique (E.I) dans ces attaques per­pé­trées ne le satis­fait pas.

A rebours du dis­cours ambiant ses ana­lyses psy­cho­lo­giques sou­lignent l’importance des fac­teurs per­son­nels dans les cas qu’elle exa­mine : per­son­na­li­tés trou­blées par des sen­ti­ments d’insignifiance, voire volon­tés de sui­cide entraî­nant des tiers dans la mort. Il mobi­lise les concepts de « crime de réso­nance » fami­lier aux cri­mi­no­logues et de « sui­cide par la police » pour les rap­pro­cher du phé­no­mène « Amok » en insis­tant sur le codage pseu­do-reli­gieux si pré­sent dans l’air du temps.

Il rap­pelle d’autres cas du même ordre non clas­sés – à d’autres périodes – dans la caté­go­rie « ter­ro­risme à moti­va­tion reli­gieuse » mais plu­tôt dans celle des indi­vi­dus psy­chi­que­ment perturbés.

Comme le com­mente Jean – Yves Febe­rey, psy­chiatre à Nice, nous aurions donc à faire à des  « actes meur­triers aux dimen­sions sui­ci­daires ins­crits dans une pro­blé­ma­tique per­son­nelle et  socié­tale complexe…».

Un terrain psychologique fragile

En extra­po­lant le concept, le fait divers rap­por­té par le jour­nal l’Alsace du 3 août est signi­fi­ca­tif: l’homme qui a crié « Alla­hu Akbar » à la fête du vin de Wet­tol­sheim en évo­quant une voi­ture bour­rée d’explosifs sup­po­sée garée à proxi­mi­té a affir­mé lors de son pro­cès ne se sou­ve­nir de rien. Faits ima­gi­naires, pas de signes de radi­ca­li­sa­tion, crises d’épilepsie fré­quentes, aucunes attaches avec l’islam, rien chez cet homme-là au ter­rain psy­cho­lo­gique fra­gile avé­ré, aux termes même des réqui­si­tions de la vice-pro­cu­reure… mais un an de pri­son ferme pour ce col­ma­rien (déjà condam­né 14 fois par le pas­sé, notam­ment pour vio­lences), pour « apo­lo­gie du ter­ro­risme et divul­ga­tion d’informations fausses afin de faire croire à une des­truc­tion dangereuse ».

C’est une approche très dif­fé­rente de celle de Götz Eisen­berg qui a été expri­mée récem­ment par le pape Fran­çois après le meurtre du prêtre à Saint Etienne du Rou­vray, approche réso­lu­ment glo­ba­li­sante, socio­lo­gique et géopolitique.

« Le monde est en guerre parce qu’il a per­du la paix. Quand je parle de guerre, je parle d’une guerre d’intérêts, d’argent, de res­sources, pas de religions ».

Décla­ra­tion pro­fonde qui rap­pelle quelques évi­dences à l’opposé de trop de dis­cours indi­gents où sont occul­tés des mots comme pétrole, fron­tières et ter­ri­toires, natio­na­lismes, ventes d’armes, par­ties du monde désta­bi­li­sées, guerres ouvertes, conflits tri­baux, eth­niques, natio­naux, inter reli­gieux de tous ordres dont se nour­rissent des orga­ni­sa­tions comme l’Etat isla­mique…. comme sont tues les res­pon­sa­bi­li­tés d’Etats et gou­ver­ne­ments, notam­ment occi­den­taux, qui n’oublient jamais dans ces conflits leurs inté­rêts éco­no­miques et poli­tiques propres.

Une confusion entretenue

Un exemple récent de cette confu­sion entre­nue: lors du der­nier « Cercle de parole » orga­ni­sé par des asso­cia­tions d’aide aux réfu­giés et deman­deurs d’asile (col­lec­tif Urgence Wel­come) tenu récem­ment à Mul­house, des par­ti­ci­pants Syriens expli­quaient que Daech était aux yeux de leurs com­pa­triotes res­pon­sable de 20% de leurs maux, le reste étant impu­table aux bom­bar­de­ments qu’ils subissent depuis des années, bom­bar­de­ments d’origines diverses, par­fois non identifiées.

Ana­lyses diverses et phé­no­mènes com­plexes donc dont l’approche « Amok » est un élé­ment par­tiel d’explication comme le sont les ana­lyses globales.

Pour­tant les enjeux sont consi­dé­rables, et la réflexion plus que néces­saire mais nos socié­tés en semblent inca­pables dans un contexte d’hystérie média­tique et de peurs entretenues.

Il faut ren­voyer à la lec­ture du blog de Pas­cal Boni­face1 du 27 juillet pour une ana­lyse plus sereine de ces phénomènes :

Il y sou­ligne que Daech n’est pas l’Allemagne nazie ni l’Union sovié­tique en termes de puis­sance et qu’ils ne pour­ront anéan­tir notre monde.

Il y rap­pelle les esprits déran­gés et les psy­cho­pathes auquel Daech offre idéo­lo­gie et pos­si­bi­li­té d’auto glorification.

Il pointe les enjeux pour notre démo­cra­tie d’un débat poli­tique qui montre sa super­fi­cia­li­té dans des cir­cons­tances graves.

