Si la crise sani­taire a mis en lumière le poids de inter­ven­tion des cabi­nets de conseil dans la conduite des poli­tiques publiques en France, le phé­no­mène est bien plus large et dura­ble­ment installé. 

Les cabi­nets pri­vés conseillent l’État sur sa stra­té­gie, son orga­ni­sa­tion et même ses infra­struc­tures, notam­ment infor­ma­tiques. Dis­crets au pos­sible, ils s’appellent Accen­ture, Bain, Bos­ton Consul­ting Group (BCG), Cap­ge­mi­ni, Euro­group, EY, McKin­sey, PwC, Roland Ber­ger ou Waves­tone.

Cela repré­sente près de 40 000 emplois de consul­tants en France.

Un rap­port du Sénat vient d’être publié à ce sujet. Rédi­gé sous la pré­si­dence de Arnaud Bazin (Les Répu­bli­cains), et de Eliane Assas­si, rap­por­teure du groupe CRCE, il est le pro­duit de 4 mois d’in­ves­ti­ga­tions sous la forme de com­mis­sions d’enquête par­le­men­taires, et a été mené sous l’é­gide du même groupe CRCE (Com­mu­niste, répu­bli­cain, citoyen et écologiste).

40 audi­tions ont été menées, 47 per­sonnes ont été inter­ro­gées sous serment. 

Le rap­port séna­to­rial évoque « un phé­no­mène ten­ta­cu­laire » qui inter­roge la vision de l’État et sa sou­ve­rai­ne­té ain­si que la bonne uti­li­sa­tion des deniers publics.

Publiée pen­dant les tra­vaux du Sénat, la cir­cu­laire du Pre­mier ministre du 19 jan­vier 2022 sur l’encadrement des pres­ta­tions de conseil est à la fois tar­dive et incom­plète : l’objectif de réduc­tion des dépenses (- 15 % pour le conseil en stra­té­gie et en orga­ni­sa­tion en 2022) est peu ambi­tieux, alors que la trans­pa­rence des pres­ta­tions demeure la grande oubliée. 

Un « pognon de dingue »…

En 2021, les dépenses de conseil de l’État au sens large ont repré­sen­té 893,9 mil­lions pour les minis­tères et 171,9 mil­lions pour un échan­tillon de 44 opé­ra­teurs, soit plus de un mil­liard d’euros. 

Selon les rap­por­teurs, il s’a­git d’  »une esti­ma­tion mini­male ». Les dépenses des opé­ra­teurs sont en réa­li­té plus éle­vées : si la com­mis­sion d’enquête a inter­ro­gé ceux dont le bud­get était le plus impor­tant (Pôle emploi, Caisse des dépôts et consi­gna­tions, etc.), l’échantillon ne repré­sente que 10 % du total des opérateurs.

Le recours aux consul­tants n’a pas com­men­cé sous le quin­quen­nat d’Em­ma­nuel Macron, et serait un effet de la logique mise en œuvre à tra­vers la révi­sion géné­rale des poli­tiques publiques (RGPP). 

Il a tou­te­fois été crois­sant entre 2018 et 2021, comme le confirment les don­nées de la direc­tion du bud­get : les dépenses de conseil des minis­tères ont plus que dou­blé, avec une forte accé­lé­ra­tion en 2021 (+ 45 %)

Évolution des dépenses de conseil des ministères (en millions d’euros)

Au sein de cette enve­loppe, les dépenses de conseil les plus stra­té­giques (445,6 mil­lions d’euros) aug­mentent signi­fi­ca­ti­ve­ment : le conseil en stra­té­gie et orga­ni­sa­tion a été mul­ti­plié par 3,7 depuis 2018 ; le conseil en stra­té­gie des sys­tèmes d’information (infra­struc­tures infor­ma­tiques) par 5,8.

Près de 85 % des dépenses sont concen­trées dans 5 minis­tères : Inté­rieur, Éco­no­mie et Finances, Armées, Tran­si­tion éco­lo­gique, minis­tères sociaux.

Répartition des dépenses les plus stratégiques des ministères (en %, 2021)

La pra­tique est d’au­tant plus aidée que le recours aux cabi­nets de conseil est faci­li­té par des accords-cadres. Ces contrats mettent à la dis­po­si­tion des minis­tères un vivier de cabi­nets de conseil, dans lequel ils peuvent aisé­ment piocher.

