Jusqu’à présent, l’Allemagne était le maillon fort de l’Europe : grâce à elle, la France a pu bénéficier de taux d’intérêt négatif pour le remboursement de sa dette ! Et à cause d’elle, la Grèce a plongé dans les abysses de la finance mondiale. Conclusion : fait-elle donc la pluie et le beau temps ? …
ÉCONOMIE : AVENIR SOMBRE…
Les prévisions du Fonds Monétaire international prévoit une croissance de +2,7% en 2023 à l’échelle mondiale, (elle était de +6% en 2021), tirée par la Chine (+4,4%). Les États-Unis progresseraient de 1% et la zone Euro que de 0,5%. La France verrait une croissance de 0,7%… et l’Allemagne une baisse de sa croissance de ‑0,3%. La différence entre les deux chiffres est très minime, il n’y a pas de quoi pavoiser pour l’économie française. D’autant plus que la croissance dans notre pays est portée essentiellement par la consommation alors qu’en Allemagne est l’est par la production industrielle et l’exportation. Ce qui explique qu’en France la balance commerciale est déficitaire à un point jamais atteint (1) alors que l’Allemagne était jusqu’à présent systématiquement excédentaire.
Or, les choses sont en train de changer puisque, pour la première fois, le pays a subi un déficit de la balance commerciale, car les exportations ont pâti des effets du COVID sur l’activité économique mondiale.
D’autre part, la chancelière Merkel, comme ses prédécesseurs (sociaux-démocrates ou de droite comme elle-même) avait conclu des accords avec la Russie pour la fourniture de gaz à des prix très attractifs et pour cogérer la fourniture d’énergie en Europe en exploitant en commun l’acheminement et la réception. Ce qui faisait de l’Allemagne le principal fournisseur de gaz aux autres pays européens… au grand dam des États-Unis qui voyaient l’Allemagne renforcer sa puissance économique et devenir le moteur pour renforcer celle de l’Europe.
Cette stratégie ayant été mise en échec, Olaf Scholz qui a capitulé devant ses « amis » sans combattre, l’Allemagne est devant un avenir très incertain essentiellement à propos de la fourniture d’énergie pour l’industrie. « Düstere Aussichten » (de sombres perspectives) titrait la Badische Zeitung dans l’éditorial du 12 octobre) en concluant : « Die Bundesrepublik wird ärmer, daran führt keinen Weg vorbei ». (La République fédérale s’appauvrit, rien ne pourra l’éviter…))
Cette situation conduit à des mouvements sociaux de plus en plus nombreux et à une potentielle crise politique pour la coalition « feux tricolores » au pouvoir.
UNE CRISE SOCIALE A FACTEURS MULTIPLES
L’éditorialiste de la Badische s’en émeut : « Les revendications salariales à deux chiffres de Verdi et de la Fédération des employés apparaissent bizarres ». De toute évidence, les médias tiennent à peu de choses près le même langage sur les deux rives du Rhin… Sous prétexte de la guerre en Ukraine, il faudrait donc accepter sans broncher le recul social…
Depuis début 2021, les grèves se multiplient en Allemagne. Si on a entendu parler, discrètement, de la grève des pilotes de la Lufthansa qui a totalement arrêté l’activité aérienne (près d’un millier de vols, 130.000 passages à quai) en juillet et septembre, de nombreuses autres Warnstreiks (grèves d’avertissements) ont été mené, tant dans les crèches, dans les services publics, le trafic ferroviaire, la métallurgie… La puissante IG Metall réclamait 8,2% d’augmentation en juin. L’autre syndicat Verdi revendique 10,5% de salaire en plus dans les services publics après avoir mené plusieurs grèves d’avertissement. Les négociations sont prévues début 2023, mais le syndicat se prépare déjà : son président Franck Wernecke vient de tenir une conférence de presse à Berlin lors de laquelle il affirme sans ambages son intention de ne pas se contenter de primes mais exige de réelles augmentations salariales. « Les primes sont un feu de paille » (Einmalzahlungen sind Strohfeuer). Et de rappeler que dans la 4e puissance mondiale et la 1ère européenne, « il s’agit de garantir le pouvoir d’achat. Beaucoup de salariés ne savent plus s’ils pourront maintenir la tête hors de l’eau…Certains ne peuvent plus payer leur loyer et leur chauffage ».
