La FNAUT ( Fédération Nationale des Associations d’Usagers des Transports) fédère 160 associations locales ou régionales qui défendent les intérêts des usagers des transports. Particulièrement du transport public, d’où le terme d’ »usagers ». En effet, dans le cadre d’une approche uniquement commerciale du transport comme cela se passe dans le privé, on utilise plutôt le terme de « client ». C’est d’ailleurs ce que fait dorénavant la direction de la SNCF: elle ne parle plus d’usagers mais bien de client dans sa communication, pour bien faire comprendre que c’est est fini, pour eux, du service public du transport ferroviaire. Cette fédération d’usagers donc, veut « fédérer » un nombre important d’associations qui s’investissent particulièrement pour la défense du service public du transport et elles sont très souvent en accord avec la grève des syndicats de la SNCF qui se battent contre le changement de statut de l’entreprise nationale et le funeste avenir qui l’attend si la réforme de M. Macron passe. Mais la FNAUT a confondu défense des usagers et soutien au plan du gouvernement. Ce qui n’est pas du goût de certains de ses adhérents, entre autres l’association Thur Ecologie Transport, dont nous publions ici l’interpellation qu’elle a envoyée à la FNAUT et dont l’argumentation éclaire particulièrement bien les enjeux de la réforme en cours. Et, fidèle à notre attachement au pluralisme de l’information, nous publions la réponse du vice-président de la FNAUT.
La FNAUT (Fédération Nationale des Associations d’Usagers des Transports), supplétive de l’État et de la direction de la SNCF ?
C’est avec consternation, pour ne pas dire plus, que le comité directeur de l’association Thur Ecologie & Transports, a pris connaissance du communiqué de presse de la FNAUT du 11 mai dernier (1).
Sous son titre : « La grève des cheminots a assez duré, les voyageurs sont à bout. Elle doit cesser rapidement, sa prolongation est dangereuse pour l’avenir du rail. » (sic), la fédération estime que si les usagers du train subissent cette lourde tracasserie, ce sont les grévistes qui en portent la responsabilité, exonérant la direction et surtout l’État de leur responsabilité pleine et entière de la situation lamentable de la SNCF.
Tout le monde sait que la dette financière de la SNCF incombe totalement à l’État, mais aussi aux très nombreux élus locaux de gauche comme de droite, qui lui ont imposé de réaliser des lignes TGV et LGV sans lui donner les moyens financiers, en l’obligeant à emprunter massivement sur les marchés financiers qui se gavent sur le dos de la « bête » ! Le statut des cheminots représentant peanuts dans cette histoire !
En parallèle, le 3 mai déjà, FNAUT et CNCAUT (2) prennent une initiative convergente : réclamer le remboursement des abonnements pour le TGV, l’Intercité, le Transilien, le RER et le TER. Voilà en effet une revendication méritoire, sur le plan moral, communicatif, et après tout légitime. Mais autant cracher en l’air…
Pour ce créneau, c’est la FNAUT qui « prend le train en marche », la CNCAUT (sauf erreur) vient d’être créée en réaction au projet de la grève perlée des cheminot-es, avec le soutien de FNAUT locales. Enfin, son bureau national soutien la jeune coordination, concurrente. Les deux structures ont fait une pétition, réclamant la fin de la grève, et auraient récolté 67 000 signatures. Cela paraît impressionnant, soit ! Mais comparé aux 4,5 millions de voyageurs quotidiens, cette « représentativité » reste après tout marginale (env. 1,5 %) ; d’autant plus, en la comparant avec le taux de grévistes des personnels SNCF, certainement bien plus honorable. Et que dire alors du sondage/référendum organisé par les syndicats du chemin de fer (95 % sur 61 % de salarié-es votant-es, contre la réforme ?).
Que dire ? Mais simplement que c’est le jusqu’au-boutisme de l’État qui met en danger l’avenir du rail, et qui méprise les usagers. Et pourquoi pas, rappeler également que des usagers solidaires des cheminot-es, même s’ils/elles sont minoritaires, ne comptent pas pour du beurre.
De l’insupportabilité pour les voyageurs
L’offensive générale du président Macron et de LREM sur l’ensemble du champ social, si elle arrive à terme, « tiersmondisera» une grande majorité des classes populaires. La « réforme » de la SNCF – sous la pression, ou non, de la Commission de Bruxelles – n’est qu’une pièce du puzzle macronien, essentielle dans le cadre des rapports entre le pouvoir et le monde du travail. Le bureau national de la FNAUT ne saurait l’ignorer.
Celle-ci ne pipe mot d’ailleurs sur la question du statut des cheminot-es, faut-il en déduire son désintérêt pour les questions contractuelles des travailleurs et travailleuses de ce pays ?
