La Collectivité Européenne d’Alsace doit voir le jour au 1er janvier 2021. Simple fusion de deux départements ou mise en place d’une vraie structure décentralisée d’un type nouveau ? L’avenir nous le dira même si les prérogatives de cette CEA ne sont pas aussi étendues que cela et qu’elle reste pour l’essentiel sous la coupe de la région Grand Est.
Pourtant, une des compétences accordées à cette structure est le développement du bilinguisme. La création de la CEA a été présentée comme offrant une occasion de dynamiser le bilinguisme sur son territoire, bilinguisme s’entendant comme le développement de l’enseignement de la langue régionale sous ses deux formes, soit allemand standard et dialectal.
Pierre Klein, président de la fédération Alsace bilingue (FAB) et de l’Initiative citoyenne alsacienne (ICA) a publié récemment un article mettant cette question de l’enseignement de l’alsacien et de l’allemand en perspective, s’appuyant sur sa profonde connaissance du sujet. Son texte est le fil rouge de cet article.
Dans la présentation du texte de loi portant sur la création de la CEA, le rapporteur n’hésite pas à affirmer que « L’État et les collectivités ont pris conscience de l’importance du bilinguisme. Depuis les années 1990, l’enseignement de la langue régionale en Alsace se concentre ainsi sur l’allemand dans sa forme standard et dans ses variantes dialectales (alémanique et francique).
Dans la pratique, l’académie de Strasbourg a développé l’enseignement de la langue régionale prioritairement en allemand, afin de s’inscrire dans les dimensions historiques et géographiques de la langue et la culture alsacienne, mais aussi pour tenir compte des perspectives d’accès à l’emploi pour les jeunes maitrisant l’allemand, soit en Allemagne soit au sein d’entreprises allemandes situées sur le territoire alsacien. »
Un manque d’enseignants
Pourtant, la réalité oblige à dire que l’enseignement universitaire de l’allemand (soit un pan seulement de la langue régionale) a énormément reculé, non seulement dans la région, mais également dans toute la France où nombre d’universités ont réduit, voire supprimé leurs sections allemand ces dernières années.
Cause ou effet : il s’avère que la filière d’enseignement de l’allemand n’a pas assez d’enseignant et que la CEA peut très bien se retrouver dans l’impossibilité de mettre en œuvre le développement du bilinguisme pour cette raison.
Les médias alsaciens semblent le déplorer et avancent des raisons pour le moins étonnantes. Ainsi, France 3 Alsace, dans son émission « Rund um », constate amèrement que « la filière ne séduit pas pour diverses raisons. Il y a tout d’abord la langue, elle-même. La langue allemande ne donne pas envie. Et puis il y a le manque de supports pédagogiques. (…) Il faut donc trouver des astuces et inventer, parfois, ses propres supports afin de transmettre la langue aux élèves. Ajouter à cela le départ pour l’Allemagne de certains enseignants formés ici car les salaires y sont nettement plus élevés… »
Pourtant, après avoir été dénigré, l’apprentissage du bilinguisme recueille de plus en plus d’adhésion puisque, selon France 3, « Cette année les écoles primaires ont encore enregistré une hausse d’inscriptions dans le bilingue. Plus de 26.000 élèves suivent cet enseignement, 1.300 de plus que l’an passé. Il ne faudrait pas que le manque d’enseignants refroidisse, définitivement, les parents d’élèves. »
Reconnaître les vraies raisons pour y remédier
Le constat de France 3 est juste… mais l’analyse un peu courte. Heureusement que Pierre Klein met en exergue des raisons profondes de cette désaffection et, en même temps, propose des solutions pour y remédier ;
Pierre Klein publie ce graphique avec le commentaire suivant :
« Le graphique laisse apparaître nettement le parallélisme ou le synchronisme dans la chute de la pratique des dialectes et de l’allemand standard, les mêmes causes produisant les mêmes effets. Autant le standard allemand que les dialectes ont été victimes d‘une part de la façon dont on traite en France les langues régionales et d’autre part d’une couche supplémentaire, celle de l’anti-germanisme qu’il soit général à la France ou particulier à l’Alsace.