Son alter-ego du DBB (Deutscher Beamtenbund, seconde confédération allemande dite « autonome ») Ulrich Silberbach renchérit : « Les collègues sont prêts à lutter pour cette revendication car ils ne supportent pas de devoir toujours être la vache à lait de la nation ».
Ce syndicat, moins connu que le DGB (Deutscher Gewerkschaftsbund) compte dans ses rangs des branches comme le syndicat des conducteurs de train, qui ont démontré que leurs annonces n’étaient pas des sabres en bois !
Les manifestations se multiplient
Le mouvement syndical est une chose. Certes, il est bien plus puissant qu’en France mais lui aussi connaît une crise qui érode son nombre d’adhérent et son influence. Le taux de syndicalisation en Allemagne est estimé à 20 % des travailleurs ce qui équivaut au triple de ce que nous connaissons en France. C’est surtout le système politique allemand qui lui donne un poids important dans la prise de décision politique. Contrairement à la France où l’État intervient régulièrement dans les négociations collectives, en outre-Rhin, l’État fixe seulement le cadre de la coopération dans lequel les conventions collectives sont négociées. La société civile et le politique se partagent donc le pouvoir.
Le DGB est donc loin de rassembler le monde du travail dans son ensemble et son influence diminue continuellement. Il est donc à la peine de se mettre à la tête de mouvements sociaux rassemblant une large part de la population. Ce sont donc les associations qui coordonnent des manifestations souvent initiées par des Bürgerinitiative (Initiatives citoyennes).
L’indicateur actuel du mécontentement en Allemagne réside beaucoup plus dans la multiplication de ces manifestations. La Berliner Zeitung rapporte que dans maintes villes de l’est, plusieurs milliers de personnes ont à nouveau manifester contre la politique social et énergétique du gouvernement fédéral. C’est une résurgence des fameuses « manifestation du lundi » centrées à Leipzig qui, lors des derniers mois de la RDA, ont accéléré la réunification des deux pays.
Le retour de ces « Demos » comme on dit en Allemagne était d’abord une initiative citoyenne… vite récupérée par l’AFD, le parti d’extrême-droite, qui a, comme partout en Europe, le vent en poupe. Ce fut l’occasion de tenter de dénigrer ces manifestations mais il faut bien reconnaître qu’elles se reproduisent dans d’autres villes, y compris à l’Ouest, et qu’elles rassemblent de plus en plus de monde. Dans certains cas, le parti Die Linke, s’y associe mais devant la crainte d’être assimilée à l’AFD, le débat entre les pro- et anti-manifestations du lundi, fait rage et menace l’unité du parti. L’argument du « rassemblement d’extrême-droite » » ne vaut donc pas plus pour ces mobilisations en Allemagne comme il ne valait pas pour qualifier en France, le mouvement des Gilets Jaunes…
Une crise politique en vue ?
La confiance dans la coalition au pouvoir s’érode à une vitesse grand V comme le montre le tableau publié par l’institut Statista ci-dessous.
La rapidité avec laquelle le chancelier Scholz a cédé aux pressions US et de l’UE pour se passer du gaz russe sans aucune alternative, a déstabilisé l’économie du pays et a suscité une inquiétude considérable dans l’opinion publique. Ce gouvernement souffre de la comparaison avec la politique suivie par Merkel et donne l’impression d’avancer comme une poule à laquelle on aurait coupé le cou ! Selon le journal Die Welt qui publie un sondage hebdomadaire sur la confiance des Allemands en leur gouvernement, seuls 29% sont satisfaits de l’activité de la coalition. Plus de deux tiers (68%) sont mécontents. Les Partis constituant la Coalition en subissent les conséquences : en un mois, le SPD perd 7 points, la FDP recule de 4 points et les Verts perdent plus de 9% ! Ces derniers paient leur double langage : promettant la fin des énergies fossiles à relativement court terme lors de la campagne électorale, ils font exactement le contraire en étant au pouvoir ! La FDP vient de subir une défaite électorale cinglante lors des élections récentes dans le Land de Basse-Saxe l’éjectant avec ses 4,5% de voix du parlement du Land. Elle met au compte de sa participation au gouvernement fédéral et sa piètre lisibilité la raison de ce revers. Et compte bien faire entendre plus sa différence (par exemple sur le nucléaire) avec les Verts et le SPD. Comment le falot Scholz va gérer cela est une interrogation…
LES 200 MILLIARDS DE LA DISCORDE : L’ÉQUIVALENT DE 50% DU PIB AUTRICHIEN !