La « direction » de la FNAUT exprime pourtant son souci dans son communiqué de presse, précisant que « les plus pénalisés sont les salariés modestes, travailleurs précaires, étudiants, lycéens (…) ». Elle aura alors de quoi se soucier après le passage d’E. Macron à l’Élysée !
Du danger pour le système ferroviaire
Prétendre que le chemin de fer est en danger par la faute des grévistes, c’est fort de café : les retards endémiques des trains sont dus à l’organisation de la production et certainement pas à une raison statutaire. La déception de nombreux voyageurs est aussi en partie due à cette organisation, ainsi qu’aux très mauvais entretien du réseau dans de nombreuses régions, hors du réseau TGV.
Affirmer que la grève oblige la direction de la SNCF à emprunter pour son fret les camions, est une véritable provocation !
Personne aujourd’hui, pour qui s’y intéresse, n’ignore que c’est bien cette dernière qui tue à petit feu le fret rail. Rappelons que la SNCF a pour filiale Géodis, entreprise de plus de 10 000 poids lourds, soit le plus important transporteur routier français.
Rappelons surtout, qu’après avoir atteint le maximum en valeur absolue en 1974 avec 72,4 Milliards de tonnes/km de marchandises avec le rail, il n’en est plus qu’à 32 Mds en 2013, dont 40 % sont transportés par des concurrents privés (Euro Cargo Rail, VFLI, Europorte et T3M), alors qu’en 40 ans les échanges de biens ont explosé.
Le fret rail est structurellement en baisse au fur et à mesure de l’accroissement du fret routier. En 1950, le taux pour le transport de marchandises par rail était de 60 %, il tombe à 25 % en 1985, pour émerger à peine à 9 % actuellement.
L’État cherche éperdument à rentabiliser le rail, ou plutôt, à éponger ses dettes, dont il a en partie hérité. Mais plutôt que de fiscaliser ce moyen de transport, il organise d’une part le démantèlement du fret et un investissement monstre pour le TGV, et d’autre part, il taxe le transport individuel (la voiture) pour investir dans les autoroutes qu’empruntent les camions.
Rappelons encore que pour réduire la dette, depuis des années, l’État propose le démantèlement avec la privatisation des secteurs rentables. Or les investisseurs privés ne se bousculent pas pour promouvoir le fret rail, tant que le transport routier ne sera pas régulé (taxe carbone, dumping social…), et sans soutien politique et financier de l’UE.
Les caisses sont vides, les coffres sont pleins
L’investissement du TGV et des LGV s’est opéré au détriment du « réseau secondaire » (Intercité, TER…) sans amoindrir la dette. Celle-ci aura profité aux marchés financiers : en 2010, SNCF Réseau investit 3,2 Mds d’euros tout en percevant 2,2 Mds de subventions. Il faut donc emprunter sur les marchés pour trouver le milliard manquant. Deux ans plus tard, les investissements s’élèvent à 4,3 Mds/€, alors que l’État ne libère que 1,2 Md. Nouvel emprunt.
En 2015, alors que la SNCF doit débourser 5,3 Mds, elle n’en reçoit de l’État qu’1,1 Md. Cette même année, les subventions ne couvrent que 23 % des besoins. Le recours à l’emprunt ré-augmente. Depuis, les subventions consenties par l’État restent largement inférieures aux montants des travaux… C’est pourtant bien l’État qui ordonne ! « En 2017, 5,4 Mds/€ ont été investis pour la régénération du réseau. 2,2 Mds fut versés par l’État. Le reste en emprunt », selon J. R. Delépine du syndicat Sud rail (3).
A ce système structurellement déficitaire, s’ajoute le fait qu’« SNCF Réseau doit payer les intérêts de sa dette passée », selon A. Coldrey, économiste. « Or, elle n’a plus aucune ressource pour payer ces intérêts puisque celles-ci ont été utilisées pour l’investissement : elle doit donc s’endetter pour les payer. » Ces dix dernières années, la charge de la dette – 10,3 Mds/€ seulement pour les intérêts – pèse plus lourd que l’entretien et le développement du réseau – 7,2 Mds/€ !
« Quand la SNCF emprunte 100 € pour le réseau, elle ne peut en utiliser que 41. Les 59 restants sont ponctionnés par le système financier », détaille A. Eymery, du cabinet Degest.
Usagers ou clients ?
Le bureau fédéral de la FNAUT est bien renseigné sur la politique ferroviaire imposée par l’Etat. Alors pourquoi taper sur les grévistes ? Par démagogie ? Ou bien alors, le « sommet » fédéral a‑t-il « épousé » la doxa néo libérale, faisant le choix d’un consumérisme du voyage au détriment d’un service public de qualité (pour les usagers), et de la défense des salarié-e‑s ? Vu que c’est l’inverse qu’a choisi l’État et la direction des chemins de fer : tout pour le TGV ! Dans ce cas, la FNAUT doit changer de nom, remplacer usagers par clients.
