Le projet du « grand contournement ouest de Strasbourg » (GCO), qui remonte dans sa formulation aux années 70, a fait l’objet d’une procédure qui dure depuis quinze ans, a été deux fois enterré et à nouveau exhumé : le voilà qui refait surface avec force depuis fin 2013, à la faveur d’un brusque revirement des élus socialistes de la CUS (Communauté urbaine de Strasbourg) en sa faveur.

L’objectif affi­ché est de déles­ter l’A35 à hau­teur de Stras­bourg, embou­teillée matin et soir en construi­sant une auto­route de 24 km dans la grande péri­phé­rie de l’agglomération.

Pour­tant, en 2005, une exper­tise indé­pen­dante, le « rap­port TTK », avait démon­tré l’inutilité du pro­jet. Mal­gré cela, l’enquête publique de 2006 for­mule un avis favo­rable qui abou­ti­ra en jan­vier 2008 par la signa­ture du décret de la décla­ra­tion d’utilité publique.

Les oppo­sants au pro­jet sont nom­breux (asso­cia­tions, élus, com­munes, Alsace Nature, agri­cul­teurs, par­ti­cu­liers, etc.) et sont orga­ni­sés de longue date au sein d’un col­lec­tif « GCO, non mer­ci » http://gcononmerci.org

Un GCO qui n’ap­porte pas de solu­tions aux problèmes…

Une oppo­si­tion qui ne se fonde pas uni­que­ment sur les nom­breux dégâts envi­ron­ne­men­taux induits par le pro­jet, mais qui repose éga­le­ment sur des doutes sérieux quant à la capa­ci­té de cet amé­na­ge­ment de rem­plir la fonc­tion qui lui est assi­gné. En effet, les mesures d’impact four­nies par les études ne donnent que des chiffres plu­tôt modestes en termes de réduc­tion du tra­fic obte­nu : de 9 à 12 % aux heures de pointe et de 6 à 10% en moyenne jour­na­lière. Pas de quoi sou­la­ger réel­le­ment l’engorgement struc­tu­rel du tron­çon urbain concer­né, d’autant que cette rela­tive embel­lie, comme que le sou­ligne le rap­port de la mis­sion minis­té­rielle, pour­rait encou­ra­ger des usa­gers qui avaient renon­cé à la voi­ture à reprendre le volant, ren­dant ain­si qua­si nul le bilan de l’investissement.

Didier Dieu­don­né, direc­teur des Trans­ports et des Dépla­ce­ments à la région Alsace ne dit tien d’autre (DNA, 17 sep­tembre 2007) :« Il est vrai que du point de vue des liai­sons pen­du­laires vers Stras­bourg, le GCO n’apportera pas beau­coup de solu­tions. Le risque est en fait que la capa­ci­té déga­gée par cette nou­velle voie ne soit réin­ves­tie par des gens qui se détour­ne­raient des trans­ports col­lec­tifs pour retour­ner vers la voi­ture. Au bout du compte, l’A35 res­te­rait vic­time de ses throm­boses à répé­ti­tion et rien ne serait réso­lu…».

D’é­pou­van­tables consé­quences écologiques

Les consé­quences éco­lo­giques seront, elles par contre, bien plus tan­gibles et … incon­tour­nables ! Vingt-deux à vingt-quatre com­munes concer­nées par le tra­jet envi­sa­gé de l’autoroute, seront impac­tées en termes de nui­sances sonores et de pol­lu­tion, ver­ront leurs pay­sages défi­gu­rés, par­ti­cu­liè­re­ment Ven­den­heim, où 10 hec­tares de la forêt du Gritt­wald dis­pa­raî­traient, au détri­ment de la bio­di­ver­si­té et d’un lieu de pro­me­nade favo­ri pour les habi­tants de l’agglomération strasbourgeoise.

Plus de 300 hec­tares de terres agri­coles du Kochers­berg, par­mi les plus fer­tiles d’Europe, (à l’heure où l’on s’interroge sérieu­se­ment sur les consé­quences de la dimi­nu­tion des sur­faces culti­vables avec l’extension des zones bâties) seront requises pour la construc­tion envisagée.

