Nous poursuivons dans cette deuxième partie notre examen des modalités de restructuration de l’offre de soin sur les hôpitaux de proximité de Thann et Altkirch, examinées à partir des procès-verbaux des conseils de surveillance tenus ces derniers mois au sein du GHRMSA.
Il s’agit, ainsi que nous vous l’exposions en contexte lors de la première partie, de documents publics que nous estimons d’intérêt public.
De ce fait, ils méritent largement d’être connus de l’opinion sud-alsacienne, dans le contexte du choc violent subi par le système sanitaire dans son entier, tout le long de ces derniers mois. Entre disette budgétaire constante, manques de moyens chroniques, et surgissement viral du covid-19, notamment à Mulhouse.
Nous sommes toujours en juillet 2017. Après la sortie inopinée de Michel Sordi, réclamant le respect des engagements pris lors de la fusion pour maintenir le site de Thann, Jean Rottner intervient en entonnant le refrain du docteur Jean Sengler, lui-même reflet de la logique budgétaire de l’ARS : il va falloir faire le choix de la recomposition de l’offre entre les différents sites, pour faire face aux impératifs de sécurité.
Puis, après s’être clairement positionné du manche, déclame une prescription aussi faussement consensuelle que surnaturelle, au regard des implications futures : « nous devons conserver notre volonté de progresser ».
Martine Desmouges, qui représente les usagers au nom de la Chambre de consommation d’Alsace, et se trouve désignée par le directeur général de l’ARS au sein du Conseil, enfonce le clou : la sécurité est la priorité. « Elle doit guider nos actions avant et après l’accouchement ».
Comment pour tenter de désamorcer un feu qui couve, le maire de Thann et représentant de la Communauté de commune de Thann-Cernay, Romain Luttringer, qui jusqu’ici était resté prudent, intervient en fédérateur : le centre de soins non programmés est une réussite.
Par ailleurs, il déclare qu’il faut réussir à mieux communiquer auprès de la population sur ces sujets sensibles.
Une phrase qui voudrait réassurer, mais traduit surtout un embarras qui ne le quittera pas.
Trahissant la précipitation et la volonté d’accélérer d’une bonne partie du Conseil, André Bubendorf qui représente lui aussi les usagers, au nom du préfet qui l’a désigné, se demande benoitement si le site de Mulhouse pourra absorber toutes les naissances du secteur !
Provoquant de ce fait un réflexe de pompier galérien de la part de Marc Penaud, directeur général, qui sortit aussitôt les rames pour tenter d’étouffer sur-le-champ un embrasement éventuel de l’assistance :
« Ce n’est pas l’objet du présent débat ». « Nous ne discutons pas de la fermeture d’une maternité ! Nous exposons les difficultés actuelles et celles à venir ».
Ayant circonscrit les limites du débat, le directeur général enchaine en toute cohérence sur le « contrat performance » engagé en lien avec l’ARS.
Il y explique ainsi que l’avenir de l’établissement passe par une organisation pérenne à l’échelle du territoire. Si un grand nombre d’établissements se sont engagés dans un processus de « réduction uniforme des couts », le GHRMSA fait quant à lui fait le « pari » de la « réorganisation ».
L’objectif financier de l’opération est clairement affiché par son responsable exécutif : un gain de 20 millions d’euros sur 5 ans. Pour moitié sur une hausse des recettes de l’établissement. Et donc pour l’autre moitié sur des économies liées aux réorganisations.
Jean Marie Belliard, maire LR de Sierentz, pose alors la question qui taraude de toute éternité la communauté soignante face à des logiques budgétaires : quelle est la place de l’humain dans le projet, et qu’est-il prévu pour accompagner les professionnels dans les changements ?
Penaud répondra que l’accompagnement est à al base du projet managérial. Dont le fondement est de « redonner du sens à nos actions ».