Par ailleurs, la FNAUT encourage l’ouverture à la concurrence du réseau ferré, prétendant que cette évolution ira dans le bons sens pour les usagers/clients (forcément, qui dit concurrence, accepte le règle concurrentielle). Ainsi, la fédération assume la compétition entre tous et toutes. Faisant fi des positions de ses associations membres telle que Thur Écologie & Transports, qui au contraire, encourage plutôt les grévistes à tenir afin que l’État revienne sur sa politique sournoise au profit de la spéculation, du tout routier pour les marchandises et du mépris de l’effet de serre. L’«ouverture à la concurrence », en amont de la privatisation future de lignes les plus rentables (et de la suppression de 9 000 km de voie moins rentable, quoi qu’en dise le 1er Ministre) ne garantit en rien les vœux formulés par la FNAUT : il suffit de se retourner sur toutes les privatisations déjà opérées par le passé, pour constater des dégâts sociaux conséquents. Là où la libération du marché est faite, les prix se sont substantiellement accrus, en France comme chez nos voisins. Quant à son efficacité structurelle et technique, on ne compte pas que des prouesses chez nos voisins européens pour le rail, loin s’en faut. C’est même l’inverse, par exemple la Suède qui a libéralisé le rail il y a 30 ans : les usagers, fatigués des retards et des suppressions de trains, demandent la renationalisation du réseau !
En conclusion
Les instances de la FNAUT, plutôt que de publier un communiqué de presse assassin, sans l’aval de ses associations membres, devraient se ressaisir et soutenir avec fermeté la lutte des cheminot-es, tout en informant les usagers que pour l’avenir du train et du service qu’il leur rend, ils et elles sont en droit également de les soutenir. Comme l’ont fait Reagan aux USA et Thatcher au Royaume Uni, l’attaque contre les cheminot-es consiste à vouloir faire plier les organisations des salarié-e‑s les plus puissantes, afin de s’ouvrir un boulevard pour des réformes encore plus sévères, face à une résistance fragilisée. Ainsi, c’est tout le service public français qui suivra !
Pour Thur Ecologie & Transports,
Jano Celle
(1) Fédération nationale des associations des usagers du transport :
https://www.fnaut.fr/actualite/communiques-de-presse/657-la-greve-des-cheminots-a-assez-dure-sa-prolongation-estdangereuse-
pour-l-avenir-du-rail
(2) Coordination nationale des collectifs et associations des usagers du transport. http://www.sosusagers.
com/commu/index.php/2018/04/29/858-greve-la-cncaut-coordination-nationale-des-collectifs-et-associationsreclame-
une-veritable-indemnisation#co
(3) DetteSNCFBasta3avril2018 (sur le site de Bastamag).
La réponse de Jean Sivardière, vice-président de la FNAUT
Je souhaite répondre aux critiques qui visent la FNAUT et ses positions récentes lors de la grève des cheminots.
Une association d’usagers des transports – et c’est bien le cas de la FNAUT – ne peut être marquée politiquement, à droite ou à gauche, si elle veut disposer d’une certaine influence auprès des décideurs politiques (nous avons été reçus récemment, deux fois, par le Premier ministre et avons été écoutés attentivement, précisément parce que notre réflexion est indépendante).
- Le rôle premier d’une association est de défendre les usagers, occasionnels ou réguliers. C’est la raison pour laquelle la FNAUT a souligné dans son communiqué la pénalisation des usagers par une grève dont les modalités ont été choisies par les syndicats (ils l’ont reconnu explicitement) pour gêner les voyageurs au maximum et peser ainsi sur le gouvernement. C’est un fait qui n’est pas contestable. Les usagers franciliens sont particulièrement pénalisés.
Et quand la FNAUT a demandé aux syndicats d’accepter un « service minimum librement consenti » (au moins quelques trains sur chaque ligne aux heures de pointe), ils ont refusé catégoriquement (la CGT) ou n’ont même pas réagi (les autres syndicats ayant appelé à la grève : UNSA, CFDT et Sud Rail).
- Son deuxième rôle est de défendre la cause des transports publics. C’est la raison pour laquelle la FNAUT a souligné les effets pervers de la grève prolongée à moyen terme : une partie des usagers va s’habituer à d’autres modes de transport et se détourner du train (comme l’a fait remarquer le patron de Blablacar, les usagers ont découvert le covoiturage lors de la grève de 1995 et, depuis cette date, le covoiturage est devenu un très sérieux concurrent de la SNCF, au même titre que le car Macron).
