Vous en rêviez ? Le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) l’a rendu possible pour vous en lui prodiguant son onction hertzienne : Alsace 20, ex-chaine de la TNT alsacienne vient d’être fusionnée absorbée par le Groupe Altice dirigé par Patrick Drahi.
18 journalistes et des pigistes sillonneront dorénavant notre beau terroir (une trentaine de personnes au total en comptant les techniciens), et il apparait même qu’un correspondant sera spécialement détaché sur Mulhouse !
C’est bien trop d’honneur consenti aux affreux et roublards Wackes que nous sommes ! Il est vrai que le métier a ses nombreuses servitudes, et elles s’accroissent toujours plus, mais le pauvre reporter y survivra-t-il seulement plus d’un mois ?
Jusqu’ici propriété de l’homme d’affaire strasbourgeois Dominique Formhals (et de deux salariés), dont le coeur de métier est de concevoir des fontaines, qui possédait 56 % du capital de l’entité, le média avait préalablement été racheté par celui-ci en 2012 au Crédit Mutuel, alors qu’Alsatic TV (prédécesseuse d’Alsace 20), dont le sous-titre était « Une télévision pour les Alsaciens, par les Alsaciens », avait été créée en décembre 2008 à l’initiative des deux quotidiens alsaciens.
Un organigramme de groupe aussi acrobatique que son fondateur
La chaine prenait le nom d’Alsace 20 lors de la vente par le Crédit Mutuel. Elle employait une vingtaine de personnes, dont des journalistes.
Alsace 20 intègre alors le giron de la société Altice France (ex-NextRadio TV), elle-même filiale de Altice Europe, laquelle se décompose en « SFR Média » et « SFR Télécom », à propos de laquelle il faut distinguer « SFR Presse » (journaux ou magazines papier et digitaux), « SFR radio TV » (comprenant les déclinaisons de BFM, RMC et 01), et désormais le réseau BFM Régions, lequel compte à ce jour huit chaînes d’informations locales, lequel intègre BFM Alsace !
Vous suivez toujours ?
Si besoin d’assistance, portez-vous sur le schéma ci-dessous, lequel était valable jusqu’en 2018 :
Depuis lors, c’est beaucoup plus clair. Ainsi, Altice France est détenu à 100%, moins une action, par Altice france Holding, basée au Luxembourg. Altice france Holding est détenue à 100% par Altice Luxembourg S.A, laquelle possède aussi une action d’Altice France. Altice Luxembourg S.A est contrôlée par Next Alt SarL dont l’actionnaire unique est… Patrick Drahi.
Publicité, publireportage, et… fraude fiscale !
Six ans après la création de la déclinaison parisienne, première du genre, en 2016, avec BFM Paris, puis Marseille, Lyon, Nice ou Lille les années suivantes.
Au programme, l’investigation sans concessions et en continu : « Nous avons deux objectifs : informer et rendre service avec des informations utiles, météo, qualité de l’air, mobilités… ». Vous ne verrez plus jamais votre présentateur météo du même oeil !
Cela dit, les journaux et magazines continueront d’être produits à Paris. il est même prévu de diffuser des « contenus » capturés au smartphone par un journalisme « mobile », au sens propre et figuré. Tremble, odieux Médiapart !
Passé l’information de proximité, qui ne sert que de tête de gondole, l’essentiel pour le groupe est que la chaîne soit rentable, et au plus tôt. L’objectif est ainsi de dégager un chiffre d’affaires de deux millions d’euros, par la publicité mais aussi les magazines de publireportages.
La part d’audience attendue pour BFM Alsace serait de 100 000 téléspectateurs par jour et 40 000 visiteurs par jour sur le web.
Et comment mieux donner un coup de boost à ce lancement, sinon en s’appuyant sur les infrastructures laissées en héritage par le réseau câblé de Est-Vidéo communication, dont l’Alsace s’est richement dotée depuis les vénérables années 80.
Ainsi, BFM Alsace peut compter sur la puissance commerciale du groupe Altice et de sa filiale SFR, désormais marque unique, après absorption de Est Video communication et Numéricable. Ses box seront « initialisées » sur BFM Alsace, nous apprend L’Alsace. Comprendre donc que sa box télé ouvrira systématiquement sur les programmes de la chaine d’information continue chez les clients haut-rhinois et bas-rhinois qui disposent de la box SFR.
Un petit geste si sympathique qui fera peut-être oublier à ses clients que les redressements fiscaux de SFR battent tous les records. Selon les informations du site Capital, le fisc a notifié l’an dernier 420 millions d’euros de nouveaux redressements à l’opérateur télécoms, portant à 830 millions d’euros les sommes réclamées par Bercy à la société de Patrick Drahi !
