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Fosse d’im­pres­sion très septique

En novembre 1992, une réunion a lieu à Kin­ger­sheim, enté­ri­nant l’exécution par­tielle des dis­po­si­tions de l’arrêté pré­fec­to­ral de remise en état des lieux (confor­mé­ment aux articles 83 à 85 du Code minier), ain­si que l’on ver­ra plus bas. 

Il s’agissait de parer au plus urgent : net­toyer les dépôts et reti­rer les gros objets, forts visibles sur les pho­tos de l’époque. Pour célé­brer le pas­sage de la mère Denis, il fal­lait éga­le­ment nive­ler les déchets et recou­vrir le tout de bonne terre végé­tale avec enga­zon­ne­ment ou végé­ta­li­sa­tion des berges du plan d’eau.

De quoi pique-niquer en toute quié­tude, ber­cé par le doux rico­chet du vent contre une eau infes­tée de pol­luants, même pas digne de ser­vir d’eau de vidange pour les toilettes… 

Le compte ren­du fait état des deux hypo­thèses envi­sa­gées à la suite de ces tra­vaux d’enjolivement succincts. 

Va-ton com­bler la décharge ou la lais­ser en eau ? 

Quoi qu’il en soit, c’est la fin de l’usage dévoyé pour cette gra­vière phréa­tique décla­rée ori­gi­nel­le­ment en 1955, et dont l’exploitant, la socié­té Ger­teis, avi­sait à peine 5 ans plus tard la muni­ci­pa­li­té kin­ger­shei­moise qu’elle met­tait un terme à son exploitation !

C’est dire si la fonc­tion de dépo­toir muni­ci­pal fut, de loin, la plus durable sur un site, au sujet duquel l’arrêté pré­fec­to­ral d’autorisation, après enquête publique (décret n°79–1108 du 20.12.1979), n’a pas été retrouvé… 

Dans l’entre-temps, on ins­talle des pié­zo­mètres en aval et en amont. Ce sont les MDPA qui, en liai­son avec la DDAF (aujourd’hui Direc­tion dépar­te­men­tale des ter­ri­toires), sont char­gées de défi­nir les endroits les plus sus­cep­tibles de les accueillir. 

Le coût est déjà à consi­dé­rer sérieu­se­ment, car il n’est pas négli­geable : 71 000 francs HT (soit 11 000 euros envi­ron) par exemple, pour un seul pié­zo­mètre pla­cé à 20 mètres de profondeur. 

Et le sol de la com­mune de Kin­ger­sheim est par­ti­cu­liè­re­ment jon­ché de ces dis­po­si­tifs tech­niques d’analyse des eaux sou­ter­raines, tant il recèle de sub­stances poten­tiel­le­ment toxiques. 

Des pou­belles et des hommes

Le secré­taire du SIVOM Wiki­ru de l’époque, et ancien secré­taire géné­ral de la mai­rie le pré­ci­sait déjà en 1992, en expo­sant un bref his­to­rique de la ges­tion des ordures ména­gères dans la commune. 

Pour ceux qui doutent encore de la cor­ré­la­tion étroite entre adve­nue de la socié­té de consom­ma­tion et pro­duc­tion expo­nen­tielle du déchet, M. Kauff­mann se veut clair : avant 1950 il n’y avait pas de trai­te­ment col­lec­tif des déchets, car les habi­tants en pro­dui­saient très peu. La seule pra­tique lar­ge­ment par­ta­gée était le com­pos­tage, que l’on redé­couvre pro­gres­si­ve­ment aujourd’hui.

La pro­duc­tion indus­trielle aug­men­tant au cours des années 50, une col­lecte est amé­na­gée à Kin­ger­sheim, une fois par semaine. Ces déchets étaient sto­ckés dans l’une des gra­vières qui mitaient le banc com­mu­nal. A la fin des années 50, un sous-trai­tant pren­dra la relève et se char­ge­ra du ramassage. 

Un peu trop foot pour être honnête 

Par­mi l’ensemble des gra­vières, M. Kauff­mann se sou­vient de l’actuel stade Pierre de Cou­ber­tin, situé dans la rue de Pfas­tatt (et pla­cé der­rière une salle de sport construite récem­ment en face de l’actuel « parc K ») qui a ser­vi de décharge aux ordures ména­gères et aux « encom­brants » de Kin­ger­sheim, mais éga­le­ment de Mulhouse ! 

En effet, M. Guth, 1er adjoint de Kin­ger­sheim entre 1964 et 1986 confirme que jusque 1974 des déchets encom­brants étaient pla­cés dans le sol de l’actuel stade, mais la pra­tique dut être inter­rom­pue en rai­son de la pro­tes­ta­tion des rive­rains, incom­mo­dés par les « nuisances ». 

Il fal­lut alors pré­ci­pi­ter le com­ble­ment de la décharge, rai­son pour laquelle les pou­belles mul­hou­siennes trou­vèrent là un nou­veau point de résidence… 

En 1992 une par­tie du ter­rain de foot­ball devait se trou­ver affais­sée sur l’avant. Le fond en était consti­tué de déchets ména­gers et indus­triels. Tan­dis que l’arrière était com­blé par des maté­riaux issus de la construc­tion du puit « Schoe­nen­stein­bach » par les MDPA. 

