Nous avons inter­ro­gé Nathan Ted­ga, qui fait par­tie des signa­taires d’une adresse au pré­sident de la Répu­blique, lan­cée par un col­lec­tif des étu­diants de l’U­ni­ver­si­té de Haute Alsace à Mul­house, qui semble avoir quelque écho au niveau natio­nal. On y expose gra­ve­ment la situa­tion maté­rielle et morale des étu­diants, à l’aune des périodes de confi­ne­ment, et donc de fer­me­ture des lieux de vie et d’é­tude universitaires. 

Un texte qui pour être mesu­ré, n’en est pas moins fon­ciè­re­ment poli­tique et sen­sible, puis­qu’il dresse un tableau lucide et amer de la situa­tion pré­sente des étu­diant-es en géné­ral, et des étu­diant-es mul­hou­siens en par­ti­cu­lier. Mais plus lar­ge­ment encore, il évoque le sen­ti­ment d’a­ban­don et de détresse res­sen­tie par l’en­semble de la jeu­nesse uni­ver­si­taire face au silence de l’exé­cu­tif à leur sujet. 

L’échange audio, ani­mé par Michel Mul­ler, dure une ving­taine de minutes, et le texte du col­lec­tif se trouve repro­duit in-exten­so ici bas :

M. le président, ceci est la lettre des Derniers confinés

M. le pré­sident de la République,

En limi­tant l’accès des étu­diants aux cours en pré­sen­tiel, c’est toute une géné­ra­tion que vous sacri­fiez et l’avenir du pays que vous met­tez en danger.

À Mul­house, en mars, alors que la France entière avait les yeux rivés sur notre clus­ter et que la vie autour de nos facul­tés s’évanouissait, les cours, eux, conti­nuaient. Avec l’annonce du confi­ne­ment, l’université a fer­mé ses portes afin d’endiguer la pan­dé­mie, que nous mécon­nais­sions alors et que nous avions du mal à appréhender.

Étu­diants comme ensei­gnants, nous avons atten­du les direc­tives gou­ver­ne­men­tales, qui tar­daient à venir et nous lais­saient là, incré­dules, dans l’attente de connaître notre sort.Pourtant, même sans qu’un hori­zon clair ne soit déga­gé, nous avons pris notre mal en patience et avons com­po­sé. Nous nous sommes adap­tés tant bien que mal à cette nou­velle situa­tion de l’enseignement à dis­tance. Nous avions alors vu cette solu­tion comme tran­si­toire, per­sua­dés que, d’ici sep­tembre, nous pour­rions à nou­veau faire cours en pré­sen­tiel, dans des condi­tions res­pec­tant un pro­to­cole sani­taire strict.

« En novembre, retour à l’anormal »

Nous, étu­diants, avions alors confié notre ave­nir entre les mains du gou­ver­ne­ment, les yeux fer­més, en pen­sant que les moyens finan­ciers impor­tants déblo­qués pour venir en aide à cer­tains sec­teurs allaient aus­si nous être destinés.

Pour­tant, en novembre : retour à l’anormal. Si nous avons eu la chance de pou­voir assis­ter aux cours en pré­sen­tiel, dans de bonnes condi­tions, jusqu’aux vacances de la Tous­saint, quel ne fut pas notre désar­roi face à l’annonce de la reprise du dis­tan­ciel. Déjà, cer­tains d’entre nous, venus de l’étranger, des quatre coins de la France ou du Grand Est, se deman­daient où ils allaient se confi­ner. Pour beau­coup, le choix fut cor­né­lien, entre des situa­tions fami­liales com­plexes, des connexions inter­net médiocres, voire un manque de maté­riel numé­rique à nos domi­ciles, ou bien le silence d’un confi­ne­ment, seul entre ses quatre murs.

Le cam­pus de l’UHA est deve­nu un désert (doc remis)Nous avons, fort heu­reu­se­ment, pu comp­ter sur le sou­tien de nos pairs avec qui nous avons ten­té de créer de nou­velles formes de socia­bi­li­tés et de soli­da­ri­tés. Nos pro­fes­seurs aus­si étaient là, répon­dant à nos mails, s’efforçant de main­te­nir un mini­mum de lien avec leurs étu­diants afin d’éviter tout décro­chage ou détresse psy­cho­lo­gique. Pour cer­tains, la figure pro­fes­so­rale fut notre seule com­pa­gnie de la jour­née, au milieu des vignettes grises et des power­points. Plus que jamais, nous avons mesu­ré l’importance du lien entre pro­fes­seurs et étu­diants dans l’apprentissage et la for­ma­tion de citoyens éclairés.

« Nos appels à l’aide sont ignorés »

Pour­tant, madame la ministre de l’Enseignement supé­rieur et de la Recherche ne prê­tait pas atten­tion à nos appels à l’aide, ou du moins ne sem­blait pas les entendre. Ce n’est pas évident, en effet, de faire entendre sa voix lorsque l’on est étu­diant. Pour­tant, comme vous le savez, les étu­diants ont été la figure de proue de mou­ve­ments sociaux por­teurs de grandes avan­cées sociales dans l’Histoire.

Mais notre réper­toire d’action col­lec­tive s’est appau­vri avec le confi­ne­ment et le dis­tan­ciel : dif­fi­cile de mani­fes­ter notre détresse en res­pec­tant le pro­to­cole sani­taire, dif­fi­cile d’alerter sur notre pré­ca­ri­té quand nous n’avons aucune visi­bi­li­té col­lec­tive et que nos droits semblent mena­cés, dif­fi­cile de signer des péti­tions et de se mobi­li­ser lors d’assemblées géné­rales étu­diantes quand notre socia­bi­li­té est réduite à néant.

