Les réponses appor­tées par les gou­ver­ne­ments à la pan­dé­mie de COVID-19 ont mis en péril toute une série de droits en Europe et en Asie cen­trale et ont sou­li­gné le coût humain de l’exclusion sociale, des inéga­li­tés et des mesures abu­sives prises par les États. 

Les moyens insuf­fi­sants alloués aux sys­tèmes de san­té et le manque d’équipements de pro­tec­tion indi­vi­duelle adap­tés ont fait mon­ter les taux de mor­ta­li­té. Des obs­tacles ont entra­vé l’accès des tra­vailleuses et tra­vailleurs à la pro­tec­tion sociale, et les mesures de san­té publique qui ont été prises ont tou­ché de manière dis­pro­por­tion­née les per­sonnes et les groupes marginalisés. 

Nombre de gou­ver­ne­ments se sont en outre ser­vis de la pan­dé­mie comme d’un écran de fumée, l’utilisant comme pré­texte pour acca­pa­rer le pou­voir, répri­mer les liber­tés et faire fi de leurs obli­ga­tions en matière de droits humains

L’in­tro­duc­tion du rap­port mil­lé­si­mé 2020–2021 d’Amnes­ty Inter­na­tio­nal donne le ton. Et com­pile de manière exhaus­tive l’en­semble des atteintes aux droits et liber­tés dont ont été vic­time les popu­la­tions vivant sur le conti­nent. Tant à rai­son des cir­cons­tances internes et par­ti­cu­lières aux dif­fé­rents Etats, que des effets poli­tiques per­vers induits à la faveur de la dif­fu­sion du covid-19, sur des caté­go­ries ou groupes de per­sonnes, pour ce qu’elles font ou sont. 

En matière de mesures abu­sives prises par les Etats :

Près de la moi­tié des pays de la région ont ins­tau­ré l’état d’urgence face au COVID-19. Les gou­ver­ne­ments ont limi­té non seule­ment la liber­té de cir­cu­ler, mais éga­le­ment d’autres droits fon­da­men­taux, tels que les droits à la liber­té d’expression et de réunion pacifique. 

Un nombre record de pays (10 au milieu de l’année) ont déci­dé de déro­ger à des dis­po­si­tions de la Conven­tion euro­péenne des droits de l’homme (CEDH), par­fois de façon pro­lon­gée. S’il est vrai qu’en temps de crise un pays peut, sous cer­taines condi­tions, déro­ger à quelques-unes de ses obli­ga­tions en matière de droits humains, les res­tric­tions impo­sées doivent être tem­po­raires, néces­saires et proportionnées.

Alors qu’il était urgent de dis­po­ser de don­nées pré­cises, per­ti­nentes et fon­dées sur une approche scien­ti­fique pour com­battre la pan­dé­mie, un cer­tain nombre de gou­ver­ne­ments ont impo­sé des res­tric­tions injus­ti­fiées à la liber­té d’expression et à l’accès à l’information.

En Armé­nie, en Azer­baïd­jan, au Béla­rus, en Bos­nie-Her­zé­go­vine, en France, en Hon­grie, au Kaza­khs­tan, en Ouz­bé­kis­tan, en Pologne, en Rou­ma­nie, en Rus­sie, en Ser­bie, au Tad­ji­kis­tan, en Tur­quie et au Turk­mé­nis­tan, le pou­voir a fait un usage abu­sif de lois exis­tantes ou nou­vel­le­ment adop­tées pour limi­ter la liber­té d’expression.

Cer­tains pays, comme la Hon­grie, ont fait un amal­game entre crise sani­taire et sécu­ri­té publique. En France et en Tur­quie, par exemple, des lois sur la sécu­ri­té natio­nale ont été adop­tées à la hâte, dans le cadre de pro­cé­dures expéditives. 

Pour Amnes­ty « Les gou­ver­ne­ments doivent ces­ser de se ser­vir de la pan­dé­mie comme pré­texte pour répri­mer la dis­si­dence. Ils doivent modé­rer l’action de la police, veiller à ce que tout auteur d’abus soit sou­mis à l’obligation de rendre des comptes et arrê­ter le glis­se­ment actuel vers une socié­té de la surveillance ».

