Par Jean-Yves Causer, sociologue.
« La ville de Mulhouse s’engage à rechercher et à proposer un terrain répondant aux besoins de la communauté islamique Milli Görüs (CIMG) à Mulhouse pour un lieu de culte et d’activité culturelle dans le cadre d’une concertation entre la municipalité et la CIMG »
Le Canard Enchaîné du 07/04/2021
Cet extrait d’un compte rendu de réunion, en date du mercredi 05/02/2014, s’étant tenue en présence de représentants de l’association cultuelle, de Jean Rottner, (alors maire en campagne), de l’ambassadeur de Turquie et de Gérard Larcher, montre très clairement l’acceptation d’une telle implantation.
Or, plutôt que de simplement reconnaître la réalité d’une pleine acceptation alors non conditionnée par d’éventuels critères de localisation ou d’usage, Jean Rottner nous rappelle aujourd’hui sa plus farouche opposition à un islam consulaire irrespectueux de nos valeurs et règles républicaine, une posture, (refusant, a priori, toute compromission). Ce qui a donné lieu à sept années de procédure.
Son argumentation et ses actuelles justifications manquent toutefois de clarté. En effet, alors qu’il est interviewé par Apolline de Maherbe sur un éventuel lien pouvant être établi entre cette opération et le financement de la mosquée de Strasbourg, Jean Rottner se livre à une étonnante démonstration.
En fait, nous avons plus affaire à un écran de fumée qu’à une explication claire et précise. Ce qui m’amène à poser une série de questions pouvant venir à l’esprit de tout mulhousien soucieux de la tournure prise par les événements et des risques évidents de récupération politique par le RN :
- Est-ce que l’argument de l’achat se situant sur une friche industrielle, économique ( argument avancé par Jean Rottner) n’est pas plutôt lié à un phénomène de NIMBY (« Not in My Backyard » qui renvoie, dans le cas présent, à la mobilisation de mulhousiens à l’encontre d’un tel projet d’implantation ?) ;
- Un maire n’aurait pas, en amont d’une telle opération, la possibilité de préempter un terrain et seul l’État pourrait s’y opposé en aval ? ;
- Est-ce que cette association avançait « masquée » et aurait caché ses intentions (contrairement à ce qui est retranscrit dans l’extrait fourni par le Canard Enchaîné) ?;
- Alors que nous avons affaire à la même communauté, cette dernière n’aurait pas la même volonté hégémonique sur Mulhouse ? ;
Le plus inquiétant réside, cependant, dans cette déclaration : « Il doit y avoir de la part des musulmans, vraiment une acceptation des principes républicains de notre pays. La république doit être clairement incarnée dans les associations et les associations cultuelles doivent s’y soumettre ».
Si Jean Rottner estime avoir de bonnes raisons de dénoncer cette non adhésion de la CIMG à la charte, faut-il, pour autant, se livrer à de tels amalgames lorsqu’il évoque indistinctement « les musulmans »? Cette charte ne contient-elle d’ailleurs pas des relents discriminatoires, comme semblent bien le suggérer les sociologues Françoise Lorcerie et Fabrice Dhume :
« Quel besoin d’inventer un « pacte » moral qui lierait spécifiquement les musulmans, comme s’ils n’appartenaient pas pleinement et légitimement à l’espace français ?
« Les musulmans […] sont liés à la France par un pacte. Celui-ci les engage à respecter la cohésion nationale, l’ordre public et les lois de la République. » (art. 1). Un tel « pacte » n’est requis d’aucune autre catégorie de citoyens. L’ordre public et les lois s’imposent à tout un chacun, pas de pacte en cette affaire. »
L’absence de clarté et d’authenticité de nos responsables politiques locaux de tout bord politique ne fait-il pas le jeu des extrêmes ? Comment ne pas voir dans la position de la mairie de Strasbourg un renoncement à lutter contre toutes les formes de domination masculine dont la CIMG n’a malheureusement pas le monopole ?
Comme le suggère la journaliste Anne-Sophie Mercier : « Le soutien de Jeanne Barseghian à Milli Görüs est d’autant plus surprenant que la maire se dit féministe et que l’organisation a ouvertement milité contre la convention d’Istanbul un texte condamnant la violence faite aux femmes » (Le Canard Enchaîné du 31/03/2021).
Face à la montée des intégrismes religieux et politiques, il est plus que temps de réagir avec détermination et lucidité ! Il importe, dans cette perspective, de faire preuve de congruence c’est-à-dire d’être, un minimum, en accord avec des valeurs et des convictions que nous pensons, malgré tout, le plus souvent sincères. Comme l’affirme si justement Edgar Morin : « Il faut toujours ressembler un peu à ses idées » et tout est dans le « un peu » !
Certaines allégations, reprises par un journal local, mentionnent les menaces portées sur un esprit concordataire datant de deux siècles : Jean-Philippe Maurer ( conseiller municipal de Strasbourg et de l’Eurométropole de Strasbourg évoque ainsi une « bombe à fragmentation qui a généré un chaos tant sur le plan local qu’au niveau national », Dominique Duwig précisant : « Avec comme victime collatérale le dialogue interreligieux » […]. « Sur la même longueur d’onde, Pascal Mangin (autre élu de droite) regrette que « l’affaire relance le débat sur le Concordat » » (l’Alsace du 10/04/2021).
Si l’on ne prend que l’évolution actuelle du diocèse d’Alsace, le Concordat a‑t-il vraiment besoin du recours des écologistes pour se saborder ? Le fait que ce soient les mêmes qui défendent les écoles confessionnelles catholiques et stigmatisent les accompagnatrices d’écoliers (à savoir des mères portant le voile) n’a rien de paradoxal !