« Pour cer­tains, la figure pro­fes­so­rale fut notre seule com­pa­gnie de la jour­née » (doc remis)Nous avons donc ser­ré les dents, nous avons tenu bon pour limi­ter les risques de décro­chage, nous avons lut­té pour sau­ve­gar­der notre propre san­té men­tale. Cer­tains d’entre nous ont per­du leur emploi à cause de la crise, cer­tains d’entre nous ont per­du un proche, cer­tains d’entre nous ont pen­sé au sui­cide. Face à la pré­ca­ri­té, au risque d’échec et à l’indifférence du gou­ver­ne­ment mal­gré les signaux de détresse envoyés par des cama­rades, des pro­fes­seurs ou pré­si­dents d’université, notre seul espoir rési­dait dans l’attente du mois de janvier.

Alors que nous étions par­mi les pre­miers de cor­dée quand il s’agissait de fer­mer les uni­ver­si­tés, nous voi­là les der­niers décon­fi­nés. Dans l’échelle de « l’essentiel » du gou­ver­ne­ment, l’enseignement supé­rieur est à la traîne, der­rière les res­tau­rants et les bars. Même les lieux de culte ont pu rou­vrir, avec une jauge de 30 per­sonnes, quand les lieux de culture et de connais­sance ne peuvent reprendre leurs activités.

« Nous n’avons plus d’espoir »

Début jan­vier, les étu­diants n’ont plus espoir. Nous ne croyons plus à une reprise des cours en pré­sen­tiel avant des mois. Les étu­diants de troi­sième année voient leur « dés­in­té­gra­tion » appro­cher à mesure que leurs pers­pec­tives d’avenir s’éloignent et partent en fumée. Les pre­mières années semblent entre­voir une éclair­cie, mais le flou est tel­le­ment pré­gnant dans les cir­cu­laires minis­té­rielles qu’il est dif­fi­cile de sai­sir l’organisation des pro­chaines semaines, d’autant plus lorsque l’on patauge encore dans une ins­ti­tu­tion que l’on a à peine eu le temps de découvrir.

Dès lors, sur quels cri­tères s’appuyer pour défi­nir qui serait prio­ri­taire à un retour en salle, alors même que c’est toute la com­mu­nau­té étu­diante qui est concernée ?

Notre seul espoir rési­dait dans l’attente du mois de jan­vier (doc remis)La belle pro­messe de l’université ouverte, per­met­tant l’égalité des chances, semble envo­lée. Com­ment assu­rer une telle éga­li­té alors que la frac­ture ne cesse de s’agrandir entre les étu­diants ayant des condi­tions décentes de tra­vail (tant au niveau du loge­ment, du numé­rique que du point de vue finan­cier) et les lais­sés-pour-compte ? Com­ment l’État peut-il sacri­fier toute une géné­ra­tion sans se poser les ques­tions essentielles ?

Nous vous remer­cions, mon­sieur le pré­sident de la Répu­blique, pour vos pen­sées à notre égard, mais ce que nous deman­dons, ce sont des inves­tis­se­ments concrets dans l’Université (notam­ment en direc­tion des fonc­tion­naires, mais aus­si des tra­vaux de réno­va­tion en matière d’aération et d’infrastructures) ain­si qu’un pro­to­cole sani­taire per­met­tant un

retour au pré­sen­tiel dans les plus brefs délais, pour tous les niveaux d’études. Nous deman­dons que le minis­tère de l’Enseignement supé­rieur per­mette que des uni­ver­si­tés de proxi­mi­té, ser­vant de filet social, comme la nôtre, puissent, de toute urgence, reprendre vie et sau­ver ce qu’il reste à sauver.

Nous deman­dons éga­le­ment que les étu­diants soient davan­tage pris en compte pour de pareilles déci­sions, mais aus­si dans la vie uni­ver­si­taire en général.

Pour reprendre l’Abbé Sieyès à pro­pos du Tiers-État : qu’avons-nous été jusqu’à pré­sent dans l’ordre politique ?

Rien. Que deman­dons-nous ? À y être quelque chose. Cette com­pa­rai­son n’est pas vaine puisque des États Géné­raux de la for­ma­tion ont été orga­ni­sés dans cer­taines uni­ver­si­tés comme la nôtre. Les contri­bu­tions y ont été riches et inté­res­santes, mal­gré l’absence des étu­diants. Leur pré­sence sera désor­mais essentielle.

Les pre­miers signa­taires :

Éléo­nore Schmitt, élue au CA de l’UHA, étu­diante L3 Science Politique,

Sho­la Bamg­bose, élue au conseil de la FSESJ, repré­sen­tante étu­diante L3,

Léa Melo, étu­diante L3 Science Poli­tique Science Poli­tique UHA,

Mathieu Augus­to, élu au CFVU de l’UHA,

Moha­med Bela­lia, élu au CA de l’UHA,

Maël Boeuf, élu au CA de l’UHA,

Chloé Laf­font, élue CFVU de l’UHA,

Chloé Pugnaire-Dus­sou­chaut, élue au CA de l’UHA,

Axel Renard, élu au CFVU de l’UHA,

Mathilde Weber, élue CFVU de l’UHA,

Pau­line Henot, Pré­si­dente de l’Agora, asso­cia­tion des étu­diants en science poli­tique de Mulhouse,

Nathan Ted­ga, Pré­sident de l’ADEF, asso­cia­tion des étu­diants de la Fon­de­rie à Mulhouse,

Ken­za Tou­nous­si, pré­si­dente du bureau des élèves de l’ENSISA, école d’ingénieurs de Mulhouse.

Pour signer cette tri­bune, écrire à derniersdeconfines@gmail.com

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