Les dialectes ont subi une double peine dans la mesure où ils ont été considérés comme langue des classes inférieures, pas nobles, ordinaires. De surcroît, ils ont été dissociés de la langue de culture de référence, l’allemand standard, qui longtemps n’a plus été enseignée à l’école élémentaire, ce qui n’a pas manqué de conduire à leur appauvrissement qualitatif, qui à son tour a contribué à leur appauvrissement quantitatif (moins de locuteurs). On ne transmet pas une langue que l’on ne maîtrise pas vraiment ou devenue lexicalement pauvre.
La revivification, qu’il s’agisse des dialectes ou du standard dépendra de la façon dont évoluera la reconnaissance des langues régionales en France, de la résilience par rapport à l’anti-germanisme et plus particulièrement s’agissant des dialectes de leur « repositivation ». Cette dernière serait possible notamment par la réassociation des dialectes et du standard, une langue de grande culture qui permet une relexification endogène.
Reconnaître enfin la part de culture allemande dans la culture alsacienne
La chute a été parallèle, la réhabilitation ne pourra l’être qu’aussi. Le graphique montre aussi qu’aujourd’hui plus d’enfants ont été familiarisés au standard qu’aux dialectes. Tous font plus ou moins bien de l’allemand à l’école, encore que l’on ne leur dît pas toujours que l’allemand est aussi leur langue.
Les dialectes doivent aussi trouver leur place à l’école, en les reliant étroitement à l’enseignement de l’allemand. Les écoles ABCM-Zweisprachigkeit sont précurseurs dans ce domaine. Une méthode qui rendrait possible le passage du standard aux dialectes serait à élaborer.
(…) Il s’agirait aussi de combler le quasi vide entre le collège où existe un enseignement renforcé de l’allemand standard, mais pas un bilinguisme paritaire et l’université. (…) Qu’il s’agisse de l’école élémentaire, du collège ou du lycée, l’allemand est largement enseigné en Alsace comme il l’est à Bordeaux ou à Périgueux, c’est-à-dire sans lien avec la culture alsacienne dont il est aussi l’expression, sans gratification particulière et plus généralement sans lien avec la part allemande ou proprement alsacienne de l’identité alsacienne.
Ainsi fait-on l’impasse sur quelques grands noms d’auteurs alsaciens présents dans toutes les anthologies de la littérature allemande, sur les grands auteurs de la littérature dialectale alsacienne aussi, ou encore sur les arts et traditions populaires alsaciens. »
Et Pierre Klein de poursuivre : « Plus généralement, l’allemand standard est enseigné en Alsace aux élèves sans qu’il leur soit dit que c’est aussi leur langue. Ces situations contribuent à baisser le désir de langue et en particulier au non-investissement des étudiants dans les filières conduisant à l’enseignement de la langue allemande. »
Devenir Alsacien…
Dans son développement, le président de l’ICA intègre bien l’évolution sociologique et ethnique de nos sociétés. « Si l’on ne naît pas Alsacien, on peut vouloir le devenir, mais pour cela il faut pouvoir intégrer les éléments identificatoires alsaciens. C’est donc par l’absence de lien entre langue, culture et histoire que le système pèche en premier lieu. L’identité est en amont de tout, mais est-elle reconnue, promue, construite ou déconstruite ?
Tout comme l’enseignement de l’allemand ne possède pas en Alsace un caractère particulier le reliant à l’identité, il n’y existe pas de formations particulières d’enseignants de et en langue allemande ni de statut particulier leur permettant d’une part de valoriser financièrement leur investissement pédagogique et d’autre part de rester dans la région. (…) Les langues qui ne sont qu’enseignées, ce sont les langues mortes ! »
Les recommandations
Pierre Klein considère à juste titre que le manque de professeurs(es) s s’explique pour des raisons d’abord d’ordre général : il s’agit d’un métier de plus en plus difficile (d’autres filières connaissent des problèmes de recrutement) et le métier est mal valorisé financièrement, voire socialement.