RECOURIR AUX CONSULTANTS EST DEVENU UN RÉFLEXE, Y COMPRIS POUR LES PRINCIPALES RÉFORMES DU QUINQUENNAT

Les cabi­nets sont sol­li­ci­tés pour leur exper­tise tech­nique – même lorsque l’État dis­pose déjà de com­pé­tences en interne – et leur capa­ci­té à appor­ter un regard exté­rieur à l’administration – par exemple pour effec­tuer des com­pa­rai­sons inter­na­tio­nales (bench­marks).

Le rap­port séna­to­rial sou­ligne que « La force de frappe des cabi­nets de conseil s’adapte à l’accélération du temps poli­tique ». Les cabi­nets peuvent ain­si mobi­li­ser des consul­tants pour répondre aux prio­ri­tés d’un ministre ou d’un direc­teur d’administration cen­trale, et en deux semaines, « être en mesure de pro­duire un rap­port de trois cent pages en allant pui­ser auprès de ses suc­cur­sales aux États-Unis, en Suisse ou ailleurs ».

En pra­tique, les consul­tants sont inter­ve­nus sur la plu­part des grandes réformes du quin­quen­nat, ren­for­çant ain­si leur place dans la déci­sion publique.

Exemples de missions confiées aux consultants pendant le quinquennat

Mis­sionCabi­netAnnéeMon­tant
Créa­tion du baro­mètre des résul­tats de l’action publique*Cap­ge­mi­ni20213,12 mil­lions d’euros
Appui à la créa­tion de l’Agence natio­nale de la cohé­sion des ter­ri­toires (ANCT)*EY20202,4 mil­lions d’euros
Appui à la réforme de la for­ma­tion professionnelleRoland Ber­ger2018–20192,16 mil­lions d’euros
Réor­ga­ni­sa­tion du ser­vice de san­té des arméesEuro­group2018–20211,57 mil­lion d’euros
Éva­lua­tion de la stra­té­gie natio­nale de santéAccen­ture et McKinsey2020–20221,2 mil­lion d’euros
Appui à la réforme de l’aide juridictionnelle*EY2019592 000 euros

* Avec l’appui de la direc­tion inter­mi­nis­té­rielle de la trans­for­ma­tion publique (DITP)

Les consul­tants sont éga­le­ment appe­lés à la res­cousse lorsque le Gou­ver­ne­ment est mis en dif­fi­cul­té sur un sujet. Après le fias­co de la pro­pa­gande élec­to­rale lors des élec­tions locales de 2021, le cabi­net Séma­phores est ain­si char­gé d’accompagner les pré­fec­tures dans l’organisation de la mise sous pli et de la dis­tri­bu­tion des pro­fes­sions de foi pour les élec­tions pré­si­den­tielles et légis­la­tives de 2022, pour un mon­tant de 289 785 euros. 

Une rela­tion de dépen­dance peut s’installer entre l’administration et ses consul­tants, en par­ti­cu­lier dans le domaine infor­ma­tique. À titre d’exemple, l’État recourt à des pres­ta­tions de conseil de Sopra Ste­ria et EGIS pour gérer les radars rou­tiers, pour un mon­tant pré­vi­sion­nel de 82 mil­lions d’euros entre 2017 et 2026. De même, il a dû faire appel à McKin­sey pour mettre en œuvre la par­tie infor­ma­tique de la réforme des aides per­son­na­li­sées au loge­ment (APL).

Près de 4 millions d’euros à McKinsey pour la réforme des APL

Le Gou­ver­ne­ment a sou­hai­té réfor­mer au pas de charge le mode de cal­cul des APL, ce qui a néces­si­té de revoir les sys­tèmes d’information de la Caisse natio­nale des allo­ca­tions fami­liales (CNAF).

Ini­tia­le­ment pré­vue le 1er jan­vier 2019, la réforme est repor­tée à plu­sieurs reprises à cause des lacunes infor­ma­tiques de la CNAF puis de la crise sanitaire.

Le Gou­ver­ne­ment sol­li­cite alors McKin­sey pour contrô­ler la via­bi­li­té des solu­tions infor­ma­tiques de la Caisse. Le 24 février 2020, le cabi­net éla­bore par exemple « un point de situa­tion à Mati­gnon », com­por­tant les mesures à prendre pour res­pec­ter le calen­drier du projet.