En matière d’ac­tion des défen­seurs humains et des ONG, en France, et en Europe 

Cer­tains gou­ver­ne­ments ont encore res­treint l’espace dans lequel les défenseur·e·s des droits humains et les ONG pou­vaient s’exprimer, en appli­quant des mesures légis­la­tives et des poli­tiques répres­sives et en tenant un dis­cours de stig­ma­ti­sa­tion. Cette ten­dance s’est accé­lé­rée pen­dant la pandémie. 

Les rangs de la socié­té civile se sont clair­se­més à mesure que se taris­saient les sources de finan­ce­ment en pro­ve­nance aus­si bien des par­ti­cu­liers que des fon­da­tions, des entre­prises et des États, en rai­son des dif­fi­cul­tés éco­no­miques induites par la crise du COVID-19

Sur fond de lutte contre le ter­ro­risme, la France et l’Autriche ont entre­pris de dis­soudre un cer­tain nombre d’associations musul­manes selon des pro­cé­dures pro­blé­ma­tiques.

Tou­jours en France, comme dans d’autres pays, tels l’I­ta­lie ou Malte, les auto­ri­tés ont conti­nué d’entraver, voire d’incriminer, l’action des ONG mobi­li­sées pour por­ter secours ou pour four­nir une aide huma­ni­taire aux per­sonnes migrantes ou deman­deuses d’asile.

Des mil­liers de manifestant·e·s se sont oppo­sés en France à un nou­veau pro­jet de loi contro­ver­sé sur la sécu­ri­té et, en Pologne, à un juge­ment qui limi­tait encore davan­tage l’accès à l’avortement sécurisé. 

Pour Amnes­ty : « Les États doivent ces­ser de jeter le dis­cré­dit sur les ONG et les défenseur·e·s des droits humains, et doivent créer un envi­ron­ne­ment sûr et favo­rable dans lequel il est pos­sible de défendre et de pro­mou­voir les droits humains sans crainte de sanc­tions, de repré­sailles ou d’intimidation ».

Sur les droits des per­sonnes réfu­giées ou migrantes

Le COVID-19 n’a fait qu’aggraver la situa­tion déjà pré­caire dans laquelle se trou­vaient les réfugié·e·s et les migrant·e·s. Plu­sieurs pays ont dif­fé­ré ou sus­pen­du le trai­te­ment des demandes d’asile. Les réfugié·e·s et les migrant·e·s, qui vivaient sou­vent dans des centres de déten­tion, des camps ou des squats sur­peu­plés et insa­lubres, étaient par­ti­cu­liè­re­ment expo­sés au COVID-19

Cher­chant mani­fes­te­ment à contour­ner leurs obli­ga­tions en matière d’interdiction des ren­vois for­cés illé­gaux, l’Italie, Malte et l’UE ont pour­sui­vi leur coopé­ra­tion avec la Libye, où les migrant·e·s et les réfugié·e·s débar­qués étaient vic­times de graves atteintes aux droits humains. 

L’UE a com­men­cé à débattre d’un nou­veau pacte sur l’immigration, qui s’inscrivait dans la conti­nui­té de l’axe prin­ci­pal de sa poli­tique consis­tant à décou­ra­ger les migra­tions plu­tôt qu’à les gérer de façon conforme aux droits fon­da­men­taux des personnes. 

Selon les conclu­sions de l’ONG : « les États doivent élar­gir les voies de migra­tion légales et sûres afin de per­mettre aux per­sonnes ayant besoin d’une pro­tec­tion de se rendre en Europe. Ils doivent notam­ment four­nir des visas huma­ni­taires et pro­po­ser des mesures de réins­tal­la­tion, de par­rai­nage citoyen et de rap­pro­che­ment familial ».

