L’Association Solidarité avec la Grèce helvétique a organisé une rencontre avec Giorgos Chondros, membre du Comité central de Syriza, à Bâle, mi-avril. Giorgos est le référent du parti au pouvoir en Grèce pour la zone germanophone ayant lui-même étudié à Vienne en Autriche et maîtrisant parfaitement la langue de Goethe. L’Association Solidarité avec la Grèce est très active en Suisse : elle vient encore de remettre deux ambulances pour équiper les hôpitaux grecs toujours en forte précarité. Tout comme la section du Haut-Rhin du Secours populaire qui continue d’assurer des « caravanes solidaires alimentaires » car aujourd’hui encore, des Grecs souffrent de la faim, de malnutrition…

La venue de Gior­gos Chon­dros était aus­si l’occasion de faire le point sur la situa­tion éco­no­mique, sociale et poli­tique en Grèce en 2018.

Après neuf ans de crise, les indi­ca­teurs éco­no­miques reviennent au vert en Grèce, congra­tu­lée désor­mais par les mêmes ins­ti­tu­tions qui dénon­çaient l’incurie du gou­ver­ne­ment que le peuple grec avait élu, il y a trois ans, pour sor­tir des oukases de la Com­mis­sion euro­péenne, le Fonds moné­taire inter­na­tio­nal et la Banque cen­trale européenne.

Le Point cite volon­tiers la phrase de Mme Chris­tine Lagarde, direc­trice  géné­rale du Fonds Moné­taire Inter­na­tio­nal, une des trois com­po­santes de la fameuse « Troï­ka », qui impose le pro­gramme aus­té­ri­taire en Grèce : « C’é­tait un plai­sir de ren­con­trer le Pre­mier ministre (Alexis) Tsi­pras à Davos aujourd’­hui, je l’ai féli­ci­té sur les pro­grès » de son pays. En effet, la Grèce renoue avec une (faible) crois­sance. Mais la popu­la­tion tarde à res­sen­tir cette amé­lio­ra­tion. Le taux de chô­mage est certes tom­bé de 27 à 20% mais les souf­frances du peuple grec sont loin d’être surmontées.

Le ton des créan­ciers de la Grèce s’est consi­dé­ra­ble­ment adou­ci depuis l’é­lec­tion de M. Tsi­pras en jan­vier 2015 sur un pro­gramme de gauche radi­cale, hos­tile aux deux plans de prêts, argent contre réformes, impo­sés au pays depuis 2010 par l’UE et le FMI.

Contraint en juillet 2015 de signer un troi­sième plan de prêts contre réformes, encore plus dur que le pré­cé­dent, Alexis Tsi­pras l’a fina­le­ment mené tam­bour bat­tant, s’ap­puyant sur une majo­ri­té par­le­men­taire courte mais fidèle pour enchaî­ner des réformes dif­fi­ciles, face à une rue de plus en plus désabusée.

Par contre, les pers­pec­tives d’avenir poli­tique pour Syri­za semblent com­pli­quées : les pro­chaines élec­tions légis­la­tives sont pré­vues en sep­tembre 2019 et les son­dages indiquent qu’Alexis Tsi­pras per­drait le pou­voir au pro­fit de la Nou­velle Démo­cra­tie, celle que Syri­za a rem­pla­cé et qui est res­pon­sable des deux pre­miers plans d’austérité.

La Troï­ka tou­jours présente

Gior­gos Chon­dros ne nie pas le constat et recon­naît que Syri­za, dans sa cam­pagne élec­to­rale, n’a pas mesu­ré la gra­vi­té de la situa­tion et sur­tout a sur­es­ti­mé l’aide et l’appui que le par­ti atten­dait des pays du sud de l’Europe, comme l’Espagne, l’Italie, le Por­tu­gal, Malte…

Quant à l’aide de la France ! Notre pays fut le cham­pion de la dupli­ci­té, sou­te­nant le gou­ver­ne­ment grec dans les cou­loirs lors de négo­cia­tions avec l’Eurogroupe… et lui plan­tant un poi­gnard dans le dos lors des réunions offi­cielles. Dans son livre, « Conver­sa­tions entre adultes », Yan­nis Varou­fa­kis raconte en détail l’attitude des Pierre Mos­co­vi­ci et Michel Sapin, entiè­re­ment sou­mis aux volon­tés de M. Schäuble, le ministre de l’Economie allemand.

Le bras de fer que M. Tsi­pras enga­gea avec les créan­ciers, lui fut fatal et il accep­ta, in fine, leurs condi­tions dras­tiques qui plongent le pays socia­le­ment dans une pro­fonde détresse.

La fameuse « Troï­ka » est tou­jours pré­sente à Athènes et sur­veilles faits et gestes du gou­ver­ne­ment qui tente d’atténuer, dans la mesure du pos­sible, les effets de la poli­tique d’austérité. Para­doxe : la Grèce est obli­gé de conti­nuer à rem­bour­ser rubis sur ongle, grâce aux prêts du FMI et de la Banque cen­trale euro­péenne, des mil­liards de la dette sans pour autant pou­voir inves­tir pour réfor­mer le pays.