A cela, le transcripteur ou transcriptrice du procès-verbal mentionne une réaction de Jean Rottner. A propos de laquelle on ne sait trop si le technicien aurait eu du mal à relater les propos, ou à défaut si les déclarations à coloration commercialo-sanitaire de la part de Jean Rottner viennent d’atteindre un degré ultime de phosphorescence absconse :
« L’expérience patient est une chaine de valeur, impliquant des acteurs, y compris en dehors de l’établissement. C’est le lien avec le médecin traitant. L’hôpital doit sortir de ses murs. Sur la durée, il y a des gains d’efficience sur la vision des choses ».
Après le premier point du Conseil tenu le 26 septembre, consacré à l’état de la Clinique des trois frontières, première structure tombée dans le giron du GHRMSA, et établissement déficitaire d’économie mixte, détenu minoritairement par une structure de droit privé, Jean Rottner intervient en séance.
Etonnamment, lui qui d’ordinaire se fait volontiers chafouin et ne conclut pas dans les interventions dont nous disposons, insiste sur « la nécessité de réaffirmer le plan performance de manière claire et forte ».
Si une revalorisation du personnel non médical est mentionnée, c’est pour enchainer sur la baisse d’activité des sites d’Altkirch et Thann. Ce dernier devant développer davantage une activité de chirurgie en ambulatoire.
Et pour y maintenir la continuité de l’ensemble des services, le recours dispendieux à l’intérim médical est souligné en chiffres : plus de 800 000 euros. De sorte que le déficit prévisionnel est estimé alors entre 18 et 20 millions, alors que le montant initial n’était que de 15,6 millions.
Un peu comme une antienne qu’il convient de rejouer jusqu’à ce qu’elle soit bien mémorisée par les moins sceptiques, le directeur général Marc Penaud rappelle que la transformation de l’offre de soins est indispensable, afin de retrouver des marges de manœuvre financières « permettant de toujours mieux répondre aux besoins de la population ».
Espérant devoir forer davantage vers les abîmes, Jean Rottner déclare considérer que ces chiffres imposent des « restructurations en profondeur ». L’ARS sera chargée de l’accompagnement. Une mission diligentée par l’IGAS interviendra parallèlement.
Dernier fait notable de ce conseil : Martine Desmouges, représentante des usagers, souligne la qualité des articles de presse publiée durant l’été 2017. La refonte du site internet est appréciée.
S’agit-il d’un anachronisme ou une marque d’obédience destinée à réassurer la direction ? Toujours est-il que L’Alsace annoncera seulement « l’évènement » dans son édition du 19 novembre 2017. Un été très très indien, à en croire Mme Desmouges.
Après vérification, rien de bien particulier à signaler à propos du GHRMSA dans L’Alsace de l’été 2017.
Au printemps, Sabine Hartmann, journaliste du quotidien préposée aux questions de santé, publie le 14 mai 2017 un article intitulé « GHRMSA : soin et recherche ». Destiné à recenser la visite d’un parterre de 60 représentants de la CCI, dont le guide se trouvait être Marc Penaud, le directeur en titre à l’époque.
La journaliste y évoque au détour d’un paragraphe la question des finances : « Et le budget du GHRMSA ? On ne saura rien concernant son déficit important ».
Comment pourrait-il en être autrement ? La devise de la presse quotidienne régionale du Crédit Mutuel étant précisément de ne jamais chercher à savoir.
Martine Desmouges conclura à la nécessité d’une amélioration de la communication envers les usagers, proposant la création d’un canal vidéo interne au groupement hospitalier…
Difficile de dire en quoi Mme Desmouges, pourtant représentante des usagers, et ce faisant constituant une sorte de mini contre-pouvoir au sein d’un directoire comme celui-là, aura été autre chose qu’une chargée de communication.
Le conseil de décembre est remarquable par la brièveté de son compte-rendu. Moins de 8 pages rendant compte de 110 minutes de réunion. Peut-être parce qu’il s’agit d’une veille de fête en ce 19 décembre ?
Toujours est-il que Jean Rottner, officiellement présent, n’y déclare rien. La réunion servant à régler littéralement quelques comptes avant la fin d’année : ventes immobilières par la vente de l’ancienne conciergerie de Bitschwiller-les-Thann, un rapport de gestion 2016 dont ne pouvons consulter les données le bilan social et le rapport d’activité, des nominations au sein des commissions administratives paritaires locales.
