Vincent Hagenbach, maire de Richwiller, (et Conseiller départemental du canton de Kingersheim ainsi que Vice-Président de m2A), semblait dans ses petits souliers, lors d’une réunion publique tenue ce 11 octobre dans les locaux de sa mairie, et essentiellement consacrée aux problématiques environnementales, mais également à la fiscalité, ce dont nous ne traiterons pas ici.
Un peu bateleur, mais sans apparemment en faire de trop, il s’enquiert de la santé de ses administrés, ou s’enhardit à demander le quartier de provenance à ceux qu’il ne connait pas, dans ce village de 3700 âmes molletonnées par leur premier magistrat. L’homme politique qui connait tout son monde règle lui-même la sono, le tout dans la salle communale du rez-de-chaussée rassemblant un parterre d’une centaine de personnes.
La presse n’y a pas été officiellement conviée, mais difficile d’y voir un penchant paranoïde de la part de l’édile, puisque la réunion était diffusée en direct sur Facebook. Nous nous y sommes invités, comme nous le ferons avec d’autres élus, de sorte à apprivoiser de visu, et par la bande, le personnel politique local.
A droite du pupitre, se tenaient deux hommes droits comme des sémaphores, qui jetaient de temps à autre un oeil sourcilleux et torve dans la salle, tout en conservant un faux-air hiératique.
On apprendra vite qu’il s’agit d’un futur brigadier-chef de police municipale (en constitution), et de son second. « Cela créera une hiérarchie et facilitera sans doute les missions des deux policiers », estimait récemment le maire dans un article publié par le double journal unique, lequel destine les deux agents aux sorties des écoles et autres petites incivilités, tout en libérant le maréchal des logis-chef Cruchot ainsi que l’adjudant Gerber qui officient en gendarmerie, de ces missions quelque peu prosaïques.
Un chantier de dépollution industrielle en plein village
Le premier objet de la réunion examinait le rapport d’une analyste de l’Ademe (l’agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie), quant à l’état du site de l’ancienne société de traitement de surface ABT, présente sur le ban de la commune depuis 1957.
Depuis 1991, la société traitait dans son installation du numéro 100 de la rue Principale des produits via des bains électrochimiques, certains à base de chromes et de cyanures.
Le site a fait l’objet d’une évaluation simplifiée des risques (ESR). Une étude réalisée en 2002 mettait en évidence l’impact environnemental de cette activité sur la qualité des eaux souterraines…
Un arrêté préfectoral, pris 2 années plus tard, enjoignait au propriétaire de réaliser des prélèvements, et de surveiller les sédiments du Dollerbaechlein (un bras de la rivière Doller qui alimente en eau de boisson 200 000 habitants) afin d’y rechercher du chrome hexavalent (ou chrome 6), du nickel, cadmium, cuivre et des cyanures.
Le chrome hexavalent est un composé pouvant conduire à des maladies respiratoires chroniques, et il est notamment susceptible d’accroitre également le risque de cancers bronchopulmonaires.
Le film « Erin Brockovich » de Steven Soderbergh en illustre les méfaits à travers son usage industriel au sein d’une usine américaine.
L’établissement de Richwiller a quant à lui cessé sa production en 2011. L’Ademe a depuis été missionnée pour évacuer 200 tonnes de déchets dangereux dans le bâtiment.
Des campagnes d’analyses sur site ont depuis montré que les eaux souterraines sont polluées par des métaux lourds, dans des concentrations supérieures aux limites de potabilité…
Par ailleurs, les gaz au sol présentent des teneurs importantes en tétrachloroéthylène, un composé organisé volatil (ou solvant) cancérogène, très connu pour son usage resté longtemps immodéré en blanchisserie.
Le tétrachloroéthylène, également présent dans le sol, est susceptible de percoler dans l’air ambiant à l’état gazeux, raison pour quoi des piézairs ont été installés afin de contrôler les possibles rejets atmosphériques.
La réunion avait donc pour objectif de déminer les craintes des riverains au sujet de ce chantier de dépollution mis en oeuvre par la Dreal (direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement), en laissant intervenir une analyste strasbourgeoise de l’Ademe.
Vincent Hagenbach souligna en introduction son étonnement de découvrir dans la presse que le site de sa commune avait été sélectionné par le Ministère de la Transition écologique, sans qu’il n’en soit informé officiellement.
L’école à proximité et le caractère résidentiel du quartier pouvant expliquer la décision ministérielle, selon lui.
50 millions d’euros furent en effet placés sur la table par les pouvoirs publics aux fins de dépolluer 3 sites alsaciens, dont celui de PCUK à Wintzenheim (pollué au lindane) et de Munsch-Gulden à Wingen-sur-moder, dans le Bas-Rhin, en « compensation » (selon les mots de l’édile) du scellement prévu des 42 000 tonnes de déchets toxiques à Stocamine Wittelsheim.
Le tout dans le cadre du plan de protection de la nappe phréatique d’Alsace, la plus importante d’Europe…
Alors que le maire se risqua à un parallèle avec l’usine AZF de Toulouse pour illustrer les enjeux de la dépollution, l’analyste de l’Ademe s’employa a contrario à rassurer les personnes présentes. Et d’indiquer que son agence avait pour souci d’inclure les habitants dans le processus de réhabilitation
Les normes de pollution enregistrées à proximité des habitations et dans l’air de celles-ci n’excédent pas les valeurs recommandées selon les mesures effectuées, bien que l’on ne sache pas toujours situer le niveau de ces valeurs…
Le maire, faisant état de ses connaissances en chimie organique héritées, ajouta que les métaux lourds sont ceux qui diffusent le moins rapidement dans l’environnement, puisque lourds.
Complication supplémentaire soulignée par l’Ademe : « Abt était un site classé ICPE (installation classée pour la protection de l’environnement), c’est-à-dire que l’exploitant a pour obligation de remettre en état pour un usage industriel. L’entreprise ayant fait faillite, c’est devenu un site dit à responsabilité défaillante et la solidarité nationale prend le relais ».
Pour le maire, il y avait un exploitant, il reste aujourd’hui un propriétaire de site, qui, espère-t-il, ne se défaussera pas sans conséquences.
Une gravière sinon rien
Est ensuite évoqué le projet de l’acquisition d’une ancienne gravière, dite Gerteis, objet d’un invraisemblable imbroglio juridico-administratif avec le vendeur et au moins un autre acheteur. Un lieu qui sert d’étang de pêche et de lieu de promenade bucolique pour les amateurs de paysage bucoliques.
Cette zone d’anciennes gravières forme une surface de 20 hectares, et est mise en vente par son