A l’instar de l’école, ver­ra-t-on long­temps encore l’hôpital public comme la pépite pla­cée au fir­ma­ment du ser­vice public à la fran­çaise ? Il y a lieu de se poser la ques­tion, tant les per­son­nels qui l’animent quo­ti­dien­ne­ment n’y sont pas tou­jours logés à la meilleure enseigne, loin s’en faut. Il arrive même que l’hospitalité à géo­mé­trie finan­cière de ce type d’é­ta­blis­se­ment public assèche quelque peu ses modestes res­sources en simple huma­ni­té, devant l’étendue des souf­frances pro­fes­sion­nelles et morales endu­rées depuis long­temps par nombre de leurs valeu­reuses blouses blanches.

En témoigne, encore aujourd’hui, la piètre qua­li­té des offres d’emploi d’a­gents hos­pi­ta­liers contrac­tuels, en pro­ve­nance du ser­vice des res­sources humaines du GHRMSA (Groupe Hos­pi­ta­lier de la Région de Mul­house et Sud Alsace), retrou­vées ces der­niers jours sur le site de Pôle-emploi .

Ain­si, l’on recherche un(e) assistant(e) pour le ser­vice du per­son­nel, qui doit notam­ment « par­ti­ci­per à la ges­tion de l’ab­sen­téisme de l’en­semble du per­son­nel non-médi­cal de l’é­ta­blis­se­ment, assu­rer le relais entre les béné­fi­ciaires C.G.O.S. [comi­té de ges­tion des oeuvres sociales] du GHRMSA et la délé­ga­tion régio­nale de Stras­bourg, ins­truire et gérer les demandes de congés boni­fiés ou assu­rer à la demande de sa hié­rar­chie des pres­ta­tions diverses de ges­tion RH ».

En termes de savoirs et savoir-faire, le ou la pos­tu­lante devra : « actua­li­ser des pro­ces­sus, des méthodes et outils de ges­tion, conce­voir des sup­ports de sui­vi et de ges­tion, admi­nis­trer des dos­siers indi­vi­duels de sala­riés, connaître la légis­la­tion sociale, et réa­li­ser des décla­ra­tions régle­men­taires ». Un niveau uni­ver­si­taire Bac+2 est requis pour les candidat(e)s, ce qui paraît pour le moins nécessaire.

Par ailleurs, sont pro­po­sés un poste d’aide soignant(e) diplômé(e) d’État, et un ou une agent des ser­vices hos­pi­ta­liers, titu­laire d’un Bac professionnel.


Allô ton­ton ? Pour­quoi tu tousses ? 

 

Sau­rez-vous devi­ner ce que ces 3 offres d’emploi ont en commun ?

Une dis­crète ligne intro­duite au bas de l’annonce exhale le pot aux roses: « Can­di­da­ture avec lettre de moti­va­tion + cv accom­pa­gnée de la vali­da­tion de l’é­li­gi­bi­li­té au contrat aidé exi­gé ».

Voi­là donc. Non content de récla­mer du per­son­nel qua­li­fié et diplô­mé d’État, le grou­pe­ment hos­pi­ta­lier de Mul­house exige de ces impé­trants qu’ils soient éli­gibles à un contrat aidé !

Le contrat aidé de vigueur ici est le CUI-CAE (contrat unique d’insertion/contrat d’accompagnement dans l’emploi), réser­vé au sec­teur non marchand.

Le minis­tère de l’économie en pré­cise ain­si la nature : « Le CUI-CAE s’a­dresse aux per­sonnes ren­con­trant des dif­fi­cul­tés par­ti­cu­lières d’ac­cès à l’emploi, qu’elles soient sociales ou pro­fes­sion­nelles, sans limite d’âge : chô­meurs de longue durée, béné­fi­ciaires des mini­ma sociaux, tra­vailleurs recon­nus handicapés… »

Voi­ci son prin­ci­pal inté­rêt : « une aide à l’in­ser­tion pro­fes­sion­nelle, qui peut atteindre 95 % du mon­tant du Smic horaire brut (ou même 105 % pour les ate­liers et chan­tiers d’in­ser­tions conven­tion­nés par l’État), pen­dant 24 mois au maxi­mum ». Ajou­tons à cela des exo­né­ra­tions de taxes et coti­sa­tions diverses.

