Depuis les manifestations contre la loi Travail, le gouvernement semble vouloir régler ses comptes avec les syndicats qui contestaient cette pourtant catastrophique réforme. Les sanctions pleuvent de toute part, avec une extraordinaire sévérité: et comme par hasard, ce sont les militants(tes) de la CGT ou de Sud qui sont les premiers visées. L’hommage du vice à la vertu? Peut-être, mais chèrement payé par des femmes et des hommes qui ont fait oeuvre de citoyenneté… Cela deviendrait-il, dans notre belle France hollandaise,  un délit?

Les faits:

14 juin, Paris gare de l’Est: 2 agents SNCF syn­di­qués reviennent d’une grande mani­fes­ta­tion natio­nale «anti loi El  Khomri».

Avec l’accord du chef de bord ils montent «in extre­mis» dans la seconde rame du TGV et non dans la pre­mière, réser­vée aux syn­di­ca­listes retour de la manifestation.

Leur appar­te­nance syn­di­cale est visible (cha­subles siglées, auto-col­lants, drapeau..).

Ils parlent fort «manif, droit du tra­vail, actua­li­té sociale…»

Ils télé­phonent 4 minutes 30 avec leurs col­lègues de la pre­mière rame qui s’inquiètent de ne pas les voir.

Une voya­geuse les inter­pelle, marque son désac­cord avec leur com­por­te­ment et va cher­cher les contrôleurs.

Les deux agents sont pla­cés dans une autre par­tie du wagon, dans la par­tie «salon» sépa­rée par une porte en verre de leurs places précédentes.

Les agents dis­cutent tou­jours. Trop fort? Sans doute.

Des pro­pos «gros­siers» liés à la situa­tion fami­liale per­son­nelle d’un des deux che­mi­nots sont pro­non­cés, mais pas à l’encontre de la voya­geuse disent les agents (les deux témoi­gnages d’usagers  recueillis par la SNCF l’ont été 15 jours après les faits, ne concordent pas avec ceux des agents et pas tota­le­ment entre eux).

Les contrô­leurs reviennent à la demande de la même voyageuse.

La voya­geuse avait  refu­sé une pro­po­si­tion d’être pla­cée en 1ère classe.

Les deux agents refusent de don­ner leur matri­cule d’agents SNCF, le contrô­leur mena­çant de faire un rapport.

Arri­vée en gare de Stras­bourg échanges ver­baux très vifs sur le quai entre un contrô­leur et les agents. Geste dépla­cé de l’un d’entre eux (doigt d’honneur).

Inter­ven­tion de forces de police.

Poste de police et garde à vue de 19 heures pour tous les deux.

Après dépo­si­tions, confron­ta­tions, une plainte pour menace est clas­sée sans suite par le Pro­cu­reur puisque l’agent asser­men­té est reve­nu sur ses pro­pos. Ne reste, pour l’un des agents,  que le seul motif d’  »outrage » qui don­ne­ra lieu à sa condam­na­tion ultérieure.

Alors?

Pro­pos dépla­cés recon­nus – mais dont la teneur exacte res­te­rait à éta­blir, tant les témoi­gnages divergent – dans un contexte de conflit social, de ten­sions entre gré­vistes et cer­tains voya­geurs dans une atmo­sphère de «fin de manif» et de ten­sions sociales importantes?

Paroles et  geste dépla­cés du niveau de ceux enten­dus ou vus lors de tout voyage en train à proxi­mi­té de quelques sup­por­ters d’équipes de foot­ball «dyna­miques« et sanc­tions de prin­cipe néces­saires pour la SNCF?

Réac­tions vives d’u­sa­gers comme celles com­plai­sam­ment rap­por­tées par les médias lors de mou­ve­ments sociaux qui, c’est vrai, peuvent consti­tuer des gênes impor­tantes pour eux ?

Réelles décla­ra­tions offen­santes à l’en­contre d’un contrô­leur SNCF en ser­vice de la part d’un « collègue »?