Pour le minis­tère de la cohé­sion des ter­ri­toires, « la maî­trise tech­nique des [sys­tèmes d’information] appor­tée par les consul­tants a consti­tué un apport néces­saire et déci­sif aux équipes ».

La réforme des APL est fina­le­ment entrée en vigueur le 1er jan­vier 2021. Au total, McKin­sey aura reçu quatre com­mandes, pour un mon­tant de 3,88 mil­lions d’euros.

Pour la popu­la­tion éli­gible, cela se tra­dui­ra concrè­te­ment par une baisse de 5 euros… 

COVID-19 : DES PANS ENTIERS DE LA GESTION DE CRISE SOUS-TRAITÉS À DES CABINETS DE CONSEIL 

Les séna­teurs citent un pre­mier exemple. Au début de la crise sani­taire, le jeu­di 5 mars 2020, un agent du minis­tère des soli­da­ri­tés et de la san­té écrit à ses col­lègues : « j’ai vu une boîte de logis­tique hier habi­tuée à tra­vailler dans la phar­ma […]. Ils peuvent être là lun­di pour mon­ter le truc. […]. J’ai deman­dé l’ordre de gran­deur, 50 000 euros pour nous mettre en place le sys­tème et suivre le déploie­ment pen­dant 15 jours. » La « boîte », c’est le cabi­net de conseil Cit­well ; le « truc », c’est un sys­tème de pilo­tage pour l’approvisionnement de la France en masques.

Le recours aux cabi­nets de conseil débute dans ce cli­mat d’impréparation de l’État. Il va ensuite se pro­lon­ger tout au long de la crise sani­taire : au moins 68 com­mandes sont pas­sées, pour un mon­tant total de 41,05 mil­lions d’euros. D’après les don­nées recueillies sur un échan­tillon de 5 cabi­nets, l’intervention d’un consul­tant est en moyenne fac­tu­rée 2 168,38 euros par jour. 

Trois cabi­nets concentrent les trois quarts des dépenses : McKin­sey (la clef de voûte de la cam­pagne vac­ci­nale), Cit­well (le logis­ti­cien) et Accen­ture (l’architecte des sys­tèmes d’information, dont le passe sani­taire). À eux trois, ils mobi­li­se­ront 11 128 jours de consul­tants pen­dant la crise.

Répartition des dépenses de conseil pendant la crise sanitaire (hors Santé publique France et en millions d’euros)  

Des pans entiers de la ges­tion de crise sont ain­si sous-trai­tés aux cabi­nets de conseil.

Entre mars et octobre 2020, Cit­well orga­nise par exemple l’approvisionnement en masques, leur sto­ckage puis leur dis­tri­bu­tion, tout en réa­li­sant des ana­lyses com­plé­men­taires pour le minis­tère comme une « demande d’information pour inter­view à BFM ». Sa mis­sion sera pro­gres­si­ve­ment éten­due aux autres équi­pe­ments de pro­tec­tion indi­vi­duelle (blouses, gants, etc.), aux médi­ca­ments de réani­ma­tion et aux vaccins. 

McKin­sey s’occupe de la cam­pagne vac­ci­nale entre novembre 2020 et le 4 février 2022, avec une inter­rup­tion de trois mois à l’automne 2021. Il rem­plit quatre mis­sions prin­ci­pales, attes­tées par les pro­cès-ver­baux de récep­tion de ses pres­ta­tions, que la com­mis­sion d’enquête a pu consulter.

Campagne vaccinale : les quatre principales missions de McKinsey

Mis­sionsExemples d’actions associées
Orga­ni­sa­tion logistiqueÉtude des scé­na­rios logis­tiques pour la dis­tri­bu­tion des vac­cins Sui­vi des livrai­sons, des stocks, des injec­tions et des rendez-vous
Indi­ca­teurs et outils de suiviPro­duc­tion quo­ti­dienne d’indicateurs de pilo­tage de la cam­pagne vac­ci­nale Sui­vi d’un registre d’environ 250 actions et déci­sions clés
Ana­lyses sec­to­rielles sol­li­ci­tées par le ministèrePlan d’actions pour la cam­pagne de rap­pel de la 3ème dose Point de situa­tion sur les ter­ri­toires ultra­ma­rins à l’été 2021
Ges­tion de projetPré­pa­ra­tion de réunions Appui à la restruc­tu­ra­tion de la task force « vaccins »

