La roue tourne, et rien ne va plus ! Il y a 11 ans, quasiment jour pour jour, nous publiions dans la revue satirique « Klapp68 », un billet d’humeur sur le cinéma Kinépolis Mulhouse, installé à Mulhouse depuis 1999, alors que le cinéma « le Palace » venait de se (ré)installer sur l’avenue de Colmar.
Bienvenue à Kinéairport
Nous étions en effet nombreux à endurer péniblement l’indigence crasse d’une programmation strictement commerciale, qui tenait lieu de politique uniforme dans ce super-complexe de 14 salles. Tout y était toujours proposé en langue française doublée. Mais c’était avant tout les conditions d’accueil de cette espèce d’aéroport dédié au 7ème art et aux effluves de gras sucrés, qui nous semblaient les moins susceptibles de nous transporter au 7ème ciel cinématographique. Le retour du Palace nouvelle formule survenait donc à point nommé, d’autant que ce cinéma de centre-ville réhabilitait le lieu cinéphilique dans son écrin le plus avantageux, au travers de petites salles agréables et humaines, servi par une programmation de choix, notamment en version originale.
Palace flottant vers le fond
Ironie du sort, l’avenir du Palace est aujourd’hui à nouveau sur la sellette. Les informations reçues de la part de l’exploitant sont pour le moins inquiétantes, de sorte qu’il semble ne plus savoir quoi faire de son cinéma, apparemment seul déficitaire de son groupe. Le nombre d’entrées est en baisse de 20% cette année, et le déficit se chiffrerait à « plusieurs millions d’euros ». L’année 2017 aura agrégé 132 773 spectateurs, soit loin des 180 000 nécessaires pour le maintenir à flot. Plusieurs restructurations ont réduit progressivement le personnel de fonctionnement à 3 salariés. Des salariés qui naviguent à vue et portent seuls le fonctionnement d’un établissement qui se dégrade de toute évidence. Pour Marie-Laure Couderc, PDG du groupe C2L, exploitante en titre, il a déjà été question de le céder en janvier 2018. La voici qui se récrie soudainement en ce mois de septembre 2018 : « pour l’instant, on le garde », confie-t-elle benoîtement au journal « L’Alsace ». Une réplique digne d’un film de mafieux à propos d’un infiltré que l’on s’apprête à supprimer !
Stéphanie Pain, directrice du cinéma associatif d’art et d’essai Bel-Air (et qui fut directrice du Palace à sa réouverture), admet être intéressée par une reprise, mais à condition de « le redimensionner et faire un travail constructif avec Kinepolis »… (« L’Alsace » du 13 janvier 2018). Compte tenu l’empressement de la ville à entreprendre effectivement l’agrandissement promis du Bel-Air, il y a lieu de s’interroger sur les errements et les promesses non suivies d’effets et de travaux de Michel Samuel Weiss (adjoint à la culture) sur ce dossier (notre édition du 8 décembre 2016). Si bien qu’il parait difficilement envisageable de voir sérieusement le cinéma Bel-Air sortir de la disette où le confine une municipalité peu soucieuse de servir ses légitimes ambitions. Et moins encore dans le bâtiment de l’avenue de Colmar…
Touchez bien le grisbi !
Mais le plus grave des errements municipaux consiste en la gabegie d’argent public augurée par les subventions allouées par la ville à l’exploitant, en octobre 2016 et mai 2017, pour un montant total de 90 500 euros, notamment aux fins d’un « soutien accordé pour les travaux liés à la vétusté des bâtiments ». Ces derniers laissant en effet à désirer, outre un système de chauffage défaillant. Or ces travaux n’ont, semble-t-il, jamais été entrepris, et la ville n’a jusqu’ici pas considéré qu’il y avait là de quoi s’interroger sur la destination réelle de cet argent public !
Sans compter que quelques soient les choix opérés par la ville de Mulhouse en matière d’offre cinématographique, ils restent hautement hypothéqués par la perspective de voir s’installer prochainement un nouveau complexe à Wittenheim, géré par le groupe cinéville, et surtout un projet de complexe pourvu de 7 salles à Cernay, porté par la société ciné croisière (laquelle gère également le complexe « Le Florival » à Guebwiller), dont le dossier a été validé en avril 2017 par la commission départementale d’aménagement cinématographique (CDACi), réunie à la préfecture du Haut-Rhin…
Vue panoramique sur le parking du futur complexe de Cernay (au fond à gauche)
Pavillons marchands
Ceci laissant à penser que l’offre cinématographique qualitative risque de pâtir définitivement d’un évitement social, par ailleurs coutumier pour la ville, suivi d’une hémorragie continue de la fréquentation, à mesure que les clients gagneront définitivement les établissements de la périphérie. Sans doute à la recherche de conditions d’accueil améliorées, dont notamment une intégration verticale des services marchands (restaurants, aires de jeux, négoces ou loisirs divers) qui ceintureront inévitablement les complexes cinématographiques en construction, et qui, à l’instar de Kinépolis, se destinent avant tout à un public familial…
Ce qui renvoie à la question des équipements et des modalités d’une offre culturelle autonome, accessible et viable, dans un contexte aussi difficile qu’une grande ville de tradition ouvrière, sujette à toutes sortes de préjugés détestables de la part de ceux qui préfèrent la conspuer depuis leurs murailles pavillonnaires, que la défendre en raison de sa singularité dans le paysage alsacien.
Ciné bas
A la roulette de la vie culturelle mulhousienne, il est donc improbable que les amateurs d’un cinéma un tant soit peut exigeant y gagnent dans les prochains temps. Ils pourraient même y perdre ! Entre trois ou quatre complexes-attrape-blockbusters-sans-âme, qui règneront en maitres incontestés sur l’offre cinéma de la grande agglomération mulhousienne, existera-t-il encore un espace et des garanties offertes aux petits indépendants et aux structures associatives, garantes d’une offre diversifiée, où curiosité, expérimentation et engagement auraient pareillement droit de cité, au même titre que l’efficacité ou la profitabilité des industriels du divertissement grassement indigeste, qui maculent toujours plus nos toiles enchantées ?
En somme, une offre culturelle est-elle une offre marchande comme une autre ? Si la réponse est oui, oublions définitivement « l’exception culturelle », dont aiment à se gargariser nos politiciens pyromanes, et laissons les violences sociales, politiques et technologiques, nous mettre à sec.
Seulement une question, n’étant pas de Mulhouse. Quand vous parlez de « la gabegie d’argent public augurée par les subventions allouées par la ville à l’exploitant » s’agit-il du Bel Air ou du Palace ?
Cordialement
MC
Bonjour,
Il s’agit bien de l’exploitant du Palace, à destination duquel la ville a consenti une subvention de 90 500 euros.
Cordialement.