Sur la lutte contre le chan­ge­ment cli­ma­tique et la res­pon­sa­bi­li­té des entreprises 

Le Conseil euro­péen a déci­dé en décembre de réduire les émis­sions de gaz à effet de serre d’au moins 55 % d’ici 2030. Bien que ce nou­vel objec­tif consti­tue un pro­grès par rap­port au pré­cé­dent, il res­tait en deçà de ce qui serait néces­saire pour évi­ter les pires consé­quences que la crise cli­ma­tique pour­rait avoir pour les droits humains. Il fai­sait en outre peser une res­pon­sa­bi­li­té exces­sive sur les pays en développement. 

Au niveau natio­nal, l’immense majo­ri­té des pays euro­péens ayant fait part de leur inten­tion de par­ve­nir à zéro émis­sion conti­nuaient de se fixer 2050 pour hori­zon. Or, pour évi­ter que les popu­la­tions subissent de graves pré­ju­dices, en Europe comme ailleurs, il est impé­ra­tif d’atteindre la neu­tra­li­té car­bone bien avant cette date. En outre, les plans cen­sés per­mettre l’avènement d’une telle neu­tra­li­té com­por­taient le plus sou­vent des failles sus­cep­tibles de retar­der l’action pour le cli­mat, ain­si que des mesures allant à l’encontre du res­pect des droits humains. 

Plu­sieurs pays, dont l’Allemagne, la France, l’Italie, le Royaume-Uni et la Rus­sie, ont per­mis à des entre­prises très émet­trices de car­bone, telles que les acteurs du sec­teur des éner­gies fos­siles ou de l’aéronautique, de béné­fi­cier de mesures de relance éco­no­mique (allè­ge­ments fis­caux, prêts, etc.), sans les assor­tir de la moindre condi­tion de réduc­tion de leur empreinte carbone.

Pour Amnes­ty : « Les gou­ver­ne­ments doivent revoir leurs calen­driers de réduc­tion des émis­sions de gaz à effet de serre et de mise en place de la neu­tra­li­té car­bone afin d’avancer plus rapi­de­ment, en éli­mi­nant les failles qui retardent l’action pour le cli­mat. Ils doivent condi­tion­ner toute mesure de sou­tien éco­no­mique des­ti­née à des entre­prises for­te­ment émet­trices à l’engagement d’abandonner pro­gres­si­ve­ment les car­bu­rants fos­siles dans des délais bien pré­cis. Les légis­la­teurs et légis­la­trices de l’UE doivent veiller à ce que la loi tienne effec­ti­ve­ment les entre­prises pour res­pon­sables des atteintes aux droits humains et à l’environnement com­mises au sein de leur chaîne de valeur et offre des voies de recours aux victimes ».

Sur la pro­tec­tion des droits humains dans la région et dans le monde 

Les coups de bou­toir contre le cadre euro­péen de pro­tec­tion des droits humains se sont pour­sui­vis en 2020. Au sein de l’OSCE, les États membres n’ont pas pu se mettre d’accord sur les per­sonnes à pla­cer à la tête des grandes ins­ti­tu­tions char­gées des droits fon­da­men­taux en rem­pla­ce­ment des dirigeant·e·s pré­cé­dents qui avaient ter­mi­né leur man­dat. Plu­sieurs mois se sont écou­lés avant que des nomi­na­tions ne soient approuvées. 

Des États membres du Conseil de l’Europe ont cette année encore dif­fé­ré l’application de l’intégralité ou d’une par­tie des arrêts ren­dus par la Cour euro­péenne des droits de l’homme. Signe frap­pant de la régres­sion actuelle, le nombre d’arrêts concluant à la vio­la­tion de l’article 18 de la Conven­tion euro­péenne des droits de l’homme, qui inter­dit toute res­tric­tion des droits pour des rai­sons autres que celles défi­nies dans ladite Conven­tion, était en augmentation. 

Plu­sieurs États membres du Conseil de l’Europe, comme l’Azerbaïdjan, la Rus­sie et la Tur­quie, ont été décla­rés cou­pables d’avoir pla­cé en déten­tion ou pour­sui­vi en jus­tice de manière abu­sive des indi­vi­dus, ou d’avoir limi­té plus géné­ra­le­ment leurs droits de façon illé­gi­time. Or, les atteintes à cet article 18 doivent réson­ner comme autant de signaux d’alarme, car elles tra­duisent l’existence d’une réelle répres­sion politique. 