Quand McKinsey organise la journée des agents de Santé publique France (SpF)

À la demande du minis­tère des soli­da­ri­tés et de la san­té, McKin­sey assure la coor­di­na­tion entre l’État et l’une de ses agences, San­té publique France. Cette pres­ta­tion débute par la mise à dis­po­si­tion d’un consul­tant, « agent de liai­son », entre décembre 2020 et février 2021, pour un mon­tant de 169 440 euros. Ensuite ren­for­cée par d’autres consul­tants, elle dure­ra jusqu’à la fin du mois de juin 2021.

McKin­sey orga­nise ain­si deux brie­fings quo­ti­diens à San­té publique France, à 9 heures et 15 heures, suit les indi­ca­teurs clés de per­for­mance et trans­met au minis­tère les dif­fi­cul­tés ren­con­trées par SpF dans son action logistique.

L’omniprésence de McKin­sey est par­fois mal vécue par les agents de SpF. Lors d’une réunion le 9 février 2021, ces der­niers sou­haitent que le cabi­net arrête de deman­der l’état d’avancement « à 15 heures sur des actions prises le matin à 9 heures lorsqu’elles prennent du temps » ou encore qu’il réduise la taille de ses comptes ren­dus de réunion.

L’INTERVENTION « DISRUPTIVE » DES CONSULTANTS…

Les consul­tants doivent « trans­for­mer » l’administration en pro­po­sant des méthodes « dis­rup­tives », ins­pi­rées du sec­teur pri­vé et répon­dant à un voca­bu­laire propre.

Exemples de méthodes utilisées lors des ateliers de consultants

  • le « bateau pirate » : chaque par­ti­ci­pant s’identifie à un des per­son­nages (capi­taine, per­son­nages en haut du mât ou en proue, etc.) et assume ce rôle, son posi­tion­ne­ment, ses humeurs, etc. 
  • le « lego serious play » : chaque par­ti­ci­pant construit un modèle avec des pièces lego, construit l’histoire qui donne du sens à son modè­leet la pré­sente aux autres 

Ces méthodes peuvent être mal accep­tées par les agents publics, comme le montre l’intervention de Waves­tone à l’Ofpra pour réduire les délais de trai­te­ment des demandes d’asile (pres­ta­tion réa­li­sée en 2021–2022, pour un mon­tant de 485 818 euros). 

Les agents de l’Ofpra déclarent ain­si : « j’ai l’impression que nous sommes régu­liè­re­ment infan­ti­li­sés », « le voca­bu­laire de la start-up nation me semble peu appro­prié à notre mis­sion de ser­vice public ». Ils regrettent aus­si la mul­ti­pli­ca­tion du nombre d’ateliers orga­ni­sés par les consul­tants : « total heures par mois de réunion : 10 heures – sur le papier évi­dem­ment, car ça ne finit jamais à l’heure pré­vue ».

Ces der­nières années, les cabi­nets de conseil ont trans­po­sé leurs méthodes aux consul­ta­tions et aux ate­liers citoyens. Une quin­zaine d’exemples ont été iden­ti­fiés entre 2018 et 2021, pour un mon­tant  total de près de 10 mil­lions d’euros : concer­ta­tion sur l’avenir de l’Europe (Roland Ber­ger, 1,7 mil­lion d’euros), conven­tion citoyenne pour le cli­mat (Euro­group, 1,9 mil­lion d’euros), etc

Les consultations organisées sur les États généraux de la justice

Deux cabi­nets de conseil sont inter­ve­nus sur les États géné­raux de la jus­tice : INOP’S et Cap­ge­mi­ni, pour un mon­tant total de 950 241,97 euros. Outre une pla­te­forme en ligne (Parlonsjustice.fr), des « ate­liers déli­bé­ra­tifs » sont orga­ni­sés avec 48 citoyens volontaires.