Seul Jean-Pierre Baeumler, représentant les usagers, au même titre que Martine Desmouges, et ancien maire de Thann, se risquera à troubler l’esprit de Noël qui semble planer sur l’instance.
En père Fouettard soucieux de son territoire, il claque : « quel est l’avenir des maternités des sites de proximité ? »
Marc Penaud le rabroue aimablement, en le renvoyant à ses insuffisances. L’impétrant savait-il que pour faire fonctionner un hôpital, il fallait de nombreux praticiens, et que, par ailleurs, il y avait lieu de respecter des volumes d’activité légaux et opposables ?
Ainsi énonce-t-il d’un ton que l’on supposerait martial : tant que les conditions sont satisfaites sont réunies, l’activité continuera, mais le sens de la démographie médicale a déjà décidé pour eux.
Romain Luttringer, actuel maire de Thann, et représentant de la Communauté de communes Thann-Cernay, est bien moins tempêtant que son prédécesseur. Et il ne souhaite certes pas gâter l’esprit de Noël, de sorte qu’il abonde dans le sens de Marc Penaud : « il est nécessaire d’insister sur la démographie médicale, car la population ne prend pas en compte cet aspect » !
Tandis que Jean Rottner et Marc Penaud ouvrent le Conseil en informant l’assistance de ce qu’ils souhaitent dire quelques mots sur la visite du chantier Emile Muller 3 (la nouvelle maternité du site), le directeur rappelle la tenue d’un nouveau séminaire sur les méthodes de management issues du Lean management, qui aura lieu la semaine prochaine.
Le Lean management est une méthode de gestion managériale fondée sur une lutte contre le « gaspillage », ou une gestion « au plus juste ». Il vise à l’« amélioration continue », ou « Kaizen » en japonais.
Il pense en termes de chaine de valeur, mais surtout autour d’indicateurs de performance.
C’est une variante du toyotisme.
Le surgissement de méthodes de management issues du capitalisme industriel le plus forcené rend compte à lui seul de l’égarement total de l’encadrement dirigeant, aussi bien politique qu’administratif, dans son appréhension et sa gouvernance des services publics, a fortiori sanitaires, qu’elle aura contribué à dénaturer aussi bien que démantelé.
De ce point de vue, la stratégie se trouvait tout à fait conforme au « contrat performance » que le directeur du GHRMSA vantait avec l’appui certain de l’ARS depuis l’année 2017. Précisons qu’il n’était pas encore signé en février 2018.
Officiellement le discours cherche bien sûr à susciter l’adhésion du personnel, en plaidant pour l’amélioration de la prise en charge des patients, le respect des personnels et des valeurs de l’établissement, selon Marc Penaud.
Le directeur et Jean Rottner emballant le package d’une tentative de recrutement de nouveaux médecins.
La séance se clôt alors par un point financier constatant une hausse de l’activité, et un soutien doublement souligné par Penaud et Rottner de l’ARS, laquelle semble disposer d’un droit de vie et de mort sur les infrastructures sanitaires publiques.
Tout comme celui du mois de février, le procès-verbal du mois de mars brille par son caractère fragmentaire. D’abord et surtout parce que les éléments essentiels sont renvoyés à des pièces dont nous ne disposons pas.
En matière de finances on y apprend que le groupement hospitalier termine l’année 2017 avec un déficit de 4,9 millions, sur un budget total de 460 millions d’euros.
Michel Sordi, maire de Cernay, profite du point finance pour réclamer quelques éclaircissements sur une augmentation affichée du déficit du site d’Altkirch. Etabli à 2 millions, il est passé à 6 millions d’euros au cours de l’année 2017.
Christian Simon, directeur des services financiers, lui répond que l’exercice 2016 n’était pas consolidé.
