L’Alterpresse68 a appor­té dès le départ sa contri­bu­tion à l’or­ga­ni­sa­tion, dans le Haut-Rhin, de débats autour du « reve­nu uni­ver­sel ». D’a­bord en annon­çant un forum sur le sujet (voir : Reve­nu uni­ver­sel… 22 otobre à Kin­ger­sheim ) ; puis en par­ti­ci­pant un peu à son dérou­le­ment et sur­tout en le pro­lon­geant par la dif­fu­sion d’une émis­sion « Un autre son de cloche » (Le reve­nu uni­ver­sel avec D. Häni et J. Mul­ler sur Radio MNE le 27 octobre 2016). Nous publions aujourd’­hui une prise de posi­tion de Lazare Chat­zi­tho­mas qui fait suite à celui de Michel Hus­son publié ini­tia­le­ment sur le site suisse de A l’En­contre et repris il y a quelques jours sur le site de L’Alterpresse68 : Le monde mer­veilleux du reve­nu universel.

Vos réac­tions sont les bien­ve­nues et seront publiées!

Le tra­vail: une ser­vi­tude volontaire!

J’ap­porte ici une réflexion, hors déma­go­gies cour­ter­mistes qu’on nous assène à tout va sur la solu­tion miracle que serait le reve­nu universel.

Les tenants de cette solu­tion nous expliquent que ce deuxième socle de reve­nu pour tout un cha­cun, indé­pen­dam­ment de toute autre acti­vi­té, résou­drait le pro­blème de la misère et de la pau­pé­ri­sa­tion de l’hu­main, appor­te­rait plus de sécu­ri­té finan­cière, plus de consom­ma­tion et relan­ce­rait l’é­co­no­mie, face à l’au­to­ma­ti­sa­tion et à la robo­ti­sa­tion des moyens de production.

Mal­heu­reu­se­ment le dis­cours s’ar­rête là. Tout le reste est en place, aucune remise en ques­tion de tout ce qui a fait qu’on en est arri­vés là.

Je vais intro­duire une variable dans le débat avec le sujet du sala­riat, du « sul­fu­reux » contrat de tra­vail, et de la condi­tion de « sala­rié ». Nous assis­tons depuis des décen­nies à un « com­bat » schi­zo­phré­nique entre patro­nat et syn­di­cats. Le pre­mier qui veut tout natu­rel­le­ment faire recu­ler les acquis sociaux et les seconds les vou­lant conser­ver ce qui est légi­time. Mais de quoi parle-t-on et que veulent vrai­ment les uns et les autres. Ques­tion sous-jacente, quel sys­tème main­tiennent-t-ils en place.

La notion de “contrat de tra­vail” repose sur la ser­vi­tude volontaire.

Je cite Michel Bour­geois Avo­cat – Conseil à la Cour Pénale Internationale:

« Lorsque un jus­ti­ciable sou­tient devant un tri­bu­nal qu’il serait lié à un tiers par un « contrat de tra­vail » — trem­plin pos­sible vers la recon­nais­sance d’un licen­cie­ment irré­gu­lier avec à la clef le paie­ment d’une indem­ni­té de licen­cie­ment, d’une autre de pré­avis, d’une indem­ni­té com­pen­sa­trice de congés payés, l’affiliation aux diverses caisses sociales, l’allocation de dom­mages et inté­rêts en répa­ra­tion des pré­ju­dices maté­riel et moral occa­sion­né par une rup­ture requa­li­fiée en « licen­cie­ment » -, quels cri­tères sont-ils rete­nus par la juris­pru­dence pour affir­mer l’existence d’un tel contrat ?

Un arrêt ren­du le 19 décembre 1968 par la chambre sociale de la Cour de cas­sa­tion, nous enseigne ceci : « Atten­du qu’en l’état de ces consta­ta­tions la cour d’appel a pu esti­mer que l’aide béné­vole appor­tée par X… avait le carac­tère d’un « acte sala­rié de com­plai­sance entre amis » et non pas « celui d’un tra­vail sala­rié sous la dépen­dance et la subor­di­na­tion d’un employeur (…) ».