L’UE avait tou­jours bien du mal à s’opposer à l’érosion de l’état de droit à l’œuvre en Hon­grie et en Pologne. Elle a cepen­dant enclen­ché une pro­cé­dure à l’encontre de ces deux pays, esti­mant qu’il exis­tait un risque de vio­la­tion grave de ses valeurs fon­da­trices. Les États membres de l’UE se sont mis d’accord à la fin de l’année pour condi­tion­ner tout finan­ce­ment, et notam­ment les fonds des­ti­nés à la relance d’après COVID-19 et à la lutte contre le chan­ge­ment cli­ma­tique, au res­pect de l’état de droit. 

La manière dont cette condi­tion pour­rait être appli­quée res­tait cepen­dant à pré­ci­ser. En dépit d’un cer­tain nombre d’arrêts impor­tants pro­non­cés par la CJUE concer­nant l’indépendance du pou­voir judi­ciaire et les attaques contre les ONG, l’incapacité de l’Union euro­péenne à inver­ser ou même à stop­per la ten­dance au rétré­cis­se­ment de l’espace dévo­lu aux orga­ni­sa­tions non gou­ver­ne­men­tales et à la mul­ti­pli­ca­tion des atteintes aux droits humains per­pé­trées dans le cadre du phé­no­mène migra­toire a mis à rude épreuve sa propre cohé­rence, aus­si bien interne qu’externe, et a affec­té la cré­di­bi­li­té de son enga­ge­ment en faveur des droits fon­da­men­taux dans le cadre de sa poli­tique étrangère. 

En Europe de l’Est et en Asie cen­trale, l’influence poli­tique, éco­no­mique et par­fois mili­taire de la Rus­sie et de la Chine conti­nuait de se faire sen­tir, affai­blis­sant le cadre inter­na­tio­nal de pro­tec­tion des droits humains et les ins­ti­tu­tions char­gées de le faire respecter. 

La Rus­sie a appor­té un sou­tien finan­cier et média­tique à des auto­ri­tés béla­rus­siennes enga­gées dans une confron­ta­tion vio­lente et de grande ampleur avec la popu­la­tion, tan­dis que l’UE, les Nations unies et les ins­ti­tu­tions régio­nales de défense des droits humains se mon­traient inca­pables d’exercer une pres­sion poli­tique suf­fi­sante pour faire ces­ser les graves abus perpétrés. 

En Europe de l’Ouest, des pays comme la Bel­gique, la France, la Répu­blique tchèque ou le Royaume-Uni ont auto­ri­sé des ventes d’armes à l’Arabie saou­dite et aux Émi­rats arabes unis, mal­gré la forte pro­ba­bi­li­té que celles-ci soient uti­li­sées pour com­mettre des atteintes aux droits humains dans le cadre du conflit au Yémen.

Cela alors même que l’UE a pris en 2020 un cer­tain nombre de mesures des­ti­nées à ren­for­cer sa poli­tique en matière de droits humains, adop­tant notam­ment un nou­veau plan d’action en faveur des droits de l’homme.

Sur ce cha­pitre, l’or­ga­ni­sa­tion inter­na­tio­nale ren­voie de manière cin­glante les Etats à leur parole : « Les États doivent s’acquitter des obli­ga­tions qui sont les leurs aux termes des trai­tés qu’ils ont eux-mêmes choi­si de signer, et res­pec­ter le cadre de pro­tec­tion des droits humains dont ils font par­tie. Lorsqu’ils se sont enga­gés à hono­rer les déci­sions des tri­bu­naux inter­na­tio­naux com­pé­tents en matière de droits humains, ils doivent appli­quer ces décisions ».

Accès au rapport. 

Cette ressource est accessible gratuitement pour une période de temps limitée. Pour nous permettre de continuer à vous proposer articles, documentaires, vidéos et podcasts, abonnez-vous à partir de 3 euros seulement !