Le Vice-président du directoire, et médecin, Jean Sengler ajoute que des efforts considérables ont été fournis par le groupement à ce sujet. Et que l’effort s’est fait dans « la paix sociale ». Une insistance qui dénote une volonté d’éteindre toute velléité de polémique ou de critique de la part de Sordi.
Avertissant par avance : « il est temps de faire évoluer le système ».
Le conseil de surveillance du mois de juin règle d’abord quelques affaires immobilières : une partie du patrimoine du site Hasenrain est ainsi liquidé : les pavillons 1, 2,3 et 4 ainsi que le logement de fonction de l’EPHAD de Bitschwiller-les-Thann, sont vendus pour un total de 1 262 000 euros, et serviront la capacité d’autofinancement du groupement.
Le bilan social évoqué en détail lors du conseil ne donne à aucun élément exploitable au sein du compte-rendu de ce mois.
Tout juste André Bubendorf, représentant les usagers, se risque-t-il à dire que les éléments du bilan font état d’un « turnover » important.
Provoquant la réaction de Caroline Belot, directrice des ressources humaines, laquelle prétendit qu’aucune conclusion ne peut en être tirée, car le périmètre du GHRMSA venait à peine de se constituer.
C’est alors que Pascale Lichtenauer, représentante syndicale CFTC sur le site, précisa qu’elle allait s’abstenir de voter le bilan, car « elle ne cautionne pas les réductions de personnels ».
Une position particulièrement audacieuse de la part de la représentante syndicale, qui avec son collègue représentant CFDT, s’abstient également toujours de réagir en quelque matière au sein du conseil.
Mais c’est à l’occasion d’un point finances que l’ambiance vint subitement à s’échauffer.
Un focus est porté sur l’activité des maternités, et on se félicite du nombre de naissances enregistrées en avril sur le nouveau site « Emile Muller 3 », en raison, s’empresse-t-on de conclure, « de l’attractivité du nouveau site EM3.
Le docteur Sengler s’avisa alors qu’il y avait lieu de porter l’estocade finale devant les quelques élus qu’il suppose hagards : l’attractivité du nouveau site est réelle, et les conditions de sécurité et de qualité des soins ne sont plus réunies sur les sites de Thann et d’Altkirch. Cela expliquerait pourquoi « certains accouchements sont réalisés sur le site de Mulhouse ».
La démonstration, aussi limpide que du jus de boudin, provoqua l’amorce d’une discussion, à la faveur des élus piqués au vif.
Romain Luttringer et Michel Sordi, agissant pour le premier en tant que représentant de l’intercommunalité de Thann-Cernay, et pour le second en tant que maire de Cernay, plaident à nouveau la cause des deux maternités menacées.
Ils font la valoir leur taille humaine (contre l’usine à bébé mulhousienne) et la qualification du personnel. Ils expliquent que la baisse des naissances peut s’expliquer par la raréfaction des gynécologues à proximité de Thann.
Ils font surtout valoir que la question du maintien ou non des maternités doit s’inscrire dans une réflexion portant sur l’aménagement des territoires et de la préservation de la ruralité.
Comme s’il annonçait déjà une décision arrêtée en coulisse, Jean Sengler invita l’assistance à « réfléchir à la notion de centre de périnatalité de proximité, qui concilie qualité des soins et proximité géographique ».
La discussion semble s’achever et les points suivants sont alors abordés.
Un point finance fait état d’un mieux en matière de déficit, grâce aux recettes. Le déficit passant de 14,9 millions à 12,4 millions.
Puis le départ du directeur général, Marc Penaud est annoncé.
Tandis que l’inénarrable Jean Sengler continue invariablement à enfoncer au marteau piqueur ses axiomes budgéto-sanitaires.
Une réunion de la CME, (commission médicale d’établissement), soit l’instance représentative de la communauté médicale au GHRMSA, acte unilatéralement la prochaine fermeture des maternités de Thann et Altkirch.
Sengler réclame en effet une prise de position rapide des élus et de l’ARS sur le sujet, car les deux établissements ne sont, selon lui, plus sécurisés…
Lire la troisième partie.
La première partie est consultable ici