Dans cette pers­pec­tive, le cal­cul à court terme pour les res­sources humaines du grou­pe­ment mul­hou­sien consiste sans doute à rem­pla­cer, à coût éco­no­mique qua­si-nul ou indo­lore, du per­son­nel man­quant pen­dant quelques semaines (c’est le cas pour les postes d’aide soignant(e) et d’agent des ser­vices hos­pi­ta­liers, qui sont tous deux pro­po­sés sous la forme d’un CDD de 2 mois), ce qui est tout d’a­bord illé­gal, puisque la durée mini­male d’un CDD en contrat aidé est de 6 mois, et en escomp­tant de fait, cyni­que­ment, sur les néces­saires et durables dif­fi­cul­tés éco­no­miques et sociales des candidat(e)s diplô­més, qui seules les ren­draient alors éli­gibles aux contrats aidés !

Dans le même ordre d’idée, notons la par­ti­cu­lière mes­qui­ne­rie du même ser­vice, lequel recherche à son béné­fice un ou une « assistant‑e en res­sources humaines » sous contrat de tra­vail à durée indé­ter­mi­née, de niveau uni­ver­si­taire Bac+2, et donc… en contrat aidé, bien sûr !


Vol au-des­sus d’un nid de loulous

 

Autre­ment dit, l’établissement entre­prend de dévoyer déli­bé­ré­ment un dis­po­si­tif public d’aide à l’emploi, ciblé en faveur des exclus du mar­ché du tra­vail, et en conçoit une simple variable d’ajustement comp­table, et de flexi­bi­li­sa­tion com­mode du per­son­nel contrac­tuel qua­li­fié et diplômé.

Cela, alors même que les sup­po­sés « vrais » béné­fi­ciaires des contrats aidés dis­posent à peine d’un niveau de for­ma­tion CAP pour 55% d’entre eux, et BAC pour 17% (Source: étude OPCALIA 2016). Ils doivent de ce fait béné­fi­cier impé­ra­ti­ve­ment d’actions de for­ma­tion, puisque celles-ci leur font défaut, et plus encore d’un véri­table tuto­rat pro­fes­sion­nel, tout le long de la durée du contrat de tra­vail, ain­si que le pré­voit la réglementation.

Certes, le finan­ce­ment alloué n’est ser­vi que pen­dant 24 mois au maxi­mum, mais rien n’interdit de réamor­cer le dis­po­si­tif au terme de la période. Voi­là quelques juteuses éco­no­mies aisé­ment réa­li­sées sur le bud­get de fonc­tion­ne­ment du grou­pe­ment hos­pi­ta­lier, et, acces­soi­re­ment, sur le dos du petit per­son­nel qualifié !

Pas de chance encore pour ces sala­riés low cost: ils sont exclus du cal­cul pour la déter­mi­na­tion de l’ef­fec­tif moyen dans l’é­ta­blis­se­ment de tra­vail, puisque le titu­laire de l’un de ces contrats reste néces­sai­re­ment ins­crit à Pôle-emploi, en tant que chô­meur de caté­go­rie E (« per­sonnes en emploi non tenues de recher­cher un emploi » !). Donc, pas d’ac­cès aux béné­fices offerts par le comi­té d’en­tre­prise, par exemple. Mais les employeurs ont le droit de prier pour eux lors des fêtes de Noël…

Mais par-delà le recours abu­sif aux contrats aidés, nos lec­teurs doivent savoir que près de 10 % des annonces d’emploi dépo­sées sur le site de Pôle-emploi, sont non-conformes à la légis­la­tion du tra­vail, selon une enquête interne réa­li­sée par l’agence pour l’emploi en 2017. C’est près de 50 %, selon la CGT.

Rap­pe­lons enfin que Pôle-emploi ne contrôle plus a prio­ri les offres enre­gis­trées sur son site depuis l’année 2014. Ce sont en effet des algo­rithmes et une intel­li­gence arti­fi­cielle qui ont pris la relève de l’humain, et se chargent, avec quelques dif­fi­cul­tés on l’a vu, d’écarter les employeurs dou­teux et opportunistes…

Vous repren­drez bien un p’tit Valium ?

Ajout : selon la for­mule consa­crée, le ser­vice des res­sources humaines du GHRMSA n’a pas don­né suite à nos ques­tions sur le sujet. 

Par ailleurs, la rédac­tion tient copie des annonces d’emploi men­tion­nées dans l’article.