Ain­si donc, les deux carac­té­ris­tiques majeures du contrat de tra­vail sont la dépen­dance et la subor­di­na­tion d’une par­tie à l’égard d’une autre : com­ment peut-on conti­nuer à édu­quer nos enfants — et je m’adresse là aux parents et non à l’État, lequel doit foca­li­ser toute atten­tion sur l’instruction des élèves — en les pous­sant à se mettre en quête d’une sorte de « Sésame » vir­tuel, en l’occurrence un contrat de tra­vail, en par­ti­cu­lier à durée indé­ter­mi­née, en les pous­sant à recher­cher la « pro­tec­tion » d’une conven­tion repo­sant sur la dépen­dance et la subor­di­na­tion à un tiers ? »

On l’a déjà vu avec la mise en place des 35 heures, cen­sés résoudre le pro­blème de l’emploi, je vous laisse juge des amé­lio­ra­tions qu’on a pu consta­ter. Par amé­lio­ra­tions je ne prends pas seule­ment en compte les sta­tis­tiques sur l’emploi, mais sur­tout la notion sub­jec­tive et objec­tive d’a­mé­lio­ra­tion de la qua­li­té de vie, du bien être indi­vi­duel et social, de l’é­du­ca­tion, de l’é­vo­lu­tion cultu­relle de la dite socié­té, de la res­pon­sa­bi­li­sa­tion de l’in­di­vi­du et l’é­vo­lu­tion des consciences. Est ce que ça a ren­du la socié­té meilleure, est ce que ça a libé­ré la créa­ti­vi­té de tout un chacun.

Dans le reve­nu uni­ver­sel on va donc gar­der un socle boi­teux, auquel on va rajou­ter une pro­thèse (si c’est pas un spa­ra­drap) afin de gar­der debout la même enti­té qui s’est auto mutilée.

La même ques­tion revient sur la table, et aujourd’­hui plus que jamais, depuis les uto­pistes du XIXe siècle. Est ce que le sala­riat, et son ins­tru­ment le contrat de tra­vail, oui ou non aliène l’être humain. Est ce que un être humain alié­né, enchaî­né et dépen­dant d’un autre est capable de réflé­chir plus et mieux, comme un homme libre plei­ne­ment res­pon­sable de lui même et de son bien-être d’a­bord, puis quo-respo­sable du bien-être de la socié­té dans laquelle il évolue ?.

Repen­ser d’autres façons de pro­duire et de consommer!

Est ce que le reve­nu uni­ver­sel va libé­rer des espaces non alié­nants dans la socié­té et la pro­duc­tion, afin de redon­ner plus de libre arbitre à l’être humain, ou est ce que l’in­di­vi­du aura la capa­ci­té de créer de nou­veau espaces de liber­té non alié­nants, dans une même socié­té de consom­ma­tion de masse, tout en gar­dant les mêmes rap­ports sociaux et les mêmes rap­ports de production?

Est ce qu’il ne faut pas réflé­chir col­lec­ti­ve­ment plus loin, hors des sen­tiers bat­tus et for­cer l’ho­ri­zon, afin de pro­fi­ter de cette brèche his­to­rique qui s’est ouverte à nous, pour repen­ser d’autres façons de pro­duire et de consom­mer ? De remettre en ques­tion les rap­ports de subor­di­na­tion et de mettre l’hu­main au centre ?

Bonne nou­velle, on est plus dans les uto­pies. Par­tout à tra­vers le monde des com­mu­nau­tés humaines expé­ri­mentent cela. Sou­vent pous­sées par le besoin éco­no­mique de sur­vie. En France, oui il faut mettre en place un reve­nu uni­ver­sel intel­li­gent pour redon­ner confiance et espoir aux gens. Mais il faut aus­si revoir pour­quoi et pour qui on tra­vaille, avoir le cou­rage de voir le sala­riat tel qu’il est, un outil d’a­lié­na­tion et d’es­cla­vage. Est ce que le com­bat pour l’a­lié­na­tion et l’es­cla­vage par le contrat de tra­vail, est un juste com­bat, ou est ce qu’il ne faut pas réflé­chir à autre chose ? Oui ou non l’é­man­ci­pa­tion est une valeur universelle ?

Ques­tion ouverte…

Lazare Chat­zi­tho­mas