Mosbach est une petite ville pittoresque à l’est de Heidelberg, au pied de l’Odenwald et à proximité du Neckar. Sur le plateau aux horizons boisés, deux bâtiments constituent l’un des neufs centres de formation de Ver.di répartis sur l’ensemble de la République fédérale. C’est là que des syndicalistes français et allemands se sont retrouvés pour en appeler à l’Europe sociale (voir la résolution en fin d’article)

Ver.di, « syn­di­cat uni­fié des ser­vices », a été créé en 2001 et, fort de ses 2,1 mil­lions de membres, est la plus impor­tante orga­ni­sa­tion des huit fédé­ra­tions com­po­sant la DGB, la prin­ci­pale confé­dé­ra­tion de syn­di­cats alle­mands qui repré­sente, elle, 76% des syn­di­qués du pays.

Pen­dant deux jour­nées, du 2 au 4 mars, une qua­ran­taine de mili­tants issus de la CGT Alsace, de Lor­raine, de Ver.di Bade-Wür­tem­berg, et de Sar­re/­Rhé­na­nie-Pala­ti­nat se sont retrou­vés pour un « sémi­naire » (selon le vocable uti­li­sé en alle­mand) qui por­tait, pour la troi­sième édi­tion de cette ini­tia­tive à la fois régio­nale et trans­fron­ta­lière, sur deux ques­tions pré­cises : la situa­tion et la syn­di­ca­li­sa­tion des jeunes d’une part, et la coopé­ra­tion ou soli­da­ri­té pos­sible à l’intérieur d’un groupe pré­sent dans les deux pays, en l’occurrence Veo­lia et plus spé­ci­fi­que­ment sa branche trai­te­ment des déchets.

Il a fal­lu, du côté fran­çais, pour com­po­ser une délé­ga­tion en adé­qua­tion avec les deux thèmes, pio­cher au-delà des deux régions fron­ta­lières : ain­si, deux porte-paroles d’un col­lec­tif « Jeunes » de Lyon et deux res­pon­sables syn­di­caux Veo­lia de Mont­pel­lier et de Paris se sont joints aux Alsa­ciens et Lorrains.

Pour ce qui fut de l’atelier consa­cré aux jeunes, les constats convergent : ceux d’une pré­ca­ri­té crois­sante empê­chant de construire le cadre d’existence suf­fi­sam­ment stable et auto­nome pour per­mettre d’envisager un enga­ge­ment syndical.

Le sys­tème « dual » alle­mand (appren­tis­sage simul­ta­né en école et en entre­prise), très répan­du, ne four­nit plus les mêmes garan­ties d’embauche et les par­cours de for­ma­tion alle­mands débouchent désor­mais aus­si, comme en France, sur une suc­ces­sion de stages ou de périodes d’essai interminables.

Un étu­diant en maî­trise d’histoire inter­vient pour témoi­gner des dif­fi­cul­tés maté­rielles que ren­contrent nombre de ses col­lègues en Alle­magne obli­gés de trou­ver des petits bou­lots pour sur­vivre ; il relève aus­si le recul de l’enseignement de l’histoire dans le par­cours sco­laire, et en par­ti­cu­lier la dis­pa­ri­tion de toute réfé­rence au rôle du syndicalisme.

Il est à noter du côté alle­mand une approche plus prag­ma­tique des ques­tions, en préa­lable à des conclu­sions géné­rales assises sur le concret, alors que les jeunes mili­tants fran­çais pro­cèdent à l’inverse d’une démarche un peu abs­traite, au risque d’être à l’occasion en déca­lage avec le réel. Il est vrai que deux jeunes gens de Ver.di sont mani­fes­te­ment des per­ma­nents spé­ci­fi­que­ment en charge du dos­sier de la jeu­nesse. Il n’est de ce fait pas éton­nant que leur sou­ci, dans le contexte d’effritement syn­di­cal par­ta­gé, soit de rendre le syn­di­cat plus attrayant (plus « sexy », dira l’un d’eux) : un jeune che­mi­not lor­rain rap­pelle qu’il importe avant tout d’en faire com­prendre la nécessité.

On dénonce conjoin­te­ment les dan­gers et l’imposture des extrême-droites dans les deux pays.

« Ce qui se passe en-dehors des débats est aus­si impor­tant que pen­dant », dit un des orga­ni­sa­teurs. Les temps de tra­vail et d’atelier laissent de ce fait suf­fi­sam­ment de plages pour per­mettre des échanges infor­mels et plus per­son­nels, mais qui, sans le concours des deux traducteurs/trices che­vron­nés, sont très limi­tés, et l’on s’aperçoit que l’absence de plu­ri­lin­guisme consti­tue un obs­tacle de taille au rap­pro­che­ment syn­di­cal trans­fron­ta­lier : même la langue de Wall Street n’est pas maî­tri­sée et très peu uti­li­sée lors des deux jour­nées (ce qui, dans un sens, n’est pas plus mal …).

Le rédac­teur de ces lignes aura le plai­sir et l’honneur d’apporter une touche cultu­relle au sémi­naire en inter­pré­tant, lors d’une soi­rée fra­ter­nelle, des chan­sons sociales dans les deux langues à parité.