La ruse comme moyen d’action

Gior­gos Chon­dros cite un exemple de l’imagination qu’il faut pour contour­ner les dik­tats des ins­ti­tu­tions euro­péennes. Tout le monde se sou­vient de la longue lutte menée par les femmes de ménage du Minis­tère de l’Economie grec, licen­ciée par le pré­cé­dent gou­ver­ne­ment pour réduire le nombre de fonc­tion­naire. Spec­ta­cu­lai­re­ment, le gou­ver­ne­ment Syri­za les réem­bau­cha dès son élec­tion… au grand dam de la Troï­ka. Dans le pro­ces­sus de « nor­ma­li­sa­tion », Tsi­pras a accep­té que ces femmes de ménage soient à nou­veau licen­ciées en tant que « fonc­tion­naires »… mais elles furent réem­bau­chées comme sala­riés d’une coopé­ra­tive qu’elles ont créée. Certes, avec un salaire amoin­dri et ne béné­fi­ciant donc plus du sta­tut de la fonc­tion publique.

L’appel à l’économie sociale et soli­daire est le prin­ci­pal axe uti­li­sé par le gou­ver­ne­ment pour relan­cer l’économie car les inves­tis­seurs étran­gers ne se bous­culent pas à la porte. Une loi fut votée pour per­mettre la créa­tion de coopé­ra­tive à par­tir de 5 per­sonnes, béné­fi­ciant d’exonération de charges sociales et ne redis­tri­buant pas les béné­fices entre tous les coopé­ra­teurs. Ce pro­cé­dé a per­mis à de « léga­li­ser » toute une acti­vi­té soli­daire née dans la crise : les cui­sines col­lec­tives pour nour­rir les per­sonnes en dif­fi­cul­tés, des res­tau­rants soli­daires, des cli­niques fonc­tion­nant avec des béné­voles pour soi­gner gratuitement…

Tout cela existe encore de nos jours, preuve que rien n’a chan­gé fondamentalement.

Le membre du Comi­té cen­tral de Syri­za résume cela ain­si : « Le gou­ver­ne­ment essaie d’impulser une acti­vi­té pour créer de l’emploi, mobi­li­ser les jeunes pour qu’ils res­tent au pays, arri­ver à l’autonomie ali­men­taire du pays comme cela fut le cas avant la crise : à l’heure actuelle, la Grèce importe le lait et 70% de sa consom­ma­tion en viande… Dans un pays répu­té pour son éle­vage ! Même la pro­duc­tion d’huile d’olives est confiée de plus en plus sou­vent au mou­ve­ment coopé­ra­tif qui doit trou­ver son cir­cuit de dis­tri­bu­tion essen­tiel­le­ment grâce à la soli­da­ri­té des asso­cia­tions dans les pays européens.

Autre exemple : les coopé­ra­tives des can­tines sco­laires. Un nombre impor­tant d’enfants tom­baient d’inanition dans les écoles. La Troï­ka s’est oppo­sée à la réin­té­gra­tion de ce ser­vice dans la fonc­tion publique d’Etat ou ter­ri­to­riale : la règle était d’un seul rem­pla­ce­ment pour cinq licen­cie­ments, quel que soit le sec­teur concerné.

Le gou­ver­ne­ment sou­tient donc finan­ciè­re­ment la créa­tion des coopé­ra­tives sco­laires assu­rant au moins un repas par enfant : un fonds de 600.000 euros a été créé pour aider à la consti­tu­tion de ces structures.

Vers la fin des mesures austéritaires ?

Théo­ri­que­ment, selon le « mémo­ran­dum » impo­sé par la Troï­ka, les mesures d’austérité devraient prendre fin en août 2018. Le gou­ver­ne­ment Tsi­pras est en train d’élaborer un modèle de déve­lop­pe­ment pour des­ser­rer d’un cran le car­can qui pèse sur le peuple grec. « Dans ce plan, nous cher­chons les espaces dans les­quels on peut contour­ner les règles euro­péennes » dit Gior­gos Chon­dros. Entre autres pour relan­cer l’agriculture et venir en aide aux plus dému­nis. Le grand défi sera de convaincre les « ins­ti­tu­tions » qui veillent sans états d’âme sur la conti­nui­té des mesures d’économies de l’Etat.

Par exemple, 250.000 per­sonnes dému­nies reçoivent une carte ali­men­taire pour régler éga­le­ment leur loyer et leurs frais de san­té. La Troï­ka inter­dit cela !

« Pour nous, la vraie solu­tion est l’augmentation du salaire mini­mum : ce sera dif­fi­cile de convaincre les ins­ti­tu­tions mais sans cela, nous n’arriverons pas à relan­cer l’économie et obte­nir une crois­sance forte et durable », dit le membre du CC de Syriza.