Est visé l’impôt sur les bénéfices des années 2017 à 2019, et surtout sur la TVA des années 2017 et 2018. C’est que l’opérateur télécom s »est fait passer un peu trop hâtivement pour un éditeur de presse, en utilisant massivement la TVA réduite sur la presse.
SFR proposait en effet à ses clients un bouquet de journaux numérique, et s’est donc auto-appliqué un taux de 2,1% (tva presse) sur ses offres triple play (internet, tv et téléphone via une box), au lieu des 20% applicable aux services télécoms, ou 10% sur la télévision payante.
Grâce à cette modeste astuce à la TVA, citizen Drahi aura pu présenter des résultats moins pires qu’ils n’auraient été à ses actionnaires, particulièrement en matière d’EBITDA (marge brute), comme on va le voir ci-dessous.
Un débiteur pas dépité
Tandis que l’on annonce (déjà) la prochaine ouverture de BFM Normandie, car Altice compte investir l’ouest du pays de sa piaillerie informationnelle, BFM Alsace, rejoint la paysage audiovisuel régional sous l’égide d’un groupe aux ramifications multiples, et à l’endettement mirifique…
C’est qu’entre acquisition et cessions, le groupe était assis sur rien moins que 23 milliards d’euros de dette au 31 mars 2022 ! :
Si le matelas comptabilise aujourd’hui 23 298 800 000 milliards d’euros, il était de 22 598 400 000 milliards d’euros un an auparavant, soit 700 400 000 millions de plus, donc un accroissement de 3% :
Le résultat net s’établit donc pour 2021 à un déficit ‑540 M€, contre ‑260 M€ en 2020 (rappel en convention comptable, les chiffres entre parenthèses sont négatifs). Ce creusement du déficit s’explique en grande partie à cause de la baisse du profit opérationnel, à 825 M€ contre 1486 M€ en 2020.
Le dernier bilan aurait d’ailleurs été négatif, sinon une opération financière, dites « Gains ou pertes sur les instruments dérivés », qui rapportera 698.8 millions d’euros (contre 9.6 M€ en 2021) :
Quant aux fonds propres, ils sont simplement inexistants : ‑5,144.7 milliards d’euros !
Pour autant, l’entreprise n’en oublie pas de chouchouter ses actionnaires, en reversant un royal dividende de 4,6 milliards d’euros au premier semestre 2021 puisé dans les fonds propres de l’entreprise :
Il est vrai qu’en tant que premier actionnaire, il semble s’en être essentiellement gratifié lui-même ! :
Mais l’élément le plus illustratif d’une situation budgétaire potentiellement critique au sein du groupe consiste à examiner le ratio dette sur EBITDA. Ledit ratio mesure la capacité de remboursement d’une entreprise à partir des fonds générés par son activité commerciale.
EBITDA est traduit en français par : BAIIA (ou BAIIDA), soit « bénéfice avant intérêt, impôts, dépréciation et amortissement ».
Plus le ratio est élevé, plus l’entreprise se place en situation périlleuse. Les spécialistes considèrent en général qu’un ratio de 4 ou 5 et plus traduit un danger de défaillance pour l’entreprise...
Comme on le voit, le ratio Dette/EBITDA était de x5.5 au 31 décembre 2021 :
Et l’entreprise dirigée par Patrick DRAHI approche le ratio de 6, au second trimestre 2022…
Auditionné par la commission d’enquête sénatoriale sur la concentration des médias le mercredi 2 février 2022, Patrick Drahi déclarait en février que la dette n’avait pas augmenté depuis 2016, et que le chiffre d’affaire avait été multiplié par 2.
De toute évidence, comme on l’a vu ci-dessus, ce n’est pas ce qui est observé dans les comptes.
Un « levier » pour s’efforcer (violemment)
Drahi gère ses entreprises souvent de manière analogue. Sa marque de fabrique par excellence, c’est le « LBO » ou Leverage Buy Out, soit une opération financière consistant à racheter une société via un mécanisme d’endettement, et une société holding créée à cette fin. Les fonds empruntés pour financer le LBO sont remboursés grâce aux profits que dégage l’entreprise ciblée.
Le présupposé est donc de « rincer » financièrement l’entreprise assujettie à une holding dirigeante, en l’obligeant à émettre massivement de la dette (c’est alors l’entreprise rachetée qui supporte l’essentiel de l’endettement), à réduire sa masse salariale, à limoger son top management (soit ses principaux cadres), et à liquider les infrastructures immobilières.
