De la soli­tude épidémiologique 

Vécu à l’échelle indi­vi­duelle, ce qui nous arrive, et ce qui doit être pen­sé, à moins d’en dépé­rir psy­chi­que­ment ou phy­si­que­ment, relève d’une sin­gu­la­ri­té sans pareil dans nos socié­tés contem­po­raines. Plus de 3 mil­liards de per­sonnes se terrent et vivent pré­sen­te­ment dans le confi­ne­ment, pareils à la condi­tion d’animaux de proie. 

Inca­pable de savoir quel geste vien­drait nous pré­ser­ver de la menace du pré­da­teur invi­sible, ou quelle ren­contre, voire impon­dé­rable, scel­le­rait fata­le­ment notre sort. 

Jean-David Zei­toun, méde­cin et épi­dé­mio­lo­giste, sou­tient dans une tri­bune publiée le 23 mars dans « Le Monde », que les épi­dé­mies connaissent plus de régu­la­ri­tés que de sin­gu­la­ri­tés. A savoir un drame, noué en 3 actes : d’abord le déni « La pro­ba­bi­li­té d’une épi­dé­mie en France est extrê­me­ment faible parce qu’on a un dis­po­si­tif », « Le risque d’importation est pra­ti­que­ment nul » ou « Le risque de pro­pa­ga­tion est très faible » (Agnès Buzyn). Puis la recon­nais­sance : « L’épidémie est à nos portes », enfin la réponse publique, aus­si chao­tique soit-elle. 

Mais d’autres constantes carac­té­risent pareille­ment les épi­dé­mies selon le cher­cheur : « la recherche de res­pon­sables, la stig­ma­ti­sa­tion de com­mu­nau­tés, l’échec par­tiel des inter­ven­tions sociales, les pertes humaines chez les soi­gnants ».

Face à cela, et dému­nis comme nous le sommes, le confi­ne­ment appa­rait comme la pire des solu­tions, à l’exception de toutes les autres, puisque nous ne nous sommes pas dotés de moyens de dépis­tages à grande échelle, comme les coréens, les taï­wa­nais ou les… allemands !

La grippe « espa­gnole », qui n’était pas ibé­rique pour un sou, mais plus sûre­ment amé­ri­ca­no-chi­noise, aura vu que les villes amé­ri­caines qui se sont cla­que­mu­rées le plus tôt (comme New-York) sont aus­si celles qui ont subi le moins de mor­ta­li­té, quand celles qui ont tar­di­ve­ment réagies (comme Pitts­burgh) ont connu une hécatombe. 

Par ailleurs, la souche du virus H1N1 de 1918 aura connu 3 pics, dont 2 en 1918. Le deuxième fut le plus mor­tel, notam­ment auprès des enfants et des jeunes, faute de n’avoir pas main­te­nu dura­ble­ment le confinement… 

Il ne s’agit donc pas de dis­cu­ter de la jus­tesse sani­taire de la mesure, aus­si liber­ti­cide parait-elle, mais d’interroger sa tra­duc­tion sociale, psy­chique et politique. 

Dans une tri­bune publiée aujourd’hui dans « Le Monde », l’économiste Eloi Laurent annonce que « Le confi­ne­ment et la “dis­tan­cia­tion sociale” vont aggra­ver l’épidémie de soli­tude déjà à lœuvre ».

« La socié­té du sans contact » n’a en effet aucun ave­nir. Mais elle s’inscrit dans la sin­gu­la­ri­té abso­lue d’un pré­sent sans repères sociaux anté­rieurs équivalents. 

A ce sujet, Laurent rap­pelle que la vie en bonne san­té exige le prin­cipe de confiance envers l’autre, et la mul­ti­pli­ci­té des contacts. Ain­si, dans « l’expérience sani­taire de la crèche col­lec­tive pour des enfants âgés de quelques mois à peine, la socia­li­sa­tion bio­lo­gique est un pré­cieux atout qui per­met de construire l’immunité à long terme et dont les effets béné­fiques appa­raissent dès la deuxième année d’existence ».