« Il faut sor­tir de cette situa­tion : la Grèce a eu la potion la plus amère à ava­ler, bien plus que le Por­tu­gal ou l’Islande. Sans comp­ter la soli­da­ri­té et l’aide que nous avons appor­té aux réfu­giés qui conti­nuent de venir dans le pays : entre 200 et 500 per­sonnes chaque jour ! Les carences euro­péennes en la matière sont ter­ribles : aucun réfu­gié ne peut par­tir de son lieu d’arrivé en Europe sans qu’il soit réper­to­rié, et cela relève de la res­pon­sa­bi­li­té de la Com­mis­sion euro­péenne. Comme celle-ci ne met pas les moyens néces­saires pour trai­ter rapi­de­ment les dos­siers, les réfu­giés ne peuvent par­tir vers leur destination.

Sans oublier la conti­nui­té de l’effort mili­taire deman­dé à la Grèce au plus grand béné­fice des fabri­cants d’armes fran­çais, état­su­niens et alle­mands qui font peser un poids écra­sant sur le bud­get de l’Etat : Ce petit pays (11 mil­lions d’habitants) pos­sède plus de chars (1.300 tanks dont 170 « Leo­pard 2 » alle­mands) que l’Allemagne ou la Grande-Bre­tagne, cinq fois plus que la France.

Syri­za en difficulté

Le cadre impo­sé par l’Europe pour limi­ter l’action du gou­ver­ne­ment élu de la Grèce engendre des mécon­te­ments de plus en plus expri­més dans le pays. Contre Alexis Tsipras.

Evi­dem­ment, la droite « Nou­velle démo­cra­tie » s’en donne à cœur joie sur les pro­messes non tenues de la gauche, sur son impré­pa­ra­tion, son inca­pa­ci­té… En évi­tant soi­gneu­se­ment de rap­pe­ler que l’origine de cette catas­trophe éco­no­mique et sociale est avant tout de sa repon­sa­bi­li­té avec celles de sociaux-démo­crates du PASOK et les banques fran­çaises et allemandes.

Mais une par­tie de Syri­za, les syn­di­cats sont éga­le­ment très cri­tiques à l’égard du Pre­mier ministre.

Ain­si, le cinéaste Yan­nis You­loun­tas, proche des milieux anar­chistes, n’hésite pas à consi­dé­rer que « l’élection de Tsi­pras a été une catas­trophe. Après six mois d’agitation sté­rile aux côtés du pitre Varou­fa­kis, la « capi­tu­la­tion » de Tsi­pras a assom­mé une grande par­tie de la popu­la­tion. Un choc qui a pro­vo­qué une immense rési­gna­tion, une sorte de dépres­sion, d’apathie pro­fonde durant de longs mois pen­dant les­quels la plu­part des pires lois sont pas­sées comme une lettre à la Poste, sans résis­tance ou très peu. Même l’aile de gauche de Syri­za qui a fait séces­sion a été lami­née par le TINA (there is no alter­na­tive) de Tsi­pras et ses larmes de cro­co­dile à la télé grecque. Dans le mou­ve­ment social, avant son arri­vée au pou­voir, les avis à ce sujet étaient par­ta­gés. Mal­gré nos diver­gences fon­da­men­tales, cer­tains se disaient naï­ve­ment qu’il limi­te­rait un peu la casse en atten­dant mieux, (…). Depuis, nous avons pris acte et essayons d’activer la résis­tance et les soli­da­ri­tés sous de nom­breuses formes. L’Etat ayant aban­don­né la plu­part de ses pré­ro­ga­tives sociales pour ne gar­der que les plus répres­sives, nous pro­po­sons l’autogestion et l’auto-organisation par­mi les moyens non seule­ment de sur­vivre, mais aus­si d’expérimenter un autre futur ».

Mais une ques­tion sub­siste : le retour de la droite au pou­voir va-t-elle per­mettre au mou­ve­ment social de se régé­né­rer et de pro­po­ser à nou­veau une alter­na­tive poli­tique à un peuple qui a cru dur comme fer que la forte majo­ri­té don­né à Syri­za per­met­trait de ter­ras­ser Bruxelles ?

L’histoire récente grecque démontre la totale perte de sou­ve­rai­ne­té des pays face à des ins­ti­tu­tions euro­péennes qui méprisent la démo­cra­tie et ne croient qu’au dogme impo­sé par les règles capi­ta­listes. Se posent donc bien la capa­ci­té des forces qui veulent impo­ser une alter­na­tive éco­no­mique et social au pro­jet euro­péen, de s’unir et trou­ver des moyens d’actions convergentes.

La pro­po­si­tion de Jean-Luc Mélen­chon, le 1er février der­nier, d’  « exclure Syri­za de la Gauche euro­péenne pour com­plai­sance avec les mesures d’austérité » démontre que nous sommes loin du compte… Et que deviennent Pode­mos en Espagne, où est la gauche en Ita­lie… et en France ? Les peuples risquent de souf­frir encore un bon laps de temps s’ils attendent que « cela vienne d’en haut ».

Michel Mul­ler

 

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