M. Kauff­mann évoque bien sûr la décharge Ese­la­cker et Colas (dite éga­le­ment Coche­ry-Gival), qui ser­vit, comme toutes gra­vières de la com­mune, ain­si qu’il le pré­cise expli­ci­te­ment dans le rap­port de Yann Flo­ry, de décharge sau­vage, notam­ment pour les particuliers. 

Quant aux plus grandes entre­prises pré­sentes dans la com­mune, dont les gilets Tival, elles enfouis­saient leurs déchets direc­te­ment dans le sol mitoyen. Et les sco­ries de com­bus­tion du char­bon ser­vant aux chauf­fe­ries de l’usine étaient éta­lées sur l’actuelle rue du Château. 

Papy ne fait pas de résistance 

Dans son rap­port, Yann Flo­ry cher­cha à inter­ro­ger un cer­tain M. Tes­tart, ancien mili­taire en retraite, et membre de la police muni­ci­pale dans les années 60. Compte tenu son grand âge (il avait plus de 80 ans), et parce qu’il se sen­tait tenu par un secret pro­fes­sion­nel, le ren­dez-vous fut fina­le­ment annu­lé. En revanche, il indi­qua que, en tant qu’employé muni­ci­pal, dès lors qu’il rédi­geait un rap­port aux élus signi­fiant des actes de dépôts illi­cites d’ordures, « on » lui conseillait de se taire ! 

Pour en reve­nir à l’ancienne décharge, aujourd’hui le plan d’eau Décath­lon, il se trouve que la mai­rie envi­sa­geait sérieu­se­ment, jusqu’au début des années 90, de pro­lon­ger sa fonc­tion de décharge, en la vouant cette fois aux gra­vats et aux maté­riaux inertes. 

Ça sent la fermeture !

Mais un cour­rier de la pré­fec­ture du Haut-Rhin, daté du 16 aout 1991, met en demeure l’équipe de Jo Spie­gel de pro­cé­der à la fer­me­ture d’une « ancienne décharge brute n’ayant fait l’objet d’aucune auto­ri­sa­tion ou régu­la­ri­sa­tion au titre des dis­po­si­tions pré­vues par la loi du 19 juillet 1976 rela­tives aux ins­tal­la­tions clas­sées ».  

Le pré­fet pren­dra l’arrêté de fer­me­ture défi­ni­tive le 15 avril 1992, à date d’effet du 1er juillet 1992, repous­sé au 1er novembre 1992. 

Il réclame par ailleurs une réha­bi­li­ta­tion du site, pas­sant par « l’enlèvement des gros objets enlai­dis­sant le site », sa végé­ta­li­sa­tion, une mise en clô­ture, et un sui­vi de la qua­li­té de l’eau à tra­vers la mise en place de deux piézomètres. 

Les couts de trai­te­ment sont lourds à sup­por­ter pour le bud­get muni­ci­pal, et la « conver­sion » du dépo­toir en décharge pour gra­vats inertes aurait per­mis l’obtention de sub­ven­tions supplémentaires. 

Fort heu­reu­se­ment, 75% du mon­tant du net­toyage d’une décharge sau­vage est assu­ré par le dépar­te­ment du Haut-Rhin. C’est 60% pour une décharge brute. 

Net­toyage à la louche ou louche nettoyage ?

Pour répondre aux exi­gences de la pré­fec­ture, des devis com­mencent à être sol­li­ci­tés. La socié­té Vidor S.A. (qui fut un temps sous-trai­tante pour la col­lecte des déchets ména­gers dans la com­mune) répond à l’un d’eux en aout 1991. Elle réclame 180 000 francs HT (soit 27 000 euros envi­ron) pour faire le ménage sur le site. 

Très curieu­se­ment, elle se ravise 1 an plus tard et pro­pose ses pres­ta­tions pour 88 000 francs HT. Le fait est qu’entre-temps, la quan­ti­té de déchets semble s’être magi­que­ment réduite : on passe ain­si de 1000 mètres cubes en 1991 à 150 mètres cubes 12 mois plus tard. Mais le pre­mier devis nous informe d’un élé­ment fort inté­res­sant : la des­ti­na­tion des déchets. 

En 1991, à défaut de s’évaporer dans l’éther, les immon­dices étaient des­ti­nées à la décharge de Retz­willer (sur laquelle nous revien­drons dans un article dédié), laquelle défraie régu­liè­re­ment la chro­nique (car tou­jours en acti­vi­té) pour être l’objet de pro­tes­ta­tions de la part des rive­rains, dénon­çant la puan­teur du vil­lage et la nature des déchets stockés. 

Autre ori­gi­na­li­té : tan­dis qu’il fal­lait 7 jours pour extraire 1000 mètres cubes en 1991, il en fau­dra 10 en 1992 pour en éva­cuer 150 ! 

