Crânement et opiniâtrement, l’antienne des responsables politiques reste absurdement inamovible. Aujourd’hui c’est un sénateur, François Sauvadet, membre du parti centriste UDI, parti supposément humaniste auprès duquel on aura entendu le pire des déclarations martiales et autoritaires quant à la vaccination contre le covid, qui confirme que son département ne verserait pas le RSA aux salariés non-vaccinés suspendus.
« J’ai donné des consignes à mes services » a affirmé celui qui est également président du Conseil départemental du département de la Côte d’Or, et de l’ADF (Assemblée des Départements de France).
Les personnes non-vaccinées « n’ont qu’à assumer leurs responsabilités » et face à l’appel à la solidarité, proposé mollement par le ministère de la Santé, François Sauvadet estime que « la vraie solidarité nationale c’est de se vacciner. »
Cette posture intransigeante a au moins eu pour avantage de faire tomber le décor de ce théâtre social ignominieux, dont les premiers rôles sont tenus par les responsables politiques. Eux qui font pièce des dispositions de droit qui permettent que des personnels de santé passent du statut de héros à celui d’engeance infréquentable pour avoir eu l’audace de donner corps à l’article 5 de la Déclaration des Droits de l’Homme de 1789. Celui qui stipule que « Tout ce qui n’est pas défendu par la loi ne peut être empêché, et nul ne peut être contraint à faire ce qu’elle n’ordonne pas ».
Cet égarement collectif exacerbé à l’occasion d’une maladie respiratoire bénigne pour 99,5% de la population, et dont la vaccination ne viendra pas à bout à elle seule, comme cela est rappelé dans un récent article de la revue médicale de référence, The Lancet, illustre la dissonance cognitive et politique qui gagne aujourd’hui l’ensemble des responsables publics, et diffuse largement dans l’ensemble du corps social.
Illustration empirique de ce phénomène : les prétoires des tribunaux administratifs y servent de tribune à valeur cathartique pour une fraction du personnel médical.
Dans tout le pays de nombreux soignants saisissent les juges des référés des tribunaux administratifs, afin d’enjoindre les directions de leurs établissements à rétablir le versement de leur rémunération, assimiler la période de suspension à une période de travail effectif déterminant ses congés payés, voir reconnu ses droits à l’ancienneté et à l’avancement.
Les jugements sont contrastés, de sorte que la jurisprudence administrative est devenue difficile à appréhender sur le sujet. Si les juridictions de Cergy-Pontoise, Nancy, Grenoble, notamment, font état de doutes sérieux quant à la légalité des mesures de suspension dirigée contre les professionnels de santé, à Strasbourg, comme dans d’autres juridictions, on se cantonne en revanche à une application roide de la loi du 5 aout 2021.
Ainsi, le 27 septembre 2021, deux soignants de l’hôpital de Loewel (Munster – Haut-Rhin) voyaient leur requête rejetée par le tribunal administratif de Strasbourg.
Nous nous sommes rendus au tribunal administratif de Strasbourg, ce mercredi 1er décembre 2021, afin d’observer comment la justice y est rendue sur ces affaires.
A 10h, 11 femmes et 2 hommes, toutes et tous fonctionnaires hospitaliers, et employés du GHRMSA (groupement hospitalier de la région mulhousienne) se présentaient devant la juge des référés du tribunal, notamment pour y réclamer le paiement de leurs congés payés, rejeté par leur employeur, au motif que leur vaccination contre le covid n’est pas accomplie.
La chose paraitrait impensable en droit du travail. Refuser le bénéfice d’indemnités maladie, ou suspendre un contrat de travail pendant un arrêt maladie est strictement prohibé par le Code du travail. On penserait le secteur public plus protecteur à cet égard. Il n’en est rien, en dépit de nombreux préjugés, car souvent le droit public autorise de nombreuses libéralités sociales.
En l’occurrence, l’article L. 521–1 du code de justice administrative permet de saisir le juge des référés, à propos d’une sanction, « lorsque l’urgence le justifie et qu’il est fait état d’un moyen propre à créer, en l’état de l’instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision ».
Mais le drame qui se nouait ce jour dans cet espace traditionnellement voué à traiter le contentieux civil entre particuliers et services publics dépassait le simple exercice de formalisme juridique applicable au requérant lambda.
Ce qui s’y jouait, plus assurément, relève de la nécessité de défendre une dignité bafouée, et de témoigner ‑devant le magistrat qui a pour charge de connaitre de l’excès de pouvoir administratif et étatique- de sa fidélité au service public de l’hôpital.
Et ce faisant, de se présenter seul à la barre.
La présidente du tribunal se risqua à bien demander si l’un ou l’une souhaitait s’exprimer pour le groupe. Mais sa question fut suivie d’un long silence. A l’exception d’une femme employée par le centre hospitalier mulhousien, qui fut représentée par un avocat, chacune des requérantes plaida son cas devant le tribunal.