Tout cela à la fois sans doute…

Après un sem­blant d’apaisement géné­ral de quelques semaines, mar­quées par des dis­cus­sions syn­di­cats – direc­tion SNCF et des risques de conflit social local,  le dos­sier dans son volet «inci­dent train» est réac­ti­vé par la direc­tion ter­ri­to­riale com­pé­tente de la SNCF. 

La dimen­sion juri­dique de la situation:

Des pro­cé­dures dis­ci­pli­naires sont enga­gées qui abou­tissent au licen­cie­ment effec­tif de l’un des agents pour «faute lourde».

Pour l’autre même sanc­tion mais sala­rié pro­té­gé, puisque délé­gué syn­di­cal, l’autorisation admi­nis­tra­tive préa­lable de l’inspection du tra­vail est requise (et le Ministre peut tou­jours réfor­mer la déci­sion de l’ins­pec­tion du travail).

La pro­cé­dure est en cours. Le Comi­té d’entreprise (avis consul­ta­tif) vient de se pro­non­cer contre le licenciement.

Des pro­cé­dures conten­tieuses devant le juge prud­hom­mal sont à l’ordre du jour.

Exa­mi­née notam­ment en Conseil de dis­ci­pline pari­taire du 15 sep­tembre elle semble confir­mer nombre d’arguments en faveur des deux agents visés: ils étaient gré­vistes et donc leur contrat de tra­vail était sus­pen­du. Le pou­voir dis­ci­pli­naire de l’employeur ne pou­vait s’exercer et la pro­cé­dure dis­ci­pli­naire interne de la SNCF n’est ni régle­men­taire ni légi­time dans ce cas (sauf cas de dégra­da­tions ou d’empêchement de l’activité de la socié­té, ce qui n’est mani­fes­te­ment pas le cas).

La SNCF a évo­qué dans cette pro­cé­dure dis­ci­pli­naire le non res­pect du Code de déon­to­lo­gie, oppo­sable à ses sala­riés dans le cadre de leurs obli­ga­tions vis-à-vis de clients.

Quand bien même la pro­cé­dure dis­ci­pli­naire enga­gée serait valide, la sanc­tion du licen­cie­ment, la radia­tion des cadres, ne le serait pas compte tenu du défaut d’individualisation des com­por­te­ments «fau­tifs» des agents  qui ne sont pas dis­tin­gués par les deux usa­gers (qui, per­son­nel­le­ment,  a fait ou dit et quoi, précisément?).

Les faits les plus signi­fi­ca­tifs repro­chés aux agents sont rela­tifs à des com­por­te­ments, paroles ou gestes sur un quai de gare entre un contrô­leur s’étant décla­ré lui-même «hors ser­vice» au moment de ces faits et n’impliquent pas direc­te­ment les clients de la rame; la encore la pro­cé­dure dis­ci­pli­naire paraît infondée.

Enfin l’échelle des peines dis­ci­pli­naires appli­cables pré­voit évi­dem­ment des sanc­tions beau­coup plus légères (blâme, jour­nées de mise à pied…) et la radia­tion appa­raît comme tota­le­ment dis­pro­por­tion­née aux faits.

On connaît la suite don­née par la direc­tion de la SNCF à l’avis consul­ta­tif don­né par le Conseil de dis­ci­pline: radia­tion (3oui expri­més par les cadres sié­geant au Conseil et pour des sanc­tions limi­tées à quelques jours de mise à pied pour les 3 repré­sen­tants d’organisations syndicales).

Pour les deux agents concer­nés (8 et 17 ans d’ancienneté) il n’y a jamais eu d’antécédent de ce type dans leur carrière.

Rien dans les faits ne per­met d’établir qu’ils soient inca­pables d’exercer leurs mis­sions de conduc­teurs de trains au sein de la SNCF.

Leur dos­sier compte nombre de témoi­gnages attes­tant de leurs qua­li­tés pro­fes­sion­nelles et personnelles.

Pour­quoi cet achar­ne­ment et le pro­non­cé de sanc­tions de la gra­vi­té maxi­male pré­vue par les dis­po­si­tions de la SNCF?

Pour­quoi tant d’importance don­née à quelques com­por­te­ments per­son­nels fau­tifs – et pas seule­ment ceux des deux che­mi­nots mis en cause – lors de cette jour­née de mani­fes­ta­tions natio­nales majeures, dans un  cli­mat poli­tique et social natio­nal tendu?