Les par­ti­ci­pants doivent dépo­ser un post-it sur un paper­board en répon­dant à la ques­tion : « Qu’est-ce qu’est pour vous la jus­tice idéale ? ». Ils pro­cèdent ensuite à la lec­ture du « nuage de mots » ain­si consti­tué. À la fin de la jour­née, ils votent avec des gom­mettes vertes, jaunes et rouges sur les thé­ma­tiques qui leur paraissent prioritaires…

Un travail de qualité inégale, QUI N’a pas toujours DE SUITE

Une jour­née de consul­tant coûte en moyenne 1 528 euros à l’État

L’expertise des consul­tants n’est pas remise en cause, mais la qua­li­té des tra­vaux peut l’être. Cer­taines éva­lua­tions de la Direc­tion inter­mi­nis­té­rielle de la trans­for­ma­tion publique (DITP) font état d’un « manque de culture juri­dique et plus lar­ge­ment du sec­teur public », « d’une absence de rigueur sur le fond comme sur la forme », même si les consul­tants étaient « des per­sonnes de bonne com­pa­gnie » !

Par­fois, aucune suite tan­gible n’est don­née à leurs pres­ta­tions, comme lorsque McKin­sey est inter­ve­nu en 2019 et 2020 à la Caisse natio­nale d’assurance vieillesse (CNAV) pour pré­pa­rer la réforme (avor­tée) des retraites (pres­ta­tion de 957 674,20 euros). 

McKinsey et l’avenir du métier d’enseignant

En 2020, McKin­sey a été char­gé d’aider le pro­fes­seur Yann Algan pour pré­pa­rer un col­loque à l’UNESCO, fina­le­ment annu­lé. Son tra­vail prin­ci­pal se résume à une com­pi­la­tion, certes consé­quente, de tra­vaux scien­ti­fiques et de gra­phiques conçus à par­tir de don­nées publiques.

Cout pour l’État : 496 800 euros.

Seuls quelques gra­phiques de McKin­sey seront repris pour un second col­loque, orga­ni­sé le 1er décembre 2020 au Col­lège de France. 

À la demande du minis­tère de l’Éducation natio­nale, le cabi­net a aus­si tra­vaillé sur deux études thé­ma­tiques : la rému­né­ra­tion au mérite des pro­fes­seurs et la gou­ver­nance des éta­blis­se­ments sco­laires. Le minis­tère pré­cise néan­moins « qu’il n’est pas pos­sible de déter­mi­ner les consé­quences directes » du rap­port des consultants.

On peut : les deux études thé­ma­tiques (rému­né­ra­tion au mérite des pro­fes­seurs et gou­ver­nance des éta­blis­se­ments sco­laires) ont été reprise dans le pro­gramme du can­di­dat Macron pour 2022 !

« L’intervention inspirante » de Didier Deschamps pour susciter l’adhésion des hauts fonctionnaires…

BCG et EY sont mis­sion­nés pour par­ti­ci­per à l’organisation de la conven­tion des mana­gers de l’État, qui doit réunir 1 821 hauts fonc­tion­naires au Palais des Congrès le 12 décembre 2018.

Cet évé­ne­ment doit être l’occasion « d’embarquer » les fonc­tion­naires dans un élan de trans­for­ma­tion, alors incar­né par le pro­gramme Action publique 2022. Ils pour­ront suivre les mas­ter­class de leur choix, sur des thèmes comme « Com­ment remettre la sim­pli­ci­té au cœur des orga­ni­sa­tions ? » ou « l’Administration libé­rée ». Les orga­ni­sa­teurs ima­ginent « l’intervention ins­pi­rante » d’une per­son­na­li­té exté­rieure et envi­sagent ain­si la venue de Didier Deschamps.

Pré­pa­rée pen­dant de longues semaines, la conven­tion est d’abord repor­tée en rai­son de la crise des « gilets jaunes », avant d’être annu­lée à cause de la crise sani­taire. La rému­né­ra­tion des cabi­nets BCG et EY, n’en est pas affectée.

Cout pour les finances publiques : plus de 558 000 euros. 

Sur l’encadrement DÉONTOLOGIQUE

Si des règles existent déjà, « l’intervention des cabi­nets de conseil peut […] légi­ti­me­ment sus­ci­ter des inquié­tudes en matière de déon­to­lo­gie », comme l’a sou­li­gné Didier Migaud, pré­sident de la HATVP (Haute Auto­ri­té pour la trans­pa­rence de la vie publique).