Il rap­pelle que les « experts » qui rêvent de bom­bar­der l’Iran, ceux qui opposent musul­mans et non musul­mans, les « durs » oppo­sés aux « laxistes » sup­po­sés ne sont pas les mieux pla­cés pour nous aider à évi­ter que Daech n’accède au sta­tut de super­puis­sance, au moins dans les esprits, et pas que dans les plus faibles..

Mais contrai­re­ment à ce que vient de décla­rer Barak Oba­ma, Daech et ce que recouvre le mot peut deve­nir une menace exis­ten­tielle pour notre société.

Encore quelques atten­tats « Amok » ou réel­le­ment pla­ni­fiés et orga­ni­sés et notre socié­té sera véri­ta­ble­ment en péril.

Déjà des dérives sécu­ri­taires impo­sées par notre légis­la­teur et sur­en­chères poli­ti­ciennes effré­nées (com­plai­sam­ment relayées par quelques poli­ti­ciens alsa­ciens dans leurs dis­cours publics récents – cf.note) sont pré­sen­tées pour seules réponses.

Oubli de toute réfé­rence aux Droits de l’Homme, voire à notre Consti­tu­tion même, appels à la croi­sade, décla­ra­tion de l’état de guerre « civi­li­sa­tion­nel et confes­sion­nel », évo­ca­tion des seules « racines chré­tiennes » sup­po­sées natio­nales deviennent la norme…

L’af­fo­le­ment d’é­lus locaux les conduit à la sur­en­chère, s’agissant des mesures de pré­cau­tions que cha­cun s’ac­corde à trou­ver lar­ge­ment inef­fi­caces mais gra­ve­ment anxio­gènes: annu­la­tions qui se mul­ti­plient de mani­fes­ta­tions, d’événements fes­tifs, spor­tifs, com­mer­ciaux – celle de la grande bra­de­rie de Lille étant par­ti­cu­liè­re­ment signi­fi­ca­tive et lourde de conséquences.

Mais à qui pro­fitent donc ces décla­ra­tions, ces pos­tures qui tiennent désor­mais lieu de gou­ver­ne­ment à notre État « en guerre »?

D’abord à l’ennemi décla­ré, Daech, qui gagne des esprits, des cer­veaux et qui nous pré­ci­pite dans la confu­sion, l’émotion, la peur au prix de moyens mili­taires dérisoires.

Ensuite à tous ceux qui n’osent pas conti­nuer à vivre dans une démo­cra­tie sans état d’urgence chro­nique, sans Guan­ta­na­mo ins­ti­tu­tion­na­li­sé, sans res­tric­tions dras­tiques de nos liber­tés publiques, sans stig­ma­ti­sa­tion de mil­lions de nos conci­toyens, sans bun­ké­ri­sa­tion, sans rejet des pra­tiques d’apartheid social, sans appels à la croi­sade, sans ampli­fier un cli­mat délétère.

Mais qui n’osent plus la démo­cra­tie ou qui n’en veulent plus?

Le ter­ro­risme n’attire pas que des esprits faibles; il sert aus­si bien des intérêts.

"La démocratie n'est pas comme les piles Wonder, elle ne s'use pas si l'on s'en sert"

Moins de pos­tures guer­rières, de sur­en­chères sur les peurs, plus de Répu­blique, des mobi­li­sa­tions citoyennes en place de dis­po­si­tifs inutiles, des enjeux enfin expli­qués et non l’o­pa­ci­té et la mani­pu­la­tion média­tique, une vision socié­tale et poli­tique réaf­fir­mée, seraient plus efficaces !

Pour para­phra­ser un slo­gan publi­ci­taire qui eut son suc­cès: la démo­cra­tie n’est pas comme les piles Won­der, elle ne s’use pas si l’on s’en sert.

Il est vrai que pour cer­tains inté­rêts il s’a­git sur­tout de se ser­vir de la République.

Ils pour­raient citer Madame de Pom­pa­dour s’a­dres­sant à Louis XV après une grave défaite mili­taire des armées fran­çaises:« après moi le déluge ».

Note: les pro­pos rap­por­tés par les DNA sont sur­pre­nants et gra­ve­ment signi­fi­ca­tifs: pour Eric Strau­mann, dépu­té et pré­sident du conseil dépar­te­men­tal du Haut–Rhin, il s’a­git de rien moins que d’ex­pul­sions en urgence abso­lue (étran­gers) ou de déten­tion pour une durée non fixée (res­sor­tis­sants fran­çais) au motif de « connexions directes ou indi­rectes avec un groupe ter­ro­riste ». Pour Michel Sor­di, dépu­té maire de Cer­nay, lors d’un ras­sem­ble­ment public à  » une prière uni­ver­selle pour tous les croyants ». Pour Jean Rott­ner, maire de Mul­house invi­té en tant que pre­mier magis­trat à une céré­mo­nie inter­re­li­gieuse récente à Mul­house suite à l’as­sas­si­nat d’un prêtre à St Etienne du Rou­vray, à y rap­pe­ler sa reli­gion propre.

Devrait-on leur rap­pe­ler encore et tou­jours que prin­cipe de laï­ci­té et loi de 1905 sont les bases consti­tu­tion­nelles de notre État de droit.

C.R

1https://blogs.mediapart.fr/pascalboniface/blog