Le jugement de la Cour Européenne des Droits de l’homme (CEDH) du 11 juin 2020 est devenu définitif ce 11 septembre, l’État français n’ayant pas osé exercer un recours devant la Grande Chambre de l’institution, sûr qu’il était de le perdre.
L’État français a donc été condamné à réparer le préjudice moral et matériel causé pour avoir enfreint le droit à la liberté d’expression des 12 militants de Mulhouse participant à la campagne BDS (Boycott, Désinvestissement, Sanction) suite aux manifestations dans des supermarchés alsaciens au cours desquelles les appels au boycott de produits israéliens étaient lancés par des militants d’organisations diverses, en réponse aux appels de la société civile palestinienne.
L’inscription au casier judiciaire de chacun des condamnés de la mention infamante « condamné pour incitation à la haine raciale et antisémite » devra être effacée suite aux procédures encore nécessaires.
Faut-il rappeler les 11 années de procédures, les jugements contradictoires de tribunaux français, l’arrêt de la Cour de Cassation qui vient donc d’être invalidé par la CEDH ? La faiblesse des arguments juridiques du Ministère public français basés sur une prétendue infraction de « provocation publique à la discrimination fondée sur la nationalité » ?
Rappeler aussi les incessantes intimidations subies durant ces années par ceux qui se réclamaient simplement des luttes démocratiques qui depuis le XIXe siècle utilisent l’appel au boycott de produits comme mode de lutte pacifique afin d’obtenir le respect des droits (Irlande, États-Unis, Grande-Bretagne, Inde, Afrique du Sud…) par un mode d’expression reconnu comme licite par la Cour constitutionnelle allemande en 1958, par la Cour suprême américaine en 1882, par la Cour d’Appel d’Angleterre et du Pays de Galles en 2018 ?
Rappeler les propos encore fréquemment tenus d’élus de la République française sur l’illégalité du BDS, mal informés ou trop souvent soucieux de complaire à des organisations qui soutiennent inconditionnellement les dérives gravissimes de la politique israélienne en matière de Droits ?
Cette décision s’impose donc aux 47 pays membres du Conseil de l’Europe et constitue une avancée majeure pour ceux qui prônent ce moyen d’action non violent, dont l’histoire a montré l’efficacité quand les citoyens s’en emparent pour voir prises en compte des exigences légitimes, éthiques.
En l’espèce aucune violence ou dégradation, aucun appel à la haine ou à la violence, aucun propos antisémite ou raciste n’avait été proféré, en conformité avec l’appel du mouvement international BDS qui puise sa source dans les mouvements de résistance populaire palestiniens et demande le boycott de personnes morales et non de personnes physiques.
Le raccourci/amalgame trop souvent fait par divers responsables politiques français entre le BDS et l’antisémitisme est donc formellement rejeté par la Cour qui reconnaît le droit des citoyens à agir ainsi contre les politiques de l’État israélien pour le contraindre à respecter le droit international en usant du boycott.
La tentative de pénalisation légale du boycott par le gouvernement français (un exemple quasi unique dans le monde à l’époque des faits) a donc échoué mais les juges auraient pu aller plus loin et reconnaître formellement le droit des consommateurs européens à prendre leurs décisions d’achat en fonction de critères éthiques personnels.
Pour rappel les denrées de alimentaires provenant de colonies de peuplement établies en violation des règles du droit international et humanitaire peuvent ainsi être légitimement rejetées par le consommateur, libre de ses choix, comme provenant de territoires occupés et de ces colonies de peuplement qui sont des violations caractérisées du droit international, ainsi qu’avait argumenté l’avocat général Hogan dans ses conclusions devant la Cour de Justice de l’Union européenne le 12 novembre 2019 (dans une autre affaire relative à des produits israéliens faussement étiquetés comme provenant d’Israël et non de colonies ou de territoires palestiniens occupés, mention obligatoire dans le cas d’espèce).
L’avocat général avait mentionnée explicitement le parallèle avec l’achat de produits sud-africains à l’époque de l’apartheid dans ses développements.
830 millions de citoyens sont donc concernés par ces décisions de justice, prises au plus haut niveau des juridictions européennes et qui s’imposent aux 47 pays du Conseil de l’Europe.
Les dirigeants israéliens ne se trompent pas sur l’importance des actions relevant du BDS et leur répression est une des priorités majeures de leur gouvernement. La pénalisation de ce type d’actions en Israël, la répression qui frappe les militants palestiniens engagés dans ces actions, leur dénonciation et les poursuites légales à l’échelle internationale – en France surtout – , sont des priorités stratégiques et suivies comme telles par un ministère israélien spécialisé.
Les militants mulhousiens ont donc gagné en faisant reconnaître leur droit à un mode d’action pacifique et éthique de la politique d’un État qui revendique la colonisation, l’occupation, la répression, un racisme officialisé, comme moyens légitimes de sa politique.
L’État français a été d’une complaisance coupable en organisant la pénalisation de ces actions contestataires pacifiques de boycottage, en toute illégalité comme vient de le rappeler la Cour européenne des Droits de l’Homme.
Il est vrai que cette cour est chargée de faire appliquer la « Convention de sauvegarde des droits de l’homme et libertés fondamentales » pour reprendre l’intitulé précis de la Convention européenne.
Rêvons un peu : l’État français s’en est peut-être souvenu en acceptant sa condamnation ?
Mais cette décision de la CEDH signifie d’abord qu’il reste à développer encore les actions BDS, en solidarité avec le peuple palestinien comme pour faire vivre nos propres valeurs démocratiques.
C.R