Pour les investisseurs, il y a l’espoir que les capitaux employés pour financer le rachat auront une rentabilité supérieure au coût de la ressource (taux de l’emprunt). C’est ce que l’on appelle « l’effet de levier » ou « leverage » en franglais. D’où la nécessité absolue de tirer parti au maximum de l’entreprise rachetée en « forçant » son rendement.
Drahi a fait exactement cela lorsqu’il a racheté SFR, ou encore récemment avec la société de vente aux enchères Sotheby’s, dont la dette a explosé depuis le rachat.
Pourtant, au travers de sa filiale Altice média, il est arrivé que Drahi tente d’exercer des méthodes commerciales plus conventionnelles, quoique toujours par la méthode du forceps !
Vider des caisses pour remplir des box…
Ainsi, en 2019, il avait tenté un coup de force auprès des fournisseurs d’accès à internet concurrents de SFR, en les contraignant à payer plus chers l’accès aux chaines du groupe depuis leur box respectives, dont principalement BFM et RMC. Un désaccord qui a perduré de longs mois, notamment avec l’opérateur Free, de Xavier Niel, lequel avait simplement coupé le signal des chaines en question de sa « freebox ».
Free avait par ailleurs porté plainte, car les journalistes de BFM TV étaient invités à évoquer cette affaire avec l’objectivité que l’on imagine lors des flashs info. Ce fut alors le tribunal de Commerce de Paris qui avait tranché une partie du conflit entre Altice et Iliad (société holding de Xavier Niel à laquelle appartient Free): BFMTV a été privé du droit d’évoquer le litige qui l’opposait à Free sur ses antennes !
En septembre 2019, Orange avait coupé le sifflet aux chaines de Drahi pour les mêmes motifs que ceux de Free.
Chou blanc pour le cador de l’endettement et des médias : Drahi dut renoncer piteusement. Alain Weill, patron de BFM TV, avait proposé à l’opérateur de télécom historique de reprendre la diffusion des chaînes gratuitement, comme c’était le cas auparavant.
Une proposition analogue avait été fait à Free, et les chaines réapparaissaient alors chez les deux opérateurs de téléphonie qui avaient tenu tête à big Patrick.
Mais le Drahi n’a pas actionné son dernier levier : voilà même que ça repart pour un tour !
La bataille sur la rémunération des chaînes en clair, qui concernait également le groupe TF1 entre 2017 et 2019 refait surface.
Cette fois ce sont les chaînes locales de BFMTV (donc également BFM Alsace) qui se voient retirées de chez Orange. L’opérateur historique a coupé le signal le 18 août. Les 10 chaînes locales de BFM sont concernées… et 7,8 millions de clients (bien plus qu’en 2019) sont privés du meilleur du meilleur de l’info en continu !.
Les prochains temps s’annoncent donc difficiles pour l’empire construit sur un réseau de châteaux de sable, qui menace de s’effondrer à la prochaine vague financière.
Au reste, les résultats commerciaux, notamment de SFR, sont assez décevants pour commencer à faire tomber quelques têtes chez Altice France et SFR.
Les salariés peuvent légitimement s’en inquiéter, eux qui connurent en 2021 un plan de départs volontaires pour 2000 personnes (sur 10 000 en compatibilisant les boutiques), soit 20% de la masse salariale…
Finissons aujourd’hui par un dernier chiffre : 24. C’est la dette exprimée en milliards, de Altice USA. Elle équivaut à six fois le résultat brut d’exploitation !
Pas de doute. La filiale Altice prestidigitation capitaliste agite ses leviers à plein régime pour tenter de faire diversion…
- Source des éléments comptables :
« […]Ses box seront « initialisées » sur BFM Alsace, nous apprend L’Alsace. Comprendre donc que sa box télé ouvrira systématiquement sur les programmes de la chaine d’information continue chez les clients haut-rhinois et bas-rhinois qui disposent de la box SFR.[…] »
Pour info Aux abonnés Box SFR/Numéricâble : cette option peut être facilement désactivée dans les réglages. Pour ce faire avec votre télécommande : aller dans « menu » (bouton « maison » sur la télécommande), puis onglet « TV » et « Chaine par défaut au démarrage cochez « désactiver ».
Voilà voilà.
« […]Ses box seront « initialisées » sur BFM Alsace, nous apprend L’Alsace. Comprendre donc que sa box télé ouvrira systématiquement sur les programmes de la chaine d’information continue chez les clients haut-rhinois et bas-rhinois qui disposent de la box SFR.[…] »
Pour info Aux abonnés Box SFR/Numéricâble : cette option peut être désactivée dans les réglages. Pour ce faire avec votre télécommande : aller dans « menu » (bouton « maison » sur la télécommande), puis onglet « TV » et « Chaine par défaut au démarrage cochez « désactiver ».