« A l’inverse, l’isolement social conduit à des pertes d’espérance de vie », avec un« risque de mor­ta­li­té pré­ma­tu­rée [qui] aug­mente de 50 % »

Injonc­tion socia­le­ment contradictoire 

De sorte que face à un évè­ne­ment contem­po­rain sans pré­cé­dent, il nous est deman­dé de conti­nuer à faire socié­té, mais à dis­tance des autres. Au reste, cer­tains citoyens ajoutent à l’éloignement des règles non écrites, en s’interdisant même d’échanger avec leurs voi­sins dans la rue, par peur d’être sur­pris, voire dénoncés… 

Ce ren­ver­se­ment radi­cal des socia­bi­li­tés les plus élé­men­taires, au nom de la pro­tec­tion ou de la pré­ser­va­tion de la vie, incite à regar­der son pro­chain comme le vec­teur poten­tiel­le­ment insi­dieux d’un mal aus­si noir que la mort. Laquelle n’attendrait que la pre­mière occa­sion pour bon­dir dans notre corps. 

Para­doxa­le­ment, c’est la défiance qui devient cen­sé­ment source de confiance, exac­te­ment comme dans les romans anti­to­ta­li­taires de Hux­ley ou d’Orwell, dans les­quelles toutes les normes sociales impo­sées par le pou­voir tota­li­sant sont à la ren­verse des nôtres. 

Res­ter ou sor­tir telle est la ques­tion stagnante 

Mais com­ment se ras­su­rer dès lors que les pres­crip­tions gou­ver­ne­men­tales fran­çaises, prises dans un pays ins­ti­tu­tion­nel­le­ment auto­ri­taire, et socia­le­ment hypo­crite, paraissent aus­si gros­siè­re­ment incohérentes ?

En témoigne le très média­ti­sé: « res­tez chez vous », conco­mi­tant du « allez au tra­vail ». Sur­tout si l’activité est de nature pro­duc­tive, quand bien même elle ne serait pas néces­sai­re­ment indis­pen­sable, à moins que les entre­pôts d’Amazon, res­tés ouverts jusqu’aujourd’hui, le soient deve­nus par un impé­ra­tif d’ordre surnaturel. 

En témoigne éga­le­ment les dif­fi­cul­tés que connaissent les sala­riés pour faire res­pec­ter leur droit de retrait au vu des risques pris en allant au tra­vail, et pour­tant dénié à de mul­tiples reprises par Murielle Péni­caud, ci-devant sinistre du tra­vail. Recon­nais­sant tou­te­fois, mais avec grand peine, qu’il faut « accep­ter qu’il y ait moins de pro­fi­ta­bi­li­té ou moins de rentabilité ». 

C’est d’ailleurs l’en­semble des mesures d’ordre public social (caté­go­rie de lois sociales qui ne peuvent connaitre de déro­ga­tions) qui sont remises en cause: pos­si­bi­li­té de por­ter la durée du tra­vail à 60h, droit de grève ren­du dif­fi­cile, etc. Cela alors que les sala­riés se rendent déjà sur leur lieu de tra­vail la peur au ventre, ne béné­fi­ciant que rare­ment de mesures de pro­tec­tion adaptées. 

En témoigne tou­jours les appels du gou­ver­ne­ment à ceux « qui n’ont plus d’ac­ti­vi­té » pour aider les agri­cul­teurs (quand cela n’est pas diri­gé contre les ensei­gnants « qui ne font rien » selon l’in­sub­mer­sible porte-parole du gou­ver­ne­ment), puisque les ouvriers agri­coles étran­gers qui se char­geaient des récoltes ne sont (eux) pas assez fous pour reve­nir. Là encore, com­prenne qui pour­ra, au vu des impé­ra­tifs sani­taires sup­po­sé­ment primordiaux. 

La durée du pipi du chien au Conseil d’État

L’État dis­pose lit­té­ra­le­ment de nos vies : les liber­tés de mou­ve­ment sont désor­mais contrô­lées jusqu’à l’absurde. Des pro­po­si­tions sur­réa­listes sont dis­cu­tées jusqu’au Conseil d’État, à l’initiative de quelques syn­di­cats de méde­cins, qui poussent au confi­ne­ment sur le modèle chinois. 

