Nos proches voisins germains ont plutôt de la chance. « Mutti », alias Angela Merkel, s’est prêtée à une allocution exceptionnelle à la télévision allemande, mercredi soir à 20 heures. Un fait rarissime, d’ordinaire réservé aux fêtes de fin d’année.
Mais en lieu et place de la rhétorique guerrière du monarque républicain bien de chez nous (Marine Le Pen en rajoutant aujourd’hui une mesure en proposant un couvre-feu à 20h), et d’un principe de confinement rendu d’autant plus nécessaire que le système de santé hospitalier public français a fait l’objet de saignées continues depuis plus de 10 ans, Merkel s’est adressée à des concitoyens doués de raison, et non à de grands enfants qu’il s’agit de terroriser pour convaincre.
Qualifiant la pandémie de coronavirus comme «le plus grand défi» qu’ait connu l’Allemagne «depuis la seconde guerre mondiale», comparaison qui doit susciter une certaine gravité dans les esprits de ses concitoyens, elle reformule l’enjeu: «C’est sérieux, prenez-le au sérieux». Sortant des abstractions chiffrées, elles les ramène à des considérations sensibles, subjectives et personnelles: «Ce ne sont pas uniquement des statistiques abstraites mais c’est un père, un grand-père, une mère, une grand-mère ou un conjoint. Nous sommes une communauté où chaque vie et chaque personne compte».
Alors que ce sont les länder qui ont la main en matière de santé, et qu’elles agissent en ordre dispersé, Merkel n’a pas ordonné de cadenasser le pays, et s’est bornée à répéter des consignes d’hygiène élémentaire, en souhaitant le respect des distances de sécurité sur autrui, et en a profité pour tancer, en mère la morale, les « Hamstereinkauf », soit celles et ceux qui se livrent à des achats paniques, en appelant à la solidarité et à la discipline.
Bien entendu, l’objectif est de gagner du temps, tout comme en France, afin de ne pas submerger les services de réanimation. Mais contrairement à notre pays, ce serait plutôt là une preuve d’anticipation pour Merkel, scientifique de formation, et de non de précipitation, d’errements et de navigation à vue, comme en France.
Car l’Allemagne interroge aujourd’hui pas mal de spécialistes et d’épidémiologistes. Avec 12 327 cas de COVID19 recensés, l’Allemagne ne comptait, au 19 mars, que 28 décès. A comparer à l’Italie (2978 morts), l’Iran (1135 morts) et l’Espagne (623 morts). Trois pays totalement dépassés par l’accélération des évènements. En établissant un ratio contaminés/morts, on obtient ainsi 0,23 décès pour 100 malades, contre 8,34 pour l’Italie, 6,54 pour l’Iran, et 4,48 pour l’Espagne. Trois pays qui se partagent le plus détestable des records mondiaux, en ce moment.
D’où la question évidente: que se passe-t-il en Allemagne, et pourquoi le taux de létalité y est-il si bas, alors que le nombre de contaminés est bien plus haut qu’en France ?
Questionné par France Info, Thomas Schulz, médecin à l’institut de virologie de Hanovre, répond: « J’aimerais pouvoir répondre à cette question, je me la pose depuis le début de l’épidémie ».
Laurent Desbonnets, journaliste à France Télévisions prétend que: « La question est posée très régulièrement aux médecins de l’Institut Robert Koch. Ils disent systématiquement qu’en grande partie, c’est un peu un mystère ».
Pourtant, il n’y a guère de place pour le mystère: l’Allemagne s’y est prise avec méthode et cohérence:
Les tests sont proposés à tous sur simple prescription d’un médecin généraliste. Les laboratoires ont des réactifs nécessaires pour prodiguer 12000 tests par jour, contre 2500 à peine en France. Des masques et du gel hydroalcoolique y sont disponible en quantité, quand la sixième puissance mondiale fait songer à un pays du tiers monde, tant ces éléments de prophylaxie de base se font rares auprès des soignants.
On voit d’ailleurs aujourd’hui Jean Rottner, président de la Région Grand Est, et président du conseil de surveillance de l’hôpital de Mulhouse, appeler à l’aide sur Twitter afin de réclamer des masques FFP2 !
De sorte que le ratio de mortalité est plus proche de la réalité en Allemagne (0,2%) qu’il ne l’est en France (près de 3% !), où l’on ne teste que les cas de malades au premier stade de détresse respiratoire.
Notre article publié hier rappelait notamment que le ratio fut de 1% en Corée du Sud, pays qui pratiqua un pistage systématique de tous les cas enregistrés.
Des « drive » ont même été mis en place en Allemagne, tout comme en Corée du Sud, afin de tester rapidement de très nombreuses personnes. Ces nombreux tests ont permis aux autorités sanitaires de « bien examiner les débuts de l’épidémie » selon le docteur Lothar Wieler, président de l’Institut Robert Koch.
Enfin et surtout, un beau graphique permettra de comprendre à quel point les saignées et l’austérité budgétaire, faites au système de santé français par tous les gouvernements, tout au long de ces 15 dernières années, se paient aujourd’hui d’un triste prix :
Mieux qu’un long discours, les statistiques EUROSTAT, illustrent la situation comparative du service public de la santé en France. On y comptabilise 309 lits de réanimation pour 100 000 habitants. La Bulgarie, pays pauvre de 7 millions d’habitants, est championne européenne, et en possède 616, soit 2 fois plus. L’Allemagne suit de près, avec 601 lits pour 100 000 habitants. A noter que l’Italie (près de 3000 décès) fait pire que la France, avec 262 lits, et l’Espagne (623 décès) avec 242 lits.
On peut donc établir, sans grand risque, une corrélation entre la capacité du système de santé allemand à tenir le choc plus longtemps, et absorber ainsi mieux l’afflux de malades, à sa capacité de réduction de la morbidité et de la mortalité liée au virus, compte tenu son état général de préparation matériel. Par ailleurs, on s’y apprête déjà à réquisitionner des hôtels…
Cela dit, une flambée n’est pas à exclure dans les prochaines heures, d’autant que l’Allemagne aurait environ 8 jours de décalage par rapport à nous. Et, facteur d’inquiétude supplémentaire, la pyramide des âges illustre combien le pays est très vieillissant.