Pour­quoi des inter­pré­ta­tions juri­diques mani­fes­te­ment «for­cées», voire fausses?

Pour­quoi une pré­somp­tion de cré­di­bi­li­té de cer­tains témoi­gnages et la non prise en compte de ceux des agents visés?

Pour­quoi avoir relan­cé une affaire close après quelques semaines uti­li­sées par la SNCF à éta­blir un dos­sier disciplinaire?

Pour­quoi ajou­ter ces dos­siers à ceux des 150 ouverts pour dis­cri­mi­na­tion syn­di­cale recen­sés actuel­le­ment  au plan natio­nal par la seule CGT SNCF, ou aux quelques 200 cas de sanc­tions à l’encontre de mili­tants et délé­gués syn­di­caux recen­sés au plan natio­nal par le syn­di­cat Sud Rail suite à divers conflits?

Poser ces ques­tions c’est y répondre:

Au-delà de l’incident il y a le contexte d’une SNCF  qui vit de dif­fi­ciles muta­tions éco­no­miques, la dégra­da­tion de la qua­li­té du ser­vice offert au public, la dégra­da­tion des condi­tions de tra­vail de ses agents, de ses maté­riels …et  qui met en place  des poli­tiques de res­sources humaines répres­sives dont on sait à quels risques psy­cho – sociaux elle peut mener chez les plus fra­giles (les cas dra­ma­tiques ‚notam­ment chez France Tele­com, à la Poste… sont dans toutes les têtes).

Les lourdes peines  sou­vent requises désor­mais par le Minis­tère public – l’Etat donc – devant les tri­bu­naux y com­pris la pri­son ferme, contre toutes formes de contes­ta­tion, ou sim­ple­ment d’ex­pres­sion, sociale pour des motifs qui n’é­taient pas habi­tuels dans le champ des conflits du tra­vail  – condam­na­tions pour entraves à la cir­cu­la­tion, pour pneus brû­lés, pour mani­fes­ta­tions non décla­rées, pour tags.-  se mul­ti­plient (pas pour toutes les caté­go­ries sociales il est vrai…).

Les cas de répres­sion pénale et d’en­traves au droit syn­di­cal, de dis­cri­mi­na­tion dans les entre­prises éga­le­ment et  dangereusement.

Les « che­mises arra­chées» des cadres d’Air France, les peines de pri­son ferme requises dans un pre­mier temps par le Par­quet contre les «Goo­dyear», les réqui­si­tions contre les 6 syn­di­ca­listes qui seront jugés bien­tôt à Hague­nau, en attestent, par­mi tant d’exemples pour nombre de sec­teurs d’ac­ti­vi­té… mal­gré les pro­tes­ta­tions et mani­fes­ta­tions d’ampleur (Amiens tout récem­ment), les luttes nom­breuses, les pro­tes­ta­tions politiques.

La SNCF n’est pas en reste dans cet exer­cice. Alors le RH0006 oui, mais pour qui?

Le Code de déon­to­lo­gie (RH0006) de la socié­té oblige le che­mi­not à un cer­tain com­por­te­ment envers les clients avec le sou­ci de «l’image de l’entreprise» ; les deux agents en relèvent donc.

Mais qui menace le plus cette « image »?

Ceux qui ont pu créer un inci­dent mineur par des inci­vi­li­tés dans le contexte d’une jour­née d’ac­tion et d’un conflit social qui a mobi­li­sé le monde du tra­vail, une bonne par­tie de l’opinion publique durant des mois? Qui ont pu bles­ser psy­cho­lo­gi­que­ment une voya­geuse par des pro­pos  dépla­cés dans des cir­cons­tances très particulières??

Ou plu­tôt ceux qui sont res­pon­sables d’une poli­tique d’entreprise concou­rant à une insé­cu­ri­té et à un cli­mat anxio­gène trop réel dans les rames pour les voya­geurs comme pour les agents?

