Cette date his­to­rique marque la capi­tu­la­tion sans condi­tions de l’armée et de l’État nazi. Très sou­vent ce fait est atté­nué en évo­quant sim­ple­ment la défaite de l’Allemagne (de manière simi­laire au 11 novembre 1918). Cette dis­cré­tion est une ten­ta­tive d’occultation poli­tique du fait essen­tiel que cette Alle­magne était domi­née par une dic­ta­ture depuis que le par­ti nazi avait conquis le pou­voir le 30 jan­vier 1933. Rap­pe­lons que le pré­sident Gis­card vou­lait sup­pri­mer la com­mé­mo­ra­tion du 8 mai en 1975.

Or la ces­sa­tion des com­bats en Europe (la deuxième guerre mon­diale ne se ter­mine qu’avec la capi­tu­la­tion du Japon) ne signi­fie pas uni­que­ment la vic­toire mili­taire d’une alliance mili­taire entre plu­sieurs États sur un autre État, condi­tion évi­dem­ment indis­pen­sable pour assoir la vic­toire poli­tique sur un régime dic­ta­to­rial, auto­ri­taire et fas­ciste mais repré­sente une libé­ra­tion, une déli­vrance de l’oppression bar­bare des peuples occu­pés et  tyran­ni­sés par l’hitlérisme pen­dant de longues années.

75 ans après, cet enjeu est tou­jours d’actualité lorsque des par­tis d’extrême-droite réa­lisent des scores éle­vés dans de nom­breux pays euro­péens en jouant de la fibre natio­na­liste sur fond de crises mul­tiples dont ils taisent les causes réelles.

Cet enjeu concerne au pre­mier chef le com­bat syn­di­cal. Les injus­tices sociales criantes, les attaques contre les conquis sociaux et la dif­fi­cul­té de résis­ter et d’empêcher le recul social, génèrent en effet du fata­lisme et la recherche de solu­tions par le recours à des sys­tèmes autoritaires.

C’est là que le pas­sé et l’histoire sociale peuvent nous aider à com­prendre et à mesu­rer que ces solu­tions anti-démo­cra­tiques sont de pures illu­sions et peuvent mener à des catas­trophes pires que les situa­tions dont nous vou­lons nous débar­ras­ser par l’action syn­di­cale et le chan­ge­ment d’orientation politique.

Les pays euro­péens sont confron­tés aux mêmes crises géné­rées par le fonc­tion­ne­ment d’un sys­tème éco­no­mique iden­tique. Elles se mani­festent sim­ple­ment de manières dif­fé­ren­ciées selon les pays. Ce sys­tème porte un nom : le capi­ta­lisme. Il déve­loppe et exa­cerbe par­tout la com­pé­ti­tion et la mise en concur­rence des sala­riés. Pour stop­per les méfaits de ce sys­tème éco­no­mique, il faut oppo­ser à la com­pé­ti­ti­vi­té, la soli­da­ri­té, pas seule­ment à l’intérieur d’un pays ou d’un État-nation, mais à l’échelle bien plus vaste de l’espace éco­no­mique euro­péen. C’est pour­quoi les rela­tions syn­di­cales dans cet espace sont déter­mi­nantes pour agir ensemble avec efficacité.

Dans la construc­tion de ces rela­tions vitales pour l’avenir, le sou­ve­nir des épreuves his­to­riques per­met de mieux se com­prendre et de ren­for­cer la coopé­ra­tion et la solidarité.

La com­mé­mo­ra­tion du 8 mai 45 consti­tue une appro­pria­tion d’un pas­sé dou­lou­reux et dra­ma­tique mais aus­si le rap­pel d’un com­bat ter­rible contre un adver­saire qui sup­pri­mait par­tout où il par­ve­nait au pou­voir, les orga­ni­sa­tions syndicales.

Ce regard his­to­rique convergent entre les orga­ni­sa­tions syn­di­cales fran­çaises et alle­mandes jume­lées la CGT Grand Est (à l’origine la CGT Alsace) et le DGB Süd­hes­sen a don­né lieu à deux céré­mo­nies com­mé­mo­ra­tives com­munes en 2018 à Schil­ti­gheim et en 2019 à Hoechst (Oden­wald en Südhessen).

Pour le 75ème anni­ver­saire une nou­velle céré­mo­nie com­mé­mo­ra­tive com­mune était pro­gram­mée à Mul­house sur la tombe du résis­tant alsa­cien Mar­cel Stoes­sel déca­pi­té par les nazis en 1943. Le confi­ne­ment pour évi­ter la pro­pa­ga­tion du virus Covid 19 a obli­gé le report de cette mani­fes­ta­tion à l’année prochaine.

En Alle­magne le 8 mai n’est pas férié comme en France. Mais le DGB depuis son congrès de 2018 reven­dique que ce jour devienne férié en le dédiant à la lutte contre le racisme, l’exclusion et la dis­cri­mi­na­tion et que les mani­fes­ta­tions qui se dérou­le­ront ce jour auront comme thème l’antifascisme. Cette reven­di­ca­tion est appuyée dans le champ poli­tique par les coa­li­tions poli­tiques rouge-rouge-vert c’est-à-dire die Linke, le SPD et les éco­lo­gistes. Ain­si cette année pour le 75ème anni­ver­saire cette coa­li­tion qui gou­verne le Land de Ber­lin a fait du 8 mai un jour férié ponc­tuel. Dans deux autres Län­der le Bran­de­bourg et le Meck­lem­bourg-Pomé­ra­nie, le 8 mai est un jour de com­mé­mo­ra­tion mais non chô­mé. Ce com­bat enga­gé en Alle­magne nous concerne aus­si nous français.

En effet ce jour n’est férié en France que depuis 1982 suite à l’élection de Fran­çois Mit­ter­rand et l’engagement des asso­cia­tions de résis­tants, du PCF et vrai­sem­bla­ble­ment de la CGT. Mais les com­mé­mo­ra­tions offi­cielles se détachent de plus en plus de l’évènement his­to­rique du ter­ras­se­ment du fas­cisme. Il est donc essen­tiel que le syn­di­ca­lisme et en par­ti­cu­lier la CGT contri­bue par sa par­ti­ci­pa­tion à des actions de com­mé­mo­ra­tion spé­ci­fiques lors de ce jour férié, à main­te­nir et à ren­for­cer l’antifascisme chez les salariés.

Et pour­quoi les syn­di­ca­listes fran­çais et alle­mands ne pro­po­se­raient-ils pas que le 8 mai soit décla­ré jour de libé­ra­tion du fas­cisme en Europe ? Une belle façon de réorien­ter fon­da­men­ta­le­ment la construc­tion européenne.