Mais la socié­té pré­vient par avance la muni­ci­pa­li­té de Kin­ger­sheim en 1992 : se pose le pro­blème essen­tiel du net­toyage du fond de la gra­vière, qui devrait faire l’objet d’un inven­taire, voire d’analyses, de la part d’hommes-grenouilles. Et Vidor conseille alors de déter­mi­ner l’avenir de la gra­vière, car les opé­ra­tions en ques­tion (bien sûr non com­prises dans le devis rela­tif au net­toyage) « sont très lourdes finan­ciè­re­ment ».

Vidor vise bien sûr les sédi­ments conte­nus au fond de la décharge. Cela se véri­fie­ra par ailleurs dans un cour­rier que la socié­té « tra­vaux publics du Haut-Rhin » adresse à la mai­rie en aout 1992. Elle y conseille de rem­blayer le site. Tou­te­fois, si elle inter­ve­nait pour ce faire, elle exi­ge­rait de net­toyer le fond de l’étang, et même de le vider, en pom­pant l’eau et en la reje­tant dans le réseau d’assainissement.

C’est la socié­té Vidor qui sera fina­le­ment choi­sie pour assu­rer le net­toyage super­fi­ciel du site en 1992. Une somme de 180 000 francs lui est dévo­lue pour le rendre étincelant. 

En sep­tembre 1992, l’Agence Dépar­te­men­tale d’Aménagement et d’Urbanisme du Haut-Rhin (ADAUHR), rele­vant du Conseil dépar­te­men­tal, for­mu­la quelques pro­po­si­tions de nature pay­sa­gère à Jo Spie­gel, sans savoir au juste quelle est la des­ti­na­tion don­née au site. 

Tout baigne !

Depuis lors, une nou­velle fonc­tion a été trou­vée pour cette ancienne décharge, deve­nue donc un plan d’eau ser­vant la pro­mo­tion d’une célèbre chaine de maga­sin de sports. De nom­breuses mani­fes­ta­tions aqua­tiques s’y tinrent jusque récem­ment. Mais il semble que le maga­sin ait déci­dé d’en sus­pendre les acti­vi­tés, offi­ciel­le­ment parce que l’animateur a quit­té les lieux. 

Quant à la ville de Kin­ger­sheim, que nous avons sol­li­ci­tée à ce sujet, elle n’a pas don­né suite à notre demande d’information.

Pour­tant des ques­tions d’intérêt public méritent de rece­voir des réponses de fond. Le public ayant notam­ment le droit de savoir pré­ci­sé­ment où il trempe ses pieds. 

Le fait est que nous avons tout lieu de croire, sur la base des infor­ma­tions recueillies, et des per­sonnes consul­tées, qu’aucune étude ou retrait sédi­men­taire n’a été réa­li­sé sur le site, au moment de sa trans­for­ma­tion en plan d’eau grand public. 

Le club de pêche de la val­lée de la Thur, qui fut l’un des ani­ma­teurs du lieu jusque 2017 (en orga­ni­sant notam­ment des « safa­ri truites »), avant de prendre ses dis­tances avec le maga­sin et ces­ser ses acti­vi­tés, nous indique que la qua­li­té de l’eau de sur­face était « assez bonne », bien que nous n’ayons pu consul­ter de visu les docu­ments d’analyse, dont on sait qu’ils étaient réa­li­sés par un pres­ta­taire extérieur. 

Mais le fait n’est pas ras­su­rant pour autant. Le fond du plan d’eau étant encore aujourd’hui sus­cep­tible d’être conta­mi­nant et dangereux.

La réa­li­té est donc un peu dif­fé­rente du ton de l’ar­ticle publié par l’Alsace en juillet 2017, dans lequel le jour­na­liste se féli­ci­tait des nou­velles ins­tal­la­tions du « wake­park », avec son nou­veau res­pon­sable, son nou­veau mobi­lier, sa scène de musique, son bar-sna­cking et, sur­tout, sa « com­mu­nau­té de wake­boar­ders de plus en plus impor­tante ».

Se sen­tant obli­gé de conclure alors que « la plage du vil­lage Decath­lon à Wit­ten­heim est en passe de deve­nir un spot incon­tour­nable pour s’évader durant l’été, même très loin de la mer ». Donc très très loin du n’im­porte quoi jour­na­lis­tique, et en fran­glish, pour les ama­teurs de noyades lexicales. 

On peut choi­sir de don­ner cré­dit aux publi-repor­tages indignes com­mis par le double quo­ti­dien unique alsa­cien, ou même de croire sur parole l’ex­ploi­tant, lors­qu’il déclare que « L’eau du plan d’eau, qui subit des ana­lyses régu­lières, est de très bonne qua­li­té et se trouve clas­sée comme « eau de bai­gnade » ». Et que « Sa lim­pi­di­té est excep­tion­nelle et per­met la pêche à vue, par­ti­cu­liè­re­ment depuis les enro­che­ments sur­plom­bants le plan d’eau. Une grande plage agré­mente les berges où l’herbe et la prai­rie fleu­rie sont reines… » La sen­tez-vous bien l’herbe de la prai­rie fleurie ? 

Le fait demeure que les belles his­toires un peu trop simples finissent imman­qua­ble­ment par prendre l’eau. Même avec le meilleur atti­rail com­mer­cial du monde.