Un des deux che­mi­nots est un syn­di­ca­liste actif. Il venait de faire des décla­ra­tions en réunion de délé­gué du per­son­nel à pro­pose d’une impor­tante modi­fi­ca­tion dans la régle­men­ta­tion du tra­vail dans l’entreprise, peu de temps avant l’initialisation de ces pro­cé­dures disciplinaires.

Hasard?

Sur­tout il avait décla­ré il y a quelques mois devant un par­terre de per­son­nels SNCF, d’officiels, de cadres de la SNCF, d’élus alsa­ciens, que les sta­tis­tiques et com­men­taires léni­fiants sur la sécu­ri­té des voya­geurs pré­sen­tées par la direc­tion SNCF com­pé­tente sur cer­taines lignes  étaient biai­sée, voire fausses.

Il avait osé rap­pe­ler les chiffres d’une contre-enquête menée par son orga­ni­sa­tion syn­di­cale, recueilli des témoi­gnages auprès d’a­gents, de voya­geurs,  sur ces thèmes et  ren­du publiques ces don­nées lors de cette impor­tante réunion « sûreté ».

Les conclu­sions en étaient très éloi­gnées de l’op­ti­misme offi­ciel de la direc­tion de la SNCF locale!

Ain­si avait – il dénon­cé pour les lignes Mul­house Kruth, Bâle Mul­house, Mul­house Col­mar, Mul­house Bel­fort, les nom­breux inci­dents, inci­vi­li­tés graves, bagarres, menaces phy­siques, deve­nus une réa­li­té trop fré­quente pour les agents et les usagers.

(à noter que le Pré­fet était inter­ve­nu dans cette même réunion après sa décla­ra­tion… pour rap­pe­ler le direc­teur SNCF concer­né à ses devoirs de résul­tats en matière de sécu­ri­té des usa­gers.…). On connaît la suite.

Pré­mé­di­ta­tion?

Et tant qu’à défendre si for­te­ment  « l’image de la SNCF », il fau­dra que la SNCF mène jusqu’aux sanc­tions qui s’imposeraient, sans réten­tion d’in­for­ma­tion aucune et pour tous les niveaux de res­pon­sa­bi­li­té, les enquêtes et iden­ti­fi­ca­tion des causes d’accidents graves sur­ve­nus sur le réseau (des morts de Bre­ti­gny au déraille­ment récent d’une rame de TGV d’essai pour excès de vitesse…). Il est vrai qu’on est là très au-delà de la simple « dégra­da­tion de l’image »…

Dans le contexte de conflits sociaux majeurs, de réor­ga­ni­sa­tions péna­li­santes pour les per­son­nels et les usa­gers, sanc­tion­ner le plus dure­ment pos­sible ces deux agents en oubliant  au pas­sage la pré­somp­tion d’innocence, appli­quer bien rapi­de­ment des pro­cé­dures dis­ci­pli­naires internes et des sanc­tions tota­le­ment dis­pro­por­tion­nées, c’est évi­dem­ment vou­loir faire un exemple, limi­ter l’exercice du droit syn­di­cal, faire taire la cri­tique et la résis­tance interne à l’é­vo­lu­tion néga­tive d’un ser­vice public.

Et dans le contexte ultra sécu­ri­taire qui s’installe dans ce pays glis­ser une dose d’antisyncalisme pri­maire peut être ten­tant pour une entre­prise, comme pour les pou­voirs publics qui l’en­cou­ragent, voire l’organisent…

Affaire à suivre….

C.Rubechi

Un mee­ting à Mulhouse :

Le « Col­lec­tif contre la radia­tion de Mathieu et Chris­tophe de la SNCF » et le « comité
Goo­dyear de Mul­house » orga­nisent un meeting :

Le mer­cre­di 16 novembre à 18 H 30 au Ler­chen­berg à Mulhouse

pour s’op­po­ser au licen­cie­ment de Mathieu délé­gué du per­son­nel Sud à la  SNCF Mul­house et à celui de son cama­rade Christophe.

Pren­dront la parole : Mathieu de SUD SNCF Mul­house, Mickael Wamen de la CGT Goo­dyear,  et Gael Gui­rante délé­gué SUD qui sont tous vic­times de cette répres­sion qu’ils com­battent activement.