Nous venons d’assister à une mise en scène dont les poli­tiques au gou­ver­ne­ment, le patro­nat et les syn­di­cats com­plai­sants et les médias bien en cours (qua­si­ment tous) ont le secret et dont cha­cun maî­trise sa part du sce­na­rio. Une vieille ficelle qui est res­sor­ti à chaque crise pour impo­ser un pro­jet impo­pu­laire à la population.

Plan­tons le décor : mal­gré des semaines de cam­pagnes média­tiques ten­tant de vendre le pro­jet de retraite du gou­ver­ne­ment et de dis­cré­di­ter la grève, une grande par­tie des Fran­çais conti­nuent de reje­ter cette réforme. Pire, au fur et à mesure que les défen­seurs du pro­jet gou­ver­ne­men­tal sont obli­gés d’expliquer sa teneur, le front des oppo­sants s’élargit. Pro­blème : M. Macron s’est enga­gé auprès des grandes puis­sances finan­cières inter­na­tio­nales (dont Bla­ckRock) de leur faci­li­ter le pla­ce­ment d’épargne retraite indi­vi­duelle. Faut-il rap­pe­ler que par­mi les prin­ci­paux spé­cu­la­teurs dans les bourses du monde entier, les fonds de pen­sions (essen­tiel­le­ment US, cana­diens et aus­tra­liens) sont les mieux dotés.

Toutes les ficelles habi­tuelles pour « convaincre » les Fran­çais ayant échoué, il fal­lait sor­tir de l’arsenal, la mise en scène de la comé­die d’issue à la crise. Voi­là le décor.

Le gros men­songe de l’âge pivot

Devant le risque de voir le pro­jet de retraite à points (et donc à capi­ta­li­sa­tion à terme) reto­qué, il a fal­lut inven­ter un désac­cord qui n’en est pas un. Et voi­ci que sur­git l’âge pivot. Qui, de fait, existe depuis la réforme de Mari­sol Tou­raine, du gou­ver­ne­ment Valls et Hol­lande, déjà approu­vé par la CFDT à cette époque. En effet, la loi du 20 jan­vier 2014, pré­ci­sait que « la durée d’assurance requise pour l’obtention d’une retraite  sans décote, aug­mente pro­gres­si­ve­ment d’un tri­mestre tous les trois ans, entre 2020 et 2035, pour atteindre 43 ans (172 tri­mestres) pour les per­sonnes nées en 1973 ou après. » Cal­cu­lons : pour par­tir à 62 ans, il fal­lait avoir com­men­cé à tra­vailler à l’âge de 19 ans sans aucune rup­ture durant les 43 ans de coti­sa­tions. Mais l’Insee nous informe que c’est à l’âge de 22 ans, en moyenne, qu’on trouve un pre­mier emploi, le plus sou­vent à temps par­tiel ou en inté­rim. Les jeunes, pour­suite l’institut des sta­tis­tiques, trouvent leur pre­mier emploi signi­fi­ca­tif à 22 ans et 5 mois en moyenne mais en Île-de-France le chiffre monte à 23 ans et 2 mois. (Voir le lien à la fin de l’article).

Si l’âge de départ à la retraite est bien main­te­nu à 62 ans, les per­sonnes qui com­mencent à tra­vailler à l’âge de 22 ans ne pour­ront en béné­fi­cier à moins d’accepter une décote à vie. Pour par­tir avec un taux plein, il leur faut tra­vailler jusqu’à 65 ans et 5 mois ! Alors, comme à la SNCF, un train peut en cacher un autre, et en l’occurrence, plu­sieurs autres !

Les vrais objectifs

L’âge pivot exis­tant déjà, ce n’est donc pas cela qui est visé. L’objectif réel, pour le MEDEF et le gou­ver­ne­ment, c’est de recu­ler l’âge de départ à la retraite, liqui­der les 62 ans car même si cela ne concerne qu’une faible par­tie des béné­fi­ciaires, c’est un dis­po­si­tif qui est tabou pour le patro­nat et ses par­tis poli­tiques ! Nous sommes ici en plein débat idéo­lo­gique : l’allongement de l’âge de départ à la retraite est un dogme pour le monde capi­ta­liste et ses affidés ! 

Le gou­ver­ne­ment fait une opé­ra­tion en posant une pre­mière pierre pour arri­ver à cet objec­tif  car le départ à 62 ans est encore très popu­laire dans notre pays. 

Opé­ra­tion réus­sie : ain­si le pro­blème prin­ci­pal du refus devient  à pré­sent… une mesure déjà en vigueur et ain­si on peut détour­ner l’attention des Fran­çais sur le vrai dan­ger, celle de la retraite à points et sur­tout celle de prendre comme réfé­rence toute la vie active et non plus les 25 meilleurs années dans le pri­vé et les 6 der­niers mois dans la Fonc­tion publique.

Le gou­ver­ne­ment avait déjà ten­té un pre­mier leurre, celui des régimes spé­ciaux. Il se disait que les régimes spé­ciaux étant impo­pu­laires dans la popu­la­tion, jetons les che­mi­nots, la RATP en pâture pour détour­ner l’attention sur nos vrais buts. Là aus­si, le matra­quage média­tique a eu son revers : on s’est ren­du compte que dans les régimes spé­ciaux il y avait bien plus de béné­fi­ciaires et que l’origine de ces mesures s’expliquait aisément.