C’est aussi le cas des chargeurs : l’expérience montre que quand un chargeur doit se tourner vers la route, c’est le plus souvent pour toujours. La grève, qu’on l’approuve ou non, aura pour conséquence davantage de camions sur les routes et moins de recettes pour fret SNCF ; elle sabote par avance le (très peu volontariste) plan de relance du fret lancé par la ministre des Transports. Rappel : un train complet = 50 camions.
- Le rôle d’une association d’usagers n’est pas de défendre les salariés des entreprises de transport : c’est celui des syndicats. A noter que, volontairement, la FNAUT ne s’est pas prononcée sur le statut des cheminots qui, à vrai dire, est un problème secondaire : l’essentiel des surcoûts de production de la SNCF est dû à la réglementation du travail (horaires de travail, absence de polyvalence des agents, sous-utilisation du matériel roulant).
- Le rôle d’une association d’usagers n’est pas de relayer des positions politiques : c’est celui des partis politiques. La FNAUT n’est pas la France insoumise ou le PCF, elle a des statuts précis à respecter et n’a pas à s’inscrire « dans une lutte globale contre un modèle de société qui sous prétexte d’efficacité met à mal des acquis conquis et offre à des intérêts privés des biens communs ». Elle n’a pas non plus à promouvoir une politique « ultra-libérale ».
A ce propos, je souhaite préciser que l’exploitation du TER en délégation de service public (DSP), que la FNAUT réclame depuis son colloque de Tours (octobre 1992) sur l’avenir des lignes régionales et qui va enfin voir le jour, n’a rien à voir avec une privatisation de biens communs (en Allemagne, et c’est prévu aussi en France, c’est la région qui conserve la maîtrise de l’offre et de la tarification, la propriété de l’infrastructure restant publique, l’opérateur privé ou la SNCF n’étant qu’un exécutant). Parle-t-on de privatisation des transports urbains, eux aussi exploités en DSP à l’exception de quelques rares régies (Marseille)?
Le texte ci-dessous, à paraître dans FNAUT Infos, précise le positionnement de la FNAUT au cours de la grève.
Bien cordialement
Jean Sivardière
La FNAUT a réaffirmé son indépendance
La FNAUT n’a pas hésité à critiquer au cas par cas les syndicats et le gouvernement si elle l’estimait nécessaire dans l’intérêt du rail et de ses usagers.
Concernant les syndicats, qui l’ont ignorée, elle a critiqué leur manque évident de respect des voyageurs et des chargeurs malgré leur discours répétitif sur « le service public ferroviaire », leur vision monopolistique et dogmatique du rail, leur hostilité de principe à la concurrence (même régulée) assimilée à une privatisation, leur refus d’admettre que la concurrence a des aspects très positifs, même en Grande-Bretagne.
La FNAUT n’a pas pris position sur le statut des cheminots ; elle estime en effet que les conflits sociaux entre cheminots, SNCF et Etat, ne concernent pas directement la politique des transports et ne relèvent pas de sa compétence.
A noter que les économies à attendre de l’extinction du statut font l’objet d’évaluations contradictoires : 100 millions € par an pendant 10 ans selon la ministre, 10 fois moins selon la SNCF ; certains économistes annoncent même un coût (de fait on ne peut rien dire tant que la convention collective ferroviaire n’aura pas été négociée ; la FNAUT a défendu le principe d’une telle convention qui met tous les cheminots, publics et privés, sur un pied d’égalité). Mais l’essentiel pour abaisser les coûts de la SNCF est hors statut, c’est la réglementation des horaires de travail, la polyvalence des agents et une utilisation plus intensive du matériel roulant.
La FNAUT a aussi souligné ses convergences avec les syndicats : reprise de la dette, manque d’investissement sur le réseau et les petites lignes, conditions de concurrence entre modes, stratégie malthusienne de la SNCF, incessibilité du réseau ferré.
Quant au gouvernement, la FNAUT a critiqué une approche essentiellement financière, l’absence de projet mobilisateur (environnement, desserte territoriale), l’extinction du statut avant l’adoption d’une convention collective et le refus des franchises proposées pour réguler la concurrence Grandes Lignes.
La FNAUT a par contre apprécié l’introduction de la concurrence régulée pour le TER selon le modèle allemand bénéfique pour les contribuables, les voyageurs et même les cheminots, la hausse des investissements sur le réseau (même si elle reste très éloignée de l’optimum), le désaveu du rapport Spinetta sur les petites lignes, la promesse d’une reprise de la dette par l’Etat, le dialogue établi avec le Premier ministre et la ministre des Transports.