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Les tra­vaux de contour­ne­ment font peser une menace mor­telle sur le grand ham­ster d’Alsace : le ron­geur trouve dans les champs en ques­tion son der­nier habi­tat en France déjà bien fra­gi­li­sé, à la limite occi­den­tale de la zone d’extension de l’espèce en Europe. Une telle pré­oc­cu­pa­tion peut sem­bler secon­daire et prê­ter cer­tains à sou­rire, mais l’Europe, elle, ne rigole pas : la France encourt une lourde péna­li­té pour le non-res­pect de ses enga­ge­ments en matière de pré­ser­va­tion du mam­mi­fère par­mi les plus mena­cés du conti­nent (par­fois, l’UE a du bon !)

Au pas­sage, le tra­cé du contour­ne­ment abî­me­ra éga­le­ment la pers­pec­tive du parc du châ­teau de Kolb­sheim, haut lieu patri­mo­nial et cultu­rel de la région qui sera cou­pé par un ouvrage auto­rou­tier à plu­sieurs mètres de haut.

Et si on par­lait des alter­na­tives… Car elles existent!

Pour­tant, les alter­na­tives à ce pro­jet coû­teux existent et le col­lec­tif des oppo­sants les énu­mère à souhait :

- une part non négli­geable du tra­fic en ques­tion est consti­tué de poids lourds en tran­sit qui empruntent l’A 35 suite à la mise en place la « LKW Maut » (péage poids lourds) sur l’autoroute alle­mande : une éco-taxe simi­laire ferait rebas­cu­ler en bonne part ce lourd contin­gent auto­mo­bile – par­ti­cu­liè­re­ment pol­luant – sur l’A5 d’outre-Rhin. Les por­tiques ad hoc ne sont-ils pas déjà en place ?

-  il y a lieu et moyen d’améliorer les trans­ports en com­mun et le co-voiturage.

-  il convient éga­le­ment de faci­li­ter les liens entre modes de trans­port, dont la « mobi­li­té active » (marche, vélo).

Les résur­gences et aban­dons épi­so­diques du pro­jet ne sont pas sans rap­pe­ler, dans notre région, ceux du canal à grand gaba­rit Rhin-Rhône qui renais­sait de ses cendres à inter­valles régu­liers il y a quelques décennies.

En tous cas, celui du GCO a toute sa place dans la liste des « GPII », les « Grands Pro­jets Inutiles et Impo­sés » – on a envie d’ajouter « Nui­sibles » -, qui, de Notre-Dame-des-Landes à Sivens, bétonnent et dévastent les pay­sages sans béné­fice réel pour le public et fai­sant fi, en outre, du refus des popu­la­tions concernées.

Les por­tiques en place: à quand l’é­co-taxe pour les poids lourds?

Les bou­chons de l’A35 sont dus pour l’essentiel à des dépla­ce­ments pen­du­laires, les tra­jets domi­cile-tra­vail entre Stras­bourg et sa péri­phé­rie : un simple coup d’œil sur la carte du pro­jet suf­fit pour se rendre compte que le contour­ne­ment ne chan­ge­ra rien, ou bien peu, à cet état de fait. La cir­cu­la­tion de tran­sit, éven­tuel­le­ment sus­cep­tible d’emprunter le contour­ne­ment, repré­sente 20% du tra­fic et le contour­ne­ment ne sou­la­ge­rait que fai­ble­ment le tron­çon urbain  (des esti­ma­tions offi­cielles parlent de moins de 8%) ; car on peut inci­dem­ment s’interroger sur la per­ti­nence de l’instauration d’un péage – l’A35 étant, elle, gra­tuite – au tarif modu­lable en fonc­tion de l’horaire : l’itinéraire de contour­ne­ment coû­te­ra plus cher au moment où l’on en aurait le plus besoin … et sera d’autant dis­sua­sive ! Curieuse logique, et par­faite illus­tra­tion de la loi du mar­ché, aux anti­podes de l’intérêt public.

