Vingt ans après l’explosion de l’usine AZF de Toulouse et un an après celle du port de Beyrouth, au Liban, le danger court toujours. Et l’on est en droit de s’inquiéter sérieusement de la passivité des autorités françaises, devant l’implantation, peu contrôlée ou contrôlable, d’entrepôts d’ammonitrate, en de multiples endroits du territoire.
L’ammonitrate, ou nitrate d’ammonium, une substance peu alarmante de prime abord, car elle n’explose que rarement. Des conditions particulières, héritières de négligences répétées rendent toutefois l’évènement possible. Et quand cela survient, personne ne saurait l’oublier.
L’explosion de l’usine AZF de Toulouse fut plus grande catastrophe industrielle française depuis 1945. Elle a été causée par 300 à 400 tonnes d’ammonitrates, et n’a hélas pas fait bouger les choses, et moins encore sensibilisé les pouvoirs publics.
Elle occasionnera trente et un morts, et près de deux mille cinq cents blessés.
Il faudra dix-neuf ans pour qu’une décision judiciaire soit prise, et la condamnation aura été minime. En 2017, l’ex-directeur du site Serge Biechlin à en effet écopé de quinze mois d’emprisonnement avec sursis et 45 000 euros d’amende. La société propriétaire de l’usine et filiale de Total, Grande Paroisse, a quant à elle été condamnée à payer la somme de 225 000 euros d’amende.
Cet accident a montré que la législation n’avait pas été appliquée du fait du manque de contrôle des installations classées. Il y a un an, ce fut au tour du port de Beyrouth de connaitre le chaos d’une explosion liée à l’ammonitrate, un engrais azoté d’usage courant dans l’agriculture.
Des ammonitrates à Ottmarsheim
Nous avons évoqué à de multiples reprises le danger d’exposition local des populations, causé par le stockage non conforme de cette substance dans les locaux de la coopérative agricole d’Ottmarsheim, la CAC.
Un collectif s’est d’ailleurs constitué à Mulhouse autour de cet enjeu : le « collectif du 26 septembre – C26S », en référence à la date de l’explosion de l’usine toulousaine.
Des questions ont été soulevées auprès du Conseil d’agglomération M2A, et une motion réclamant des garanties de protection pour la population y a été rejetée. En juin 2021, les militants lanceurs d’alerte interpellaient à ce sujet le président du Grand Est, Jean Rottner, et la ministre Brigitte Klinkert, en vain. Tout est consigné dans nos colonnes.
L’un des principaux lanceurs d’alerte, à l’origine de l’action du collectif mulhousien, fut donc Paul Poulain, spécialiste de la maîtrise des risques industriels, dont l’une des actions est d’évaluer les risques et de prévenir les industriels, les exploitants agricoles et les autorités locales, nationales ou européennes.
Le lanceur d’alerte, qui n’aura eu de cesse d’épingler la fragilité et la vétusté de nombre de ces équipements, déplorant ce faisant l’inaction des dirigeants politiques devant le risque de dégradation progressive et d’impréparation des entreprises utilisatrices, est l’auteur d’un ouvrage, publié il y a quelques jours par les éditions Fayard.
Tout peut exploser
Le produit de son enquête, intitulée : « Tout peut exploser », dresse un panorama exhaustif des installations industrielles à risque en France, laquelle absorbe 8 % de la consommation mondiale d’ammonitrate. Un chiffre considérable ramené au nombre d’habitants, proportionnellement l’un des taux les plus élevés en matière de risque d’explosion.
Il y rappelle notamment que 68 000 interventions de pompiers ont lieu chaque année sur des sites d’accidents industriels. Une augmentation de 20 % sur les cinq dernières années…
L’ambition de l’auteur n’est pas de faire peur inutilement, mais de prévenir afin de se doter des moyens d’agir, et ainsi de réduire le risque encouru par les populations exposées.
Le collectif du 26 septembre (C26S) s’en fut devant le Parc expo de Mulhouse, au dedans duquel se tenait le Conseil municipal de la ville, afin de rappeler les faits exposés par le livre de Poulain, et tenter d’en proposer sa lecture aux élus… Ils allèrent également à la rencontre des élus des conseils municipaux de Rixheim et de Riedisheim. Le collectif adressa par ailleurs un courrier à ce sujet à Michèle Lutz maire de Mulhouse, Rachel Baechtel maire de Rixheim, et Loïc Richard, maire de Riedisheim. Restés sans réponse à ce jour.
Paul Poulain sera le mercredi 27 octobre 2021 en rencontre et en dédicaces à la librairie 47° Nord, 8 bis Rue du Moulin, à Mulhouse.
Les photos sont signées de Martin Wilhelm :
Tout peut exploser. Enquête sur les risques et les impacts industriels. Paru le 15 septembre 2021.