L’épreuve fut des plus difficiles. En attendant leur tour, on les voyait tordre nerveusement les notes sur lesquelles figuraient les éléments de leur défense. Certaines rectifiaient encore au dernier moment, d’autres biffaient certains passages et griffonnaient quelques ajouts par voie de fléchage.
En sortant de la barre, elles regagnaient leur place, la mine un peu défaite, et recevaient souvent le secours d’une main voisine, en signe de soutien et de solidarité.
Ce qu’illustrait ces témoignages, relatant souvent de longues trajectoires professionnelles au sein du service public hospitalier : « après plus de 26 ans de service, on me laisse sans rien », ou « après 35 ans de bons loyaux services, on me prive de mes droits », c’est d’abord une logique du couperet, dont l’avocate du GHRMSA aura usé à de multiples reprises.
Une logique qui ne saurait s’accommoder des histoires individuelles, des subjectivités et des émotions dont sont pétries ces femmes et hommes. Surtout lorsqu’elles charrient leur lot de souffrance et d’incompréhension fébrile, en face d’un mur administratif et juridique.
Un engrenage dans lequel l’employeur se retrouve d’ailleurs lui-même emporté (sauf à s’exposer à une responsabilité pénale), et qui le porte à contacter régulièrement les agents concernés afin de s’enquérir de leur démarche vaccinale, ce que ceux-ci vivent, ou ressentent, comme une ingérence dans leur intimité, voire un « harcèlement », le mot a été lâché à de multiples reprises devant la barre.
C’est que la loi du 5 aout 2021 est formulée de manière si imprécise qu’elle ne saurait souffrir aucune adaptation contextuelle. « La loi ne fait pas de différence entre agents au travail et ceux en congé, incluant la maladie », ressassera l’avocate du groupement hospitalier, comme une antienne valant position de défense.
Pourtant, ces 11 femmes et 2 hommes ne manquent par de souligner devant le tribunal toute l’inconséquence de la loi du 5 aout 2021, qui élargit l’usage du passe sanitaire et rend la vaccination obligatoire pour les soignants.
Elles ont passé de toute évidence du temps à effectuer des recherches juridiques, souvent pointues, pour faire état, en droit, de leur sort. Mais l’émotion et la colère affleuraient souvent de concert au milieu de leurs explications normées :
« J’ai reçu 200 euros ce mois, comment puis-je vivre dans ces conditions ? »
« Je suis en arrêt maladie depuis le mois de mars 2021, on m’ôte aujourd’hui mes indemnités et on me reproche aujourd’hui de n’être pas vacciné ! »
« J’ai reçu le mémoire de défense du GHRMSA hier soir seulement. Comment puis-je me préparer et répondre aujourd’hui dans ces conditions ? »
« Je suis en arrêt maladie depuis le mois d’aout (soit avant la date limite du 15 septembre), je ne vois pas de patients en tant que secrétaire médicale, et je reste chez moi depuis que je suis à l’arrêt. Comment pourrais-je être une menace pour des patients ? »
Une certaine forme de candeur apparait également par intervalles :
« Je ne vous cacherai pas, madame la présidente, que j’ai peur de cette injection. Et puis mon médecin m’a conseillé de ne pas me faire vacciner ! »
Stupeur de la présidente :
« Mais enfin, vous avez un écrit quand même ? »
« Non, il me l’a dit oralement ».
« Écoutez, faites-vous établir un écrit, je suis certaine que le GHRMSA en tiendra compte ».
« Je ne savais pas que c’était possible ! »
Et l’avocate du groupement hospitalier de renchérir :
« Mais bien sûr, si vous produisez un écrit je le transmettrai pour faire établir une contre-indication ».
La présidente se montre attentive à chaque requérant. Elle en tance quelquefois l’une ou l’autre lorsque des plaidoiries menacent de muer progressivement en diatribes.
A sa manière de revenir sur un dossier, de le rouvrir et même de le poser, on pressent les quelques rares situations qui feront l’objet d’une exception à la loi d’airain sanitaire.
Le délibéré est prévu pour lundi ou mardi.
Quelquefois, pourtant, l’abus d’autorité est d’autant plus manifeste qu’il émane directement du corps médical. En témoigne cette copie d’une conclusion administrative rédigée par un psychiatre hospitalier, lequel conditionne la poursuite d’un arrêt maladie à la vaccination, en dépit d’un tableau clinique de souffrance psychologique :
Une loi qui gravite autour d’une nébuleuse sanitaire délestée de toute humanité. Un ordre social hygiéniste qui voudrait éradiquer ce qu’il ne maitrise pas, dispense ses avis comminatoires sous le sceau du secret, martèle, fractionne, menace, sépare, envenime, discrimine, sème le doute dans les familles les plus unies, rompt des amitiés réputées inoxydables, pétrifie de longs compagnonnages fondés sur la solidarité, les luttes sociales et professionnelles.
Un véritable trou noir éthique et politique dont l’horizon des évènements est constitué par une peur ontologique, sans fin, et sans fond, du sujet-virus, sur lequel nul n’a de prise réelle, et menace d’avaler définitivement la saine lumière de l’humilité et du doute, la seule qui devrait nous éclairer.