Un Schweiss­dis­si tran­si d’é­mo­tion (et de sueur) 

Nous lais­se­rons de côté la sem­pi­ter­nelle bataille des chiffres sur les par­ti­ci­pants à une mani­fes­ta­tion. Mais nous vous don­nons un indice : quand la tête de la mani­fes­ta­tion arri­va à la sta­tue du Schweiss­dis­si, au-delà du pont de Rie­di­sheim, la queue en était à l’entrée de la rue des Bonnes Gens. Les Mul­hou­siens appré­cie­ront : les moins de 60 ans n’avaient jamais vu cela. Mais le nombre ne fut qu’un élé­ment : la diver­si­té des mani­fes­tants, l’animation, les slo­gans, la musique sont autant de mar­queurs d’une réus­site indé­niable des organisateurs.

Nous avions lais­sé au matin du 17 décembre, les deux voi­tures-sono de la CGT dans la cour du petit immeuble dans lequel logent les Unions locales et Unions dépar­te­men­tales CGT. Là, en action au milieu d’une mani­fes­ta­tion, les slo­gans fusaient les uns plus per­cu­tants que les autres. Celui qui domi­nait s’adressait direc­te­ment au chef de l’État : « Ta réforme, on n’en veut pas ! »

Bien sûr la CGT four­nis­sait le gros des troupes et comme nous l’avions vu le matin, Arnaud Anthoine, son secré­taire dépar­te­men­tal, pou­vait esti­mer que les efforts faits par les mili­tants pour mobi­li­ser la popu­la­tion même hors de l’entreprise ont payé.

Les che­mi­nots, les fonc­tion­naires, les ser­vices publics, le sec­teur pri­vé éga­le­ment, ain­si que les sala­riés d’Enedis et de RTE, appa­rais­saient particulièrement.

Inter­ven­tion de la CGT EDF

Les ensei­gnants étaient par­ti­cu­liè­re­ment nom­breux, peut-être plus encore que le 5 décembre, ce qui se véri­fie dans les chiffres de gré­vistes. Ain­si, la FSU annonce un taux de 50% dans le pre­mier degré.

Mais l’unité syn­di­cale a une fois encore été mobi­li­sa­trice : si la CFDT était en queue de mani­fes­ta­tion pour faire valoir ses propres reven­di­ca­tions et démon­trait une vraie volon­té de réus­sir à reje­ter l’âge pivot et faire valoir une meilleure prise en compte de la pénibilité.

Inter­ven­tion de la CFDT Peugeot

Les Gilets jaunes ont, une fois encore, démon­tré qu’ils étaient pas­sés maîtres en ani­ma­tion de mani­fes­ta­tion. Paroles et musique, paro­dies de chan­sons avec des paroles expli­cites et une imi­ta­tion par­ti­cu­liè­re­ment réus­sie de Stro­mae, en étaient la preuve. Un peu moins nom­breux que les cor­tèges syn­di­caux, mais avec un sens de la mise en scène remar­quable, un ramo­neur tout de noir vêtu et cha­peau haut de forme vis­sé sur la tête, en témoignait.

Un aimable père fouet­tard, ou un auguste ramoneur ? 

D’une manière assez inat­ten­due, on trou­vait en tête de cor­tège, les avo­cats confir­més dans leur robe, mais aus­si les jeunes avo­cats qui ne venaient pas uni­que­ment défendre leur caisse pro­fes­sion­nelle, mais se sen­taient soli­daires des sala­riés pour le rejet de cette réforme.

Inter­ven­tion des jeunes avo­cats de Mulhouse

“Et main­te­nant, qu’allons-nous faire ?”…

La réus­site incon­tes­table des mani­fes­ta­tions dans tout le pays repré­sente déjà une vraie défaite pour le gou­ver­ne­ment : la décla­ra­tion d’Édouard Phi­lippe n’a en rien cal­mé le jeu, au contraire elle a conduit à un ren­for­ce­ment de la mobilisation.