Dif­fi­cile de dire sur quelles suites concrètes peut avoir une telle ren­contre, au-delà d’une simple recon­duc­tion : les dif­fi­cul­tés aux­quelles font face les deux orga­ni­sa­tions sont com­munes, mais les constats par­ta­gés n’apportent en soi pas de solu­tions nou­velles (sauf peut-être en interne d’une mul­ti­na­tio­nale comme Veo­lia, qui a fait l’objet d’un ate­lier auquel je n’ai pas participé).

Les contacts sont pris, les adresses cour­riel échan­gées : cela suf­fi­ra-t-il à com­bler le retard accu­mu­lé sur un patro­nat qui s’est his­sé il y a beau temps à l’échelle du conti­nent? Ou fau­dra-t-il créer, en paral­lèle, un par­te­na­riat plus struc­tu­ré à l’échelle du bas­sin de vie que forme le Rhin supérieur ?

Il n’empêche que de telles ren­contres res­tent indis­pen­sables, ne serait-ce que pour construire un syn­di­ca­lisme euro­péen par le « bas », ou, si l’on veut évi­ter cette image trop hié­rar­chique, le faire repo­ser sur le seul socle qui puisse le rendre vivant, à savoir l’adhérent.

Il convient de le rap­pe­ler, la ren­contre de Mos­bach a eu ceci de par­ti­cu­lier qu’elle a été à la fois euro­péenne et de proxi­mi­té ; un voi­si­nage apte à encore mieux faire sai­sir l’urgence qu’il y a à dépas­ser au plus vite les natio­na­lismes éco­no­miques qui ne sont plus de mise, mais dont les sala­riés d’Europe res­tent encore prisonniers.

L’un des orga­ni­sa­teurs du côté alle­mand est en fait un fron­ta­lier mosel­lan, qui a com­men­cé sa vie syn­di­cale avec la CGT, l’a pour­sui­vi chez Ver.di et compte, pour sa retraite, reve­nir à la première !

Daniel MURINGER

La résolution

Le troi­sième sémi­naire des tra­vailleurs fran­co-alle­mands s’est dérou­lé à Mos­bach du 2 au 4 mars 2017. Il a réuni des syn­di­qués, mili­tants, res­pon­sables des struc­tures syn­di­cales de VER.DI « ouvriers » des régions de Sarre, Rhé­na­nie Pala­ti­nat et Bade-Wurt­tem­berg côté alle­mand et des comi­tés régio­naux CGT d’Alsace et de Lor­raine côté français.

Ce sémi­naire a abor­dé les deux thèmes suivants :

Les défis pour la jeu­nesse et le ren­for­ce­ment de leur enga­ge­ment syndical.

La coopé­ra­tion syn­di­cale dans les groupes mul­ti­na­tio­naux dans une Europe où la concur­rence fait rage et se réper­cute néga­ti­ve­ment dans les condi­tions de tra­vail des salariés.

Les jeunes par­ti­ci­pants à ce sémi­naire ont mis en évi­dence les situa­tions dif­fi­ciles qu’affrontent les jeunes dans le domaine de la for­ma­tion, de l’emploi et du niveau des salaires. La pré­ca­ri­té de leur situa­tion est un frein à l’engagement dans l’activité syn­di­cale.  Le défi pour nos deux orga­ni­sa­tions syn­di­cales est d’amener les jeunes à s’emparer de l’outil syn­di­cal. Pour ce faire nous déci­dons de mettre en place des ren­contres régu­lières et  de favo­ri­ser la construc­tion de pro­jets d’actions et de reven­di­ca­tions en commun.

L’échange entre les délé­gués fran­çais et alle­mands du groupe mul­ti­na­tio­nal Veo­lia  a per­mis d’éclairer la stra­té­gie du groupe en com­pa­rant les condi­tions de tra­vail, la sécu­ri­té, la for­ma­tion et  les rému­né­ra­tions. Nous avons abor­dé le fonc­tion­ne­ment des ins­ti­tu­tions repré­sen­ta­tives du per­son­nel et les dif­fi­cul­tés res­pec­tives pour peser sur les déci­sions éco­no­miques du groupe. Les délé­gués ont déci­dé de pour­suivre les liens et de tra­vailler en réseau.

Les débats ont aus­si mis en évi­dence un constat com­mun des deux orga­ni­sa­tions sur les dan­gers de l’extrême droite pour les tra­vailleurs et la démo­cra­tie. Dans ce contexte d’une année élec­to­rale déter­mi­nant pour les orien­ta­tions poli­tiques des deux pays, nous déci­dons lors d’une ini­tia­tive com­mune de rap­pe­ler l’imposture des idées déve­lop­pées par l’extrême droite. Les sala­riés n’ont rien à attendre d’un repli natio­na­liste et xéno­phobe, mais bien au contraire d’une Europe ouverte sur le monde.

Pour com­battre la mon­tée des extrêmes, il y a néces­si­té de mettre en place une Europe avec un haut niveau de garan­ties sociales, un salaire mini­mum garan­ti et la réduc­tion du temps de tra­vail à 32h. Cela passe avant tout par l’arrêt des poli­tiques d’austérité !!!

Mos­bach le 4 mars 2017