Sor­tir un lapin du chapeau

C’est là que com­mence la comé­die de la négo­cia­tion. Rap­pe­ler vous au préa­lable que la CFDT et l’UNSA, les syn­di­cats com­plai­sants (et non pas réfor­mistes, nous revien­drons sur ces adjec­tifs dans un article pro­chain), avait déjà appe­lé à une « trêve » de la grève après l’intervention d’Édouard Phi­lippe… Leurs propres orga­ni­sa­tions à la SNCF et à la RATP n’ont pas pu appli­quer ces direc­tives car elles per­daient toute cré­di­bi­li­té auprès des sala­riés de ces entreprises.

Pre­mier acte : faire de l’âge pivot le prin­ci­pal problème.

Deuxième acte : se mettre d’accord, entre « amis », sur le dérou­le­ment de la pièce et le rôle de cha­cun. Ain­si, ministres, majo­ri­té LREM, syn­di­cats com­plai­sants et médias se sont dis­tri­bués les rôles.

Troi­sième acte : mettre en scène un simu­lacre de ren­contre. La CFDT ouvre le bal en deman­dant « une confé­rence sur le finan­ce­ment »… Le gou­ver­ne­ment reprend la main en « accep­tant ». Les médias, comme les chœurs antiques, glo­ri­fie les héros. 

Qua­trième acte : le dénoue­ment. Contrai­re­ment à ce qui est dit, il n’y a pas négo­cia­tions. Il y a des ren­contres bila­té­rales entre le gou­ver­ne­ment et les autres pro­ta­go­nistes. Il était évident qu’on ne pou­vait orga­ni­ser une ren­contre à tous seraient pré­sents : les com­pli­ci­tés se seraient vues par tous. Le gou­ver­ne­ment peut ain­si avoir un dis­cours à géo­mé­trie variable en fonc­tion des inter­lo­cu­teurs : les prin­ci­paux acteurs étant déjà d’accord sur la magouille à vendre.

Cin­quième acte : on arrive à un résul­tat excep­tion­nel ! Le Pre­mier Ministre retire l’âge pivot ! Les médias (dont les prin­ci­paux acteurs étaient déjà au cou­rant) veulent à pré­sent jouer la scène finale en ven­dant la super­che­rie comme un acte majeur de la confron­ta­tion sociale.

Le men­songe institutionnalisé

En réa­li­té, il n’y a pas de retrait de l’âge pivot puisqu’il existe déjà dans les faits. Édouard Phi­lippe vend comme une prise en compte de la reven­di­ca­tion de la CFDT, la sus­pen­sion pro­vi­soire d’une mesure qui, de toute manière, devrai figu­rer dans la loi en fin de compte. Tout le monde sait que le recul de l’âge de la retraite est pour les tenants du sys­tème à point, le seul moyen d’arriver à l’équilibre puisqu’ils excluent, tous, l’augmentation des coti­sa­tions sociales, l’élargissement de l’assiette de contri­bu­tion au finan­ce­ment de la pro­tec­tion sociale, la réduc­tion des retraites… dans l’immédiat.

Car bien évi­dem­ment, réduc­tion du mon­tant des retraites il y aura. Mais com­ment des syn­di­cats qui se disent défen­seurs des inté­rêts des sala­riés peuvent l’avouer publi­que­ment ! Posons-nous la ques­tion pour­quoi Laurent Ber­ger ne parle JAMAIS de la prise en compte de la tota­li­té de la car­rière pour cal­cu­ler le mon­tant des retraites ? Parce que la conclu­sion sera évi­dem­ment une perte consi­dé­rable de ce montant ! 

Com­ment peut-on croire que les ensei­gnants auront des aug­men­ta­tions telles qu’elles pour­ront com­pen­ser les pertes de près de 900 euros de pertes avec le nou­veau système.

Non, cette mas­ca­rade de l’âge pivot n’est pas une avan­cé, ce n’est que de la com­me­dia dell’arte sans le talent de cette forme théâ­trale. Il s’agit tout sim­ple­ment pour le gou­ver­ne­ment, le patro­nat et la CFDT, de cher­cher à leur­rer les Fran­çais. Seront-ils dupes ? Les gré­vistes ont déjà prou­vé qu’ils ne l’étaient pas !

Pour l’instant, M. Macron n’est pas confron­té à une mobi­li­sa­tion met­tant l’économie pro­fon­dé­ment en dan­ger. Ce serait pour­tant la seule rai­son qui le condui­rait à reculer.

Il doit en ce moment gérer une opi­nion publique oppo­sée « intel­lec­tuel­le­ment » à sa réforme sans s’engager direc­te­ment dans la mobi­li­sa­tion ou alors en assu­rant le sou­tien finan­cier aux gré­vistes. Cela reste insuf­fi­sant pour faire recu­ler un gou­ver­ne­ment prêt à tout pour liqui­der le modèle social fran­çais. Il faut rap­pe­ler ici qu’un pro­jet iden­tique de réforme des retraites a été pro­po­sé en Bel­gique en 2017 et qu’après trois jours de grève le gou­ver­ne­ment de M. Michels a dû recu­ler. Les syn­di­cats belges sou­tiennent d’ailleurs les orga­ni­sa­tions fran­çaises appe­lant à la grève : on se demande com­ment le pré­sident en exer­cice de la confé­dé­ra­tion euro­péenne des syn­di­cats (CES), M. Laurent Ber­ger, appré­cie cela !

Alors, nous en sommes au 40e jour de grève sans que M. Macron ne prenne en compte les demandes d’une majo­ri­té de sa popu­la­tion. On est dog­ma­tique ou on ne l’est pas… Reste-t-il des forces à mobi­li­ser dans le pays pour déjouer les mises en scène : les pro­chains jours nous le démontreront…