Il se pour­rait bien que les his­to­riens des sciences aient un jour à se pen­cher sur le récent épi­sode de double claus­tra­tion volon­taire occi­den­ta­lo­cen­tré, comme d’un phé­no­mène de socio­lo­gie des médias fas­ci­nant par son carac­tère de redon­dance morbide.

En effet, la titraille de nos chers confrères, qu’elle soit mulhousienne/alsacienne ou natio­nale, rejoint presque mot pour mot celle du mois de mars 2020, à l’orée du pre­mier épi­sode de confi­ne­ment. En adop­tant d’ailleurs une logique d’ac­com­pa­gne­ment, et des choix édi­to­riaux du même aca­bit qu’en mars der­nier, plu­tôt que l’a­morce d’une décons­truc­tion cri­tique sur les causes sys­té­miques qui nous mènent à nou­veau dans l’im­passe. Et le tout selon une forme plus ou moins consciente de pro­gres­si­vi­té normative :

  • Une alarme géné­rale tout azi­mut : « c’est du jamais vu », « un virus hors norme » ain­si que des mes­sages trau­ma­tiques répé­tés à l’instar d’une bouf­fée apo­ca­lyp­tique « un virus dont on a per­du le contrôle », « 500 000 morts selon les pro­jec­tions en France », « la course folle de l’épidémie »
  • Une sup­plique aca­riâtre à l’adresse des diri­geants « com­ment le gou­ver­ne­ment peut-il ne pas agir ? » « Alors que le pré­sident du conseil scien­ti­fique pense qu’il faut tout fer­mer », tel ou tel groupe de méde­cin en rajou­tant en matière de pué­ri­lisme condes­cen­dant : « il faut sif­fler la fin de la récrée » 
  • Une logique de ten­sion crois­sante, ali­men­tée par les bruits de cou­loirs issus des palais minis­té­riels : « il faut chan­ger de stra­té­gie, le Pré­sident s’en rend compte », « les ministres savent que le couvre-feu est une impasse », « des annonces dures seront faites, c’est désor­mais une évidence »
  • L’attente anxieuse des mesures dif­fi­ciles à venir : « le Pré­sident devrait s’adresser aux Fran­çais demain à 20h », « il ne fait plus de doute qu’un nou­veau tour de vis est en préparation »
  • Une forme de déli­vrance exta­tique à l’annonce des mesures coer­ci­tives : « c’est un nou­veau tour­nant », « c’est le retour de l’attestation », « l’épidémie nous sub­merge, nous devions agir », « il faut limi­ter nos libertés »
  • Enfin, la séquence s’achève dans les deux cas (outre le décompte quo­ti­dien des morts) par le ser­vice après-vente poli­ti­co-jour­na­lis­tique, sous la forme de fiches pra­tiques pour citoyens dociles, ou d’é­changes de jour­na­listes avec leurs lec­teurs sous la forme de chat, qui forment le gros sel de la période : 

« Tout savoir sur les attes­ta­tions de dépla­ce­ment qui vous per­mettent d’amener vos enfants à l’école »

« Quelles attes­ta­tions pour quels besoins ? » 

« Com­bien nous en faudra-t-il ? », 

« Ai-je le droit de faire ou ne pas faire ? » 

« Mon chien est incon­ti­nent, pour­rais-je le sor­tir deux fois par jour ? »

« Devons-nous aban­don­ner notre enfant sur le trot­toir, puisque nous sommes plus de deux à nous promener ? »

« Ma vie a‑t-elle encore un sens si je tourne en rond dans mon rayon kilo­mé­trique, comme un ham­ster dans sa roue ? »

Quand on n’a pas l’impression que des enfants s’a­dressent à d’autres enfants, on assis­te­rait presque effa­ré au spec­tacle d’une socié­té de maso­chistes s’adressant à leurs pairs en tro­pismes sadiques : « Cal­cu­lez le rayon kilo­mé­trique que vous avez le droit de par­cou­rir », « un site vous per­met de le connaitre précisément ».

On ima­gine éga­le­ment tous ces pieux rédac­teurs en chef, ten­tant déses­pé­ré­ment de don­ner sens, là où des abimes de per­plexi­té sai­sissent en géné­ral le citoyen lambda. 

« Eh coco, fau­drait me trou­ver un sujet qui per­mette de jus­ti­fier le port du masque aux enfants de 6 ans, alors qu’on a tou­jours dit que c’é­tait aber­rant. Eurê­ka ! Parait que les petits japo­nais en portent. Et per­sonne ne s’en plaint ». CQFD.

Il n’y a pas de doute : on vit une époque tra­gi-comique en Gaule. Et pen­dant ce temps-là, si les cou­sins Ger­mains se voient pri­vés de res­tau­rants et de bars (à par­tir du 2 novembre), ils n’ont tou­jours pas à jus­ti­fier de leurs pro­me­nades en famille (et avec 2 ou 3 amis !) dans l’espace public, ain­si que le sup­pose le règle­ment du jar­din des grands enfants gaulois.

Au demeu­rant, il est pro­pre­ment stu­pé­fiant de décou­vrir que per­sonne n’aborde même le sujet du bien­fon­dé intrin­sèque de ces attes­ta­tions de sor­tie, à l’aune du régime des liber­tés fon­da­men­tales et des droits consti­tu­tion­nels, toutes notions essen­tielles et struc­tu­rantes, par­fai­te­ment com­pa­tibles avec la notion de res­pon­sa­bi­li­sa­tion individuelle. 

« L’at­tes­ta­tion déro­ga­toire de sor­tie » ins­pi­rée des modèles ita­liens et espa­gnols (lequel trio concentre le plus grand nombre de morts du covid par mil­lion d’habitants du conti­nent), est en effet un concen­tré chi­mi­que­ment pur d’autoritarisme bor­né et d’infantilisme sud-européen.

L’émanation bureau­cra­tique d’États qui entre­tiennent un rap­port para­noïde à la popu­la­tion dont ils sont cen­sé­ment l’ex­pres­sion, et que leurs élites méprisent ouver­te­ment, car par nature, l’on ne sau­rait jamais faire confiance au peuple pour savoir s’autodéterminer ou se conduire.

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