Et à quand les conseils de quar­tier pour car­cé­ra­li­ser la popu­la­tion, et sur­tout ravi­tailler les familles et indi­vi­dus en biens essen­tiels ? A moins que ces preux méde­cins s’engagent à ramas­ser les morts dans les super­mar­chés lorsque des batailles ran­gées s’y tien­dront pour s’accaparer la der­nière conserve de petit-pois ? 

Le Conseil d’État rejette le réfé­ré, mais qu’à cela ne tienne, il réclame tou­te­fois des pré­ci­sions au gou­ver­ne­ment, s’agissant des moda­li­tés de sor­tie liées aux motifs de san­té ou à l’activité phy­sique, incluant le pipi du chien-chien. 

De vraies ques­tions à 10 balles, dans un pays qui a désor­mais l’art de se poser les plus acces­soires jusqu’à la nausée. 

Ain­si fait. La nou­velle mou­ture de « l’autorisation déro­ga­toire de sor­tie » concoc­tée par le Pre­mier Ministre vient encore d’être revue par décret : le droit à l’exercice phy­sique, voire même la consul­ta­tion sans ren­dez-vous auprès d’un méde­cin, sont bor­nés, voire inter­dits, pro­vo­quant l’incrédulité et la colère du pré­sident de la Fédé­ra­tion des méde­cins de France. Comme si toutes les urgences de la vie sani­taire se résu­maient à la comp­ta­bi­li­té mor­tuaire des vic­times du COVID19.

Il fau­dra en outre limi­ter l’occupation de la voi­rie à 1 heure. 

Le règne de l’arbitraire ris­quant encore de s’accentuer. Les forces de l’ordre dis­po­sant à qui mieux-mieux du droit de cha­cun à occu­per l’espace public afin de se détendre et ne pas éga­le­ment tom­ber malade, d’une manière ou d’une autre, avec ou sans coronavirus. 

Ain­si, enten­dait-on lun­di soir dans un repor­tage du jour­nal de 20h de TF1 un poli­cier s’adresser à une pas­sante, en lui inti­mant l’ordre que son jog­ging sera effec­tué « autour du pâté de mai­son, et pen­dant un quart d’heure ». Sur le pla­teau, Phi­lippe Édouard s’est per­mis de mori­gé­ner ses conci­toyens peu sou­cieux des règles, à la manière de l’ins­ti­tu­teur des années 50, en punis­sant les 99% qui s’y tiennent, exac­te­ment comme dans une cour d’école.

Odeurs de gaz à plein nez

Ima­gine-t-on usine à gaz aus­si régres­sive du côté des ger­mains ? Là-bas, on se pince en obser­vant son voi­sin, et le chiffre des décès conti­nue à y être étran­ge­ment bas. On n’y parle non pas de « guerre », ampou­lade mar­tiale risi­ble­ment macro­nienne. Mais on y cultive un prin­cipe de sen­si­bi­li­sa­tion et de confiance à l’endroit des citoyens. Donc pas besoin d’autorisation de sor­tie. Les ras­sem­ble­ments extra fami­liaux sont auto­ri­sés jusqu’à deux per­sonnes. Et contrai­re­ment à la France, on n’oblige pas les couples ou les familles confi­nées à s’aérer indi­vi­duel­le­ment, comble du gro­tesque à tête de coq, ain­si que l’on fai­sait jusqu’à il y a peu. 

A s’enfoncer dans le déri­soire pro­saïque et kaf­kaïen avec tout le sérieux du monde, n’évoquons sur­tout pas les ques­tions essen­tielles. Infra­struc­tures hos­pi­ta­lières et moyens maté­riels, lami­nés en France sur l’autel de l’austérité bud­gé­taire (sur­tout à Mul­house), mais main­te­nus à un niveau décent du côté Teu­ton. Cela vaut bien un coup de cas­se­role à 20h sur le bal­con, si on en dis­pose toutefois. 

Car la vie des confi­nés ren­voie symé­tri­que­ment aux dis­pa­ri­tés maté­rielles et sociales qui le rendent plus ou moins sup­por­tables. Se confi­ner dans un pavillon indi­vi­duel doté d’un jar­din n’est pas du même ordre que l’incarcération d’une famille logée dans un stu­dio de 20 mètres car­rés. Il est tou­jours utile de le préciser. 