Risques identifiés :

  • Les conflits d’intérêts, les cabi­nets de conseil conseillant simul­ta­né­ment plu­sieurs clients ; 
  • La poro­si­té, lorsque les cabi­nets recrutent d’anciens res­pon­sables publics (« pan­tou­flage »). À titre d’exemple, par­mi les 22 pro­fils pro­po­sés par le BCG et EY dans leur réponse à l’accord-cadre de la DITP de 2018, 6 sont d’anciens res­pon­sables publics de haut niveau (dont un ancien conseiller éco­no­mique à l’Élysée et un ancien conseiller du secré­taire d’État à l’industrie).
  • Le pied dans la porte, lorsque les consul­tants inter­viennent gra­tui­te­ment (pro bono) pour l’administration. 

En pra­tique, le « pro bono » concerne sur­tout le sec­teur éco­no­mique, avec deux prin­ci­paux béné­fi­ciaires : l’Élysée (som­mets Tech for good et Choose France, ini­tia­tive Scale-up Europe) et Ber­cy. Dénuées de tout régime juri­dique, ces pres­ta­tions peuvent être « récu­pé­rées » pour les besoins de la stra­té­gie com­mer­ciale des cabi­nets de conseil, dans l’optique d’améliorer leur réputation.

Les cabi­nets mul­ti­plient les par­te­na­riats avec les grandes écoles. Ils dis­posent par exemple de 15 accords avec l’École poly­tech­nique, pour un mon­tant annuel de près de 2 mil­lions d’euros.

UNE INFLUENCE AVÉRÉE SUR LA PRISE DE DÉCISION PUBLIQUE

LE DEVOIR DE DISCRÉTION DES CONSULTANTS

L’intervention des consul­tants doit res­ter dis­crète : lors de la crise sani­taire, McKin­sey indique qu’il res­te­ra « behind the scene », en accord avec le minis­tère. Le cabi­net n’utilise pas son propre logo pour rédi­ger ses ana­lyses mais celui de l’administration. 

M. Oli­vier Véran, ministre des soli­da­ri­tés et de la san­té, l’a d’ailleurs confir­mé devant la com­mis­sion d’enquête : « si vous aviez vou­lu [les] docu­ments estam­pillés McKin­sey pré­sents dans le dos­sier, vous auriez trou­vé une feuille blanche ». 

La pra­tique est en réa­li­té cou­rante dans le sec­teur du conseil : les consul­tants peuvent tra­vailler en « équipe inté­grée » chez leurs clients et sont alors qua­si­ment assi­mi­lés à des agents publics. Pen­dant la crise sani­taire, ils ont par exemple rédi­gé des notes admi­nis­tra­tives sous le sceau de l’administration. Cer­tains dis­po­saient même d’une adresse élec­tro­nique du ministère. 

Cette méthode de tra­vail ren­force l’opacité des pres­ta­tions de conseil car elle ne per­met pas de dis­tin­guer l’apport des consul­tants, d’une part, et celui de l’administration, d’autre part.

L’absence de visibilité alimente un sentiment de défiance, en particulier chez les agents publics

Les syn­di­cats se sont par exemple émus du guide sur le télé­tra­vail dans la fonc­tion publique, rédi­gé par Alixio, sous-trai­tant de McKin­sey (235 620 euros) : « pour­quoi ne nous a‑t-il pas été pré­ci­sé qu’il avait été éla­bo­ré avec le concours d’un cabi­net de consul­tants ? Le coût nous aurait peut-être cho­qué, certes, mais nous aurions pu en dis­cu­ter. […] Tout le monde était per­sua­dé qu’il avait été fait par [l’administration]  ».

LE RÔLE DES CONSULTANTS : PROPOSER DES SCÉNARIOS « ARBITRABLES »… MAIS LE PLUS SOUVENT ORIENTÉS

Au cours des audi­tions, Gou­ver­ne­ment, admi­nis­tra­tion et cabi­nets de conseil l’ont affir­mé avec vigueur : l’autorité poli­tique décide en res­pon­sa­bi­li­té ; les cabi­nets de conseil n’ont aucune influence sur la décision. 

Les cabi­nets de conseil déploient néan­moins une stra­té­gie d’influence dans le débat public, en mul­ti­pliant les think tanks et les publi­ca­tions. À titre d’exemple, EY pro­po­sait en jan­vier 2022 « d’imaginer un nou­veau plan de trans­for­ma­tion ambi­tieux pour le pro­chain quin­quen­nat » et évo­quait la pos­si­bi­li­té de sup­pri­mer 150 000 postes de fonc­tion­naires grâce au numérique. 