Enfin quant aux déperditions évoquées entre le primaire et le secondaire, elles s’expliquent pour des raisons particulières :
- méconnaissance par les parents du fonctionnement du bilinguisme en collège
- les parents croient souvent à tort que les deux jours en allemand continuent d’exister en collège alors que seules certaines matières sont concernées ;
- illusion d’en savoir assez
- pas de vraies filières bilingues au collège et au lycée
- pas d’investissement affectif et identitaire, allemand enseigné comme une langue étrangère
- enseignement sans lien avec la culture comme une langue morte
- insuffisance de communication positive
- concurrence avec l’anglais : alors que lorsque l’on commence par le français et l’allemand à l’école, l’anglais, c’est cadeau (facile), tant l’anglais tient du germanique et du roman.
Espérons que les futurs décideurs de la CEA s’inspireront de ces réflexions et du travail de Pierre Klein. Nous ne manquerons pas de le leur rappeler dans nos colonnes à l’avenir.
Attention aux erreurs … et cela dès le premier nom de cet article !
Il ne s’agit pas de la Communauté, mais de la Collectivité Européenne d’Alsace.
(Si je me trompais, veuillez me pardonner).
Ich habe französisch als 1. Fremdsprache gelernt – auf einem humanistischen Gymnasium in Freiburg im Breisgau. Unser Schulbuch folgte dem Leben in einer typisch französischen Familie (sie hieß « Dupont », was – wie man uns sagte, im Deutschen dem Namen « Müller » oder « Maier » entsprach). Im Titel des Schulbuchs stand der Ausdruck « Civilisation franc,aise » und man lehrte uns, dass das im Deutschen soviel bedeute wie « Alltagskultur ». Daran musste ich denken, als ich die klugen Interpretationen von Prof. Klein gelesen habe; Die Elsässische Schuljugend benötigt ein Schulbuch, in dessen Titel das Wort « deutsche Alltagskultur » vorkommt, egal ob man sie im Badischen oder im Elsässischen beschreibt.
Ca fait du bien de lire une analyse soignée et qui ne désespère pas de l’avenir du bilinguisme dans ses trois composantes. Ma langue maternelle est le francique (dialecte de la bande nord de l’Alsace). Mon enfance s’est déroulée au moment du croisement des 3 courbes apparaissant dans le graphique de Pierre Klein. Ma génération n’a pris la mesure des conséquences du recul de l’usage du dialecte notamment dans les grandes agglomérations.
Lorsque j’ai adhéré au PCF et à la CGT dans les années 70, ces deux organisations prônaient le bilinguisme dans leurs tracts. La CGT Alsace lors d’une conférence régionale de 1984 réaffirmait l’absolue nécessité de l’enseignement précoce des deux langues française et allemande pour assurer aux futurs salariés la maîtrise de leur activité professionnelle et de leur culture régionale. Le rectorat de Strasbourg sous l’impulsion de son recteur Deyon (nommé par le gouvernement de Mitterand) encouragea l’adossement de l’apprentissage de l’allemand standard sur l’allemand dialectal.
Malheureusement presque 40 années après le résultat est mitigé pour ne pas dire décevant. Pourtant les discours des élus alsaciens sur le sujet n’ont pas manqué. Mais les moyens n’ont pas suivis. Ce n’est pas parce que la nouvelle CEA disposera de la compétence du bilinguisme que par enchantement celui-ci va fleurir comme une rose au printemps.
Il y faut plus d’acteurs engagés et prêts à lutter. La CGT d’aujourd’hui est muette sur le sujet. L’indispensable coopération et convergence revendicative avec le syndicalisme allemand devrait l’inciter à aborder cette question du bilinguisme de manière revendicative et offensive.