Défaite aus­si pour les médias qui, tous, sauf de très, très rares excep­tions, mènent depuis des jours et des jours une cam­pagne indigne contre les gré­vistes, France 2 récol­tant la palme pour son JT de 13 h le 17 décembre, en ouvrant l’antenne sur… les pauvres vic­times des grèves… Et cela dura de longues, longues minutes avant que la pré­sen­ta­trice veuille bien annon­cer le suc­cès de la mobilisation.

À l’heure actuelle, mal­gré les déni­gre­ments mul­tiples, les ten­ta­tives d’opposer gré­vistes et opi­nion publique, tra­vailleurs du pri­vé contre ceux du public, consom­ma­teur et com­mer­çants, la popu­la­tion conti­nue de sou­te­nir for­te­ment les mani­fes­ta­tions, à 62% selon l’institut de son­dage Elabe, publié ce matin.

Les dif­fé­rentes posi­tions des syn­di­cats sur le but de la mobi­li­sa­tion pour­raient fra­gi­li­ser le mou­ve­ment. Les réunions pro­vo­quées par le gou­ver­ne­ment mer­cre­di et jeu­di semblent être une oppor­tu­ni­té pour essayer de divi­ser les syn­di­cats. Déjà une par­tie des dépu­tés du mou­ve­ment du Pré­sident, appelle à céder à Laurent Ber­ger pour sau­ver l’essentiel, c’est‑t à dire la retraite à points.

Or, c’est jus­te­ment sur ce point-là que la mobi­li­sa­tion semble la plus forte et la plus struc­tu­rée. Plus le temps pas­se­ra, plus les oppo­sants à ce sys­tème auront loi­sir d’expliciter le dan­ger, réel, de cette méthode. En effet, ce sys­tème qui ne donne aucune visi­bi­li­té sur le mon­tant de la retraite réel­le­ment tou­chée en fin de car­rière, incite les sala­riés qui en ont les moyens, de sous­crire à une assu­rance pri­vée qui est une capi­ta­li­sa­tion de fait. C’est ce qui expli­quer l’enthousiasme de la Fédé­ra­tion des Assu­rances (dans laquelle agis­sait M. Dele­voye !) pour la réforme Macron.

Or, on a connu ce sys­tème de capi­ta­li­sa­tion en France au début du XXe siècle : il a été pra­ti­que­ment anéan­ti par la crise et les guerres et rem­pla­cé par la retraite par répar­ti­tion. Et la mémoire col­lec­tive ne l’a pas tota­le­ment oubliée.

Il n’est donc pas sûr que l’accord de la CFDT, de l’UNSA et de la CFTC pour ce régime si dan­ge­reux et impré­vi­sible suf­fise à cal­mer le jeu.

D’autant plus que le mécon­ten­te­ment actuel à l’égard de la poli­tique gou­ver­ne­men­tale ne porte pas que sur les retraites. Notons pour­tant que les hôpi­taux en grève totale étaient dans l’action aujourd’hui, mais les per­son­nels hos­pi­ta­liers n’étaient pas pré­sents dans le cor­tège mulhousien.

Ce cor­po­ra­tisme qui a tel­le­ment joué contre les sala­riés durant toute l’histoire sera-t-il un moyen pour le gou­ver­ne­ment de divi­ser encore plus le monde du tra­vail ? Anec­do­tique peut-être, mais pour­tant réel : la direc­tion de Soléa a offert 150 euros de prime en ce mois de décembre… et le per­son­nel n’a donc plus fait grève, contrai­re­ment au 5 décembre.

Tout est donc ouvert au soir de cette forte mobi­li­sa­tion : le gou­ver­ne­ment va-t-il s’en sor­tir en pro­po­sant que ce soit au Par­le­ment de conti­nuer la mise en œuvre de cette réforme ? Cette nou­velle manœuvre serait consi­dé­rée comme une entour­loupe, et elle risque de ne ser­vir à rien, sinon  gagner du temps.

La par­tie 1 est à lire ou relire ici

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