Au quo­ti­dien, le rôle d’un cabi­net de conseil consiste à rédi­ger des docu­ments stra­té­giques à des­ti­na­tion des res­pon­sables publics. L’accord-cadre de la DITP (2018) men­tionne ain­si le « dos­sier de déci­sion (cabi­net minis­té­riel, direc­tion, pré­fet,…) », la « défi­ni­tion de la vision cible » ou encore la « feuille de route stra­té­gique ». 

En théo­rie, les cabi­nets de conseil doivent pro­po­ser plu­sieurs scé­na­rios à leurs clients et pré­ci­ser, de manière fac­tuelle, les avan­tages et les incon­vé­nients de cha­cun d’entre eux. Ils ont tou­te­fois pour habi­tude de « prio­ri­ser » les scé­na­rios pro­po­sés – avec l’accord, voire sur demande, de l’administration –, ce qui ren­force leur poids dans la déci­sion publique. 

Des arbi­trages orien­tés : l’exemple de la ges­tion du bonus / malus sur les coti­sa­tions d’assurance chô­mage McKin­sey est mis­sion­né en 2019, avec l’appui de la DITP, pour une pres­ta­tion de 327 060 euros consis­tant à exa­mi­ner le mode de ges­tion du nou­veau bonus / malus sur les coti­sa­tions d’assurance chô­mage. Le cabi­net doit consti­tuer un « dos­sier d’arbitrage » sur la répar­ti­tion des tâches entre Pôle emploi, l’Agence cen­trale des orga­nismes de sécu­ri­té sociale (ACOSS) et la mutua­li­té sociale agri­cole (MSA). Si McKin­sey pré­sente bien 4 scé­na­rios dans le livrable du 8 juillet 2019, sa conclu­sion est sans appel : « le choix de l’ACOSS / [MSA] en tant qu’opérateurs prin­ci­paux avec sup­port de Pôle emploi […] semble être la meilleure solu­tion ». Les trois autres solu­tions ne cor­res­pondent pas au « choix recom­man­dé ».

La marge de manœuvre des res­pon­sables publics ne peut qu’être réduite face à cette « prio­ri­sa­tion » des scé­na­rios par les cabi­nets de conseil, qui dis­posent ain­si d’une réelle influence sur la prise de déci­sion.

LES PRINCIPALES PROPOSITIONS DE LA COMMISSION D’ENQUÊTE

En finir avec l’opacité des pres­ta­tions de conseil

  • Publier chaque année, en don­nées ouvertes, la liste des pres­ta­tions de conseil de l’État et de ses opérateurs 
  • Pré­sen­ter les pres­ta­tions de conseil dans le bilan social unique, pour per­mettre aux repré­sen­tants des agents publics d’en débattre
  • Inter­dire aux cabi­nets de conseil d’utiliser le logo de l’administration dans leurs livrables, pour plus de clar­té et de tra­ça­bi­li­té dans leurs prestations

Mieux enca­drer le recours aux cabi­nets de conseil

  • Éva­luer sys­té­ma­ti­que­ment les pres­ta­tions de conseil et appli­quer des péna­li­tés lorsque les cabi­nets ne donnent pas satisfaction
  • Car­to­gra­phier les com­pé­tences dans les minis­tères et éla­bo­rer un plan de « réin­ter­na­li­sa­tion », pour mieux valo­ri­ser les com­pé­tences internes et moins recou­rir aux cabi­nets de conseil

Ren­for­cer les règles déon­to­lo­giques des cabi­nets de conseil

  • Inter­dire les pres­ta­tions pro bono, en dehors du mécé­nat dans les sec­teurs non mar­chands (huma­ni­taire, culture, social, etc.)
  • Impo­ser une décla­ra­tion d’intérêts aux consul­tants afin que l’administration puisse pré­ve­nir les risques de conflit d’intérêts, sous le contrôle de la HATVP
  • Exclure des mar­chés publics les cabi­nets qui n’ont pas res­pec­té leurs obli­ga­tions déontologiques
  • Pré­voir la des­truc­tion sys­té­ma­tique des don­nées confiées aux cabi­nets de conseil à l’issue de leur mis­sion, sous le contrôle de la CNIL

Accès au rapport.

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