Ce gouvernement n’a rien fait pour atténuer la crise : les prix augmentent beaucoup plus qu’ailleurs. Il est vrai que le « bouclier énergétique » français permet de contenir les chiffres mais il a le défaut majeur de faire monter la dette à des niveaux jamais connus… dont on nous présentera la facture un de ces jours.
L’Allemagne n’a pas ce problème : elle a des réserves qui lui permettent de lancer un grand plan de soutien de 200 milliards d’euros… à partir du 1er janvier 2023. Déjà cette mesure suscite des controverses en Allemagne et en Europe : pourquoi l’Allemagne fait-elle cavalier seul dans cette crise ? Tout les pays de l’UE n’ont pas les moyens de poser 200 milliards d’euros sur la table pour soulager la facture énergétique des entreprises et des ménages. Cela représente la moitié du PIB annuel de l’Autriche ! La Commission européenne examine si cela est compatible avec ses règles en matière de soutien financier mais Scholz réfute toute entorse à la politique européenne. D’ailleurs, la France qui critique ce plan oublie tout simplement que le « quoi qu’il en coûte macronien » serait dès lors également critiquable par la Commission européenne.
LE BON EL SALMAN CONTRE LE MÉCHANT POUTINE
Cela ne satisfait pas la population qui voit ses conditions de vie se dégrader fortement. A l’instar du gouvernement Macron, Scholz fait de l’’agit-prop en promettant la diversification des fournitures d’énergie… en allant quémander l’aide de l’Arabie Saoudite…
Imaginez l’ahurissement des Allemands. Non seulement, ils vont payer l’énergie saoudienne bien plus cher que le gaz russe, mais comment comprendre la mise en avant de principes moraux pour se passer des livraisons de la Russie et en même temps, caresser dans le sens du poil le prince héritier Mohamed Ben Salman dont un des hauts faits est de liquider et découper en morceau un journaliste opposant Jamal Kashoggi et mène une guerre terrible contre le Yémen… dans un silence assourdissant des pays occidentaux. Cela suffit-il à rendre Ben Salman plus respectable que Poutine… ?
Ces contradictions géopolitiques et le revirement des Verts dans la politique énergétiques sont une des raisons principales de la perte de confiance en la Coalition au pouvoir et de la crise politique qui menace.
La livraison d’armes à l’Ukraine est un autre sujet délicat qui commence à pénétrer l’opinion publique allemande. Die Welt datée du 7 octobre conclut son article sur la perte de confiance en la coalition, par ces mots : « Le nombre de ceux qui prônent une attitude prudente envers la Russie a augmenté de quatre points par rapport à juin de cette année pour atteindre 47%. Seuls 43% considèrent à présent que la détermination et la fermeté sont appropriées, soit une baisse de sept points ».
L’irruption des effets de la guerre en Ukraine dans les appréciations portées par la population sur l’action de leur gouvernement est sûrement une conséquence des craintes de ne pouvoir se chauffer ou s’alimenter durant l’hiver qui s’annonce.
Ce qui est à noter, c’est moins le chiffre en l’état que la tendance qui s’inverse. Les populations vont-elles continuer de considérer la défense des « valeurs » (à géométrie variable d’ailleurs comme on a pu le lire plus haut avec l’Arabie Saoudite) occidentale en Ukraine comme prioritaires en face des difficultés sociales, matérielles, sanitaires qui sont considérés comme une conséquence de la politique de l’Union européenne et ses 26 pays ?
Les chiffres sur la croissance en 2023 du FMI donnent du grain à moudre à ceux qui affirment que les sanctions décidées par l’occident, frappe aujourd’hui plus leurs citoyens que la Russie… Les pauvres arguments annonçant que les effets des sanctions frapperont les Russes « dans l’avenir » peinent à convaincre des populations inquiètes pour leur avenir et celui de leurs enfants du bien-fondé de cette politique.
Et si l’Europe faisait sa mue de faucon en colombe en devenant un porteur de paix et agirait en conséquence plutôt que d’alimenter la guerre par la livraison d’armes dont on se demande ce qu’elles deviendront après le conflit ?
Cela semble la voie qui commence à se dessiner en Allemagne dont l’avenir devient de plus en plus incertain. Et une crise allemande conduira inévitablement à une crise européenne.
(1) Au premier semestrec2022, le trou s’est encore nettement creusé, pour atteindre le montant colossal de 71 milliards d’euros, soit 20 milliards d’euros de plus que l’an dernier sur la même période, selon Bercy.