Mais en pays gau­lois, si l’État dis­pose lit­té­ra­le­ment de nos vies, c’est d’abord et sur­tout pour se ridi­cu­li­ser. Gon­fler bien haut ses pec­to­raux, de sorte à ven­ti­ler toutes les immon­dices néo­li­bé­rales qu’il a tenu à dis­per­ser métho­di­que­ment pour notre bien depuis une bonne tren­taine d’années.

Mais là encore, mieux vaut ne pas y pen­ser. Car il est peut-être déjà temps de mou­rir. Ce en quoi l’État a (encore) son mot à dire. 

Un décret a été pris dans la nuit qui auto­rise le recours à l’hydroxichloroquine (un médi­ca­ment qui a don­né des résul­tats en matière de charge virale, sans tou­te­fois consti­tuer un miracle), mais à titre com­pas­sion­nel, c’est à dire au der­nier stade des effets du COVID19, si tou­te­fois les méde­cins y consentent, dès lors que le patient est « hos­pi­ta­li­sé pour une forme sévère, et sur déci­sion col­lé­giale », c’est-à-dire au moment où le trai­te­ment a le moins de chance d’être efficient. 

Des volailles et de petits hommes 

Encore une gloire à mettre au cré­dit d’un pays dont l’animal fétiche a les deux pieds dans la merde, mais conti­nue imper­tur­ba­ble­ment de fan­fa­ron­ner. Comme il le fai­sait il y a peu à l’endroit de l’Italie. Résul­tat : près de 6% de ceux et celles qui sont diag­nos­ti­qués covid19 mour­ront en France dans l’antichambre de l’enfer (pour les patients et les soi­gnants) que sont les salles de réani­ma­tion. C’est 0,5% en Allemagne. 

La 5ème ou 6ème éco­no­mie mon­diale, réduite à connaitre la situa­tion d’un pays du tiers-monde. Inca­pable de tes­ter mas­si­ve­ment sa popu­la­tion, de pro­té­ger ses citoyens et ses soi­gnants remar­quables par des moyens élé­men­taires de pro­phy­laxie, après avoir sciem­ment pro­gram­mé le déla­bre­ment de l’hôpital public. 15% des malades covid19 sont actuel­le­ment en situa­tion cri­tique, un record mondial. 

Mais il est de la nature même de ce pou­voir que de fan­fa­ron­ner sans cesse. Et alors que les alle­mands s’apprêtent à ouvrir des gym­nases pour accueillir des malades, dans le cas (impro­bable) où les lits de réani­ma­tion venaient à leur man­quer (quelle bonne idée, c’est grand, aéré, acces­sible), les tar­ta­rins macro­niens font s’expectorer « la grande muette », et ses équi­pe­ments hos­pi­ta­liers de « pre­mier choix », tout cela pour accueillir 30 patients sous une tente, sur le par­king de l’hôpital de Mul­house. Un authen­tique choix d’esbroufeurs.

Et sou­dain, voi­là que le Sor­cier des Ély­sées vint nous annon­cer un plan mas­sif pour l’hôpital public. Une insulte sup­plé­men­taire au corps soi­gnant qui se bat inuti­le­ment depuis des mois pour obte­nir des moyens. En revanche, les diu­ré­tiques sont à craindre pour le reste des sala­riés, envers qui l’on a déjà sus­pen­du une bonne par­tie des lois sociales jusque décembre 2020, dans un pre­mier temps du moins. 

La macron­vi­rose vient d’atteindre le stade ter­mi­nal de sa dif­fu­sion. La pro­chaine pul­sa­tion virale que l’on ver­ra souf­fler comme des braises sur les routes de France por­te­ra des gilets aus­si noirs que la colère qui les habite assurément. 

Elle consti­tue­ra l’immunité par laquelle on chas­se­ra ces régimes de gou­ver­ne­ment de nos corps sociaux et phy­siques, et d’un monde ren­du lit­té­ra­le­ment infernal.