Les aspects lucra­tifs du pro­jet qui affleurent ici nous sont confir­més, bien sûr invo­lon­tai­re­ment, par le pré­sident de l’ancienne autant que de la nou­velle Région, Phi­lippe Richert, quand il affirme  que « ce chan­tier pro­met 1500 emplois pen­dant trois ans » : argu­ment qui pèse évi­dem­ment de tout son poids par les temps de chô­mage qui courent. Cepen­dant, on pour­rait sou­hai­ter plus de péren­ni­té aux emplois qu’il convient urgem­ment de créer, d’une part, et d’autre part les voir créer dans des domaines bien plus utiles, sur­tout en regard du coût pré­vu de l’opération (près de 500 mil­lions d’euros) et ce, sans par­ler des retom­bées néga­tives sur l’environnement et la qua­li­té de vie évo­quées précédemment.

La CCI Bas-Rhin, pour sa part, insiste elle aus­si sur l’intérêt « éco­no­mique » du pro­jet … et on s’éloigne ain­si tout dou­ce­ment de sa fina­li­té ini­tiale, celle de trou­ver une solu­tion à un grave pro­blème de cir­cu­la­tion rou­tière, pour retrou­ver une constante imma­nente aux moti­va­tions réelles de bien des grands chan­tiers publics : car qui dit « emplois » dit aus­si impli­ci­te­ment « pro­fit » pour les entre­prises rete­nues pour leurs maî­trises d’œuvre.

Pour­quoi, dès lors, cette obs­ti­na­tion des pou­voirs publics à impo­ser ce chan­tier aus­si peu convaincant ?

Balayons encore l’argument avan­cé de la pol­lu­tion de l’air, car aus­si  spé­cieux que les autres, les pics de celle-ci étant rele­vés sur toute la région et non uni­que­ment sur la ville : le contour­ne­ment n’y chan­ge­rait rien.

Lors d’une réunion publique, le pré­sident de l’Eurométropole a concé­dé que le GCO ne règle­ra pas le pro­blème de l’engorgement de Stras­bourg, mais qu’il était indis­pen­sable pour la sur­vie de Stras­bourg … Le déclas­se­ment de la A35 d’autoroute en bou­le­vard urbain per­met­tra, en ver­tu du chan­ge­ment de sta­tut, de rap­pro­cher les construc­tions de la voie. Et l’on sait que la ville est à l’étroit dans ses murs !

Au bout du compte, il sem­ble­rait bien que la seule uti­li­té, abso­lu­ment pas publique celle-là, mais pro­saï­que­ment pri­vée, soit dans cette affaire celle qu’y trouvent les action­naires de Vin­ci, dont l’honoré légion­naire Bol­lo­ré qui, d’un bout à l’autre de la pla­nète, détruit les éco-sys­tèmes et bou­le­verse les agri­cul­tures vivrières. Action­naires pour qui le som­meil des habi­tants de Pful­grie­sheim ou le sort du ham­ster d’Alsace, comme celui du cam­pa­gnol amphi­bie de Notre-Dame-des-Landes, sont le cadet des soucis.

Daniel MURINGER

Mer­ci à Andrée BUCHMANN pour ses remarques et contributions.

 

Vers la péti­tion : GCO non merci !

[PETITION] Signez contre le GCO

- Article connexe :

Richert : du culot à revendre, des dettes à four­guer (novembre 2015) où l’on rap­pelle que la conven­tion de finan­ce­ment du GCO la déci­sion a été approu­vée en cati­mi­ni lors de l’ul­time réunion de la com­mis­sion per­ma­nente du conseil régio­nal d’Al­sace (voir le der­nier para­graphe inti­tu­lé :  » Le bou­quet final. Chiche Mas­se­ret ! Chiche Bachy ! » )

- Pod­casts des émis­sions enre­gis­trées à l’oc­ca­sion des élec­tions régio­nales  (GCO évo­qué par les can­di­dat-e‑s inter­r­ro­gé-e‑s par L’Alterpresse68 :

Elec­tions régio­nales : Inter­view de Cléo Schweit­zer (PS) (Radio MNE, décembre 2015)

Elec­tions régio­nales : Inter­view d’An­toine Waech­ter et Dja­mi­la Son­zo­gni (Radio MNE, nov. 2015)