Lors d’un des der­niers conseil des ministres, début mai, alors que les fameux obser­va­teurs annon­çait l’essoufflement de la grève des che­mi­nots,  le Pré­sident aurait assu­ré que « le train de réformes enga­gé par le gou­ver­ne­ment depuis main­te­nant des mois avait le sou­tien d’une majo­ri­té silen­cieuse des conci­toyens. » C’est le porte-parole du gou­ver­ne­ment, Ben­ja­min Gri­veaux, un sub­til mélange de Joyeux et de Sim­plet, qui l’a annoncé.

S’il y a bien une expres­sion qui per­met de dire tout et son contraire, voire de faire par­ler des mil­lions d’innocents qui n’ont pour­tant rien deman­der d’autre que d’être muets, c’est bien celle de « Majo­ri­té silencieuse ».

Pain bénit pour les poli­ti­ciens de tout bord, cham­pions de la rhé­to­rique indi­gente, en ces temps trou­blés de parole publique déva­lo­ri­sée, il est plus simple de faire par­ler ceux qui ne s’expriment pas pour leur faire dire ce qu’ils n’ont jamais dit, plu­tôt que d’écouter ceux qui ne sont pas contents et l’expriment en mani­fes­tant et en SE manifestant.

Autre expres­sion tout aus­si stu­pide :  qui ne dit mot consent ! A quoi consent-on en se tai­sant ? M. Macron et beau­coup d’autres qui uti­lisent ces pon­cifs consi­dèrent que les tai­seux sont d’accord avec l’ordre établi !

Cette expres­sion fait flo­rès dans les dis­cours poli­tiques, Machia­vel et Toc­que­ville par exemple ont dis­ser­té là-des­sus. Le pré­sident des Etats-Unis, M. Nixon a même fait, en 1969, un dis­cours qui est pas­sé à la pos­té­ri­té sous la déno­mi­na­tion « dis­cours de la majo­ri­té silen­cieuse » dans lequel il affirme d’une manière on ne peut plus péremp­toire que cette fameuse majo­ri­té le sou­tient pour mener la guerre au Viet­nam. On connaît la suite…

Il s’agit en réa­li­té d’un pro­cé­dé rhé­to­rique qui peut se déve­lop­per ainsi :

  1. Notre régime poli­tique prend ses déci­sions sur la base de la majo­ri­té des voix.
  2. Ceux qui se sont expri­més, pour nom­breux qu’ils soient, ne sont pas la majorité.
  3. Ceux qui n’ont dit mot consentent à l’é­tat actuel des choses.
  • Donc ceux qui s’ex­priment n’au­ront pas gain de cause.

Et voi­là com­ment on emballe le cadeau et on rem­barre ceux qui contestent.

J’ai lu quelque part une cita­tion, extraite du Coran qui dit : « Si ce que tu as à dire n’est pas plus beau que le silence, alors tais-toi ». Ce serait bien pra­tique d’imaginer que ceux qui ne parlent pas, le font car ils sont dotés d’une sagesse infi­nie. Bon, il faut beau­coup de man­sué­tude pour les humains pour pen­ser ainsi.

Mais alors, qui exprime ce que pensent « la majo­ri­té silen­cieuse » ? Macron ? Les syn­di­cats ? La France Insou­mise ? Le Front Natio­nal ? Evi­dem­ment, per­sonne ne le sait le moment don­né ! Donc tout le monde peut s’arroger d’être le porte parole de cette majorité…

Fau­dra-t-il donc attendre les pro­chaines élec­tions pour savoir pour qui s’exprime la majo­ri­té ? Oui, mais même dans les élec­tions, il y a une presque majo­ri­té silen­cieuse : ceux qui s’abstiennent qui dépasse par­fois la majorité!

Si fina­le­ment, en plus d’être silen­cieuse, la majo­ri­té n’était pas pen­sante du tout. Inca­pable de pen­sée com­plexe, inca­pable d’un pro­jet quel­conque, inapte à l’intellectualisation. Ce serait bien pra­tique, on pour­rait l’imaginer mou­tonne et docile. Voi­là qui arrange bien les achar­nés des réformes menées au pas de charge.

D’autres pour­raient dire par contre, que cette majo­ri­té est pro­fon­dé­ment intel­li­gente puisqu’elle rejette les dogmes et les pen­sées pré­éta­blies : elle ne veut pas faire le jeu de ceux qui veulent s’exprimer pour elle.

Elle est donc bien pra­tique cette « majo­ri­té silen­cieuse » qui, par défi­ni­tion, ne s’exprime jamais. Pour­tant le site d’information Atlan­ti­co (conser­va­teur, rap­pe­lons-le), l’a trou­vée : Le 23 avril der­nier, il affirme en par­lant de la grève des che­mi­nots: « On com­mence à obser­ver des signes de las­si­tude de la part des Fran­çais qui assistent impuis­sants aux dégâts pro­vo­qués par une mino­ri­té d’activistes. La majo­ri­té silen­cieuse pour­rait bien se réveiller. »

Ou bien serait-ce une légère manip de l’opinion publique d’un jour­na­liste qui affirme lui, « La majo­ri­té silen­cieuse existe, je l’ai rencontrée… »

Ou bien faut-il suivre Guy Bedos quand il dit que « Contre le camp de la majo­ri­té silen­cieuse, j’ai choi­si la mino­ri­té bavarde. »

Ou bien est-ce la majo­ri­té silen­cieuse qui a conduit à la déci­sion de ne pas construire un aéro­port sur le site de Notre-Dame des Landes ? Les Zadistes auraient donc été l’expression de la « majo­ri­té » et non pas d’une mino­ri­té agis­sante ? Et on nous aurait caché cela !

Et si tout cela n’était qu’un vaste enfu­mage et que la fameuse majo­ri­té silen­cieuse n’existe tout sim­ple­ment pas ?

Je pré­fère, pour ma part, croire que la seule majo­ri­té silen­cieuse réelle se trouve dans les cime­tières : majo­ri­té sans aucun doute, silen­cieuse, c’est confir­mé… Encore qu’il y en ait bien qui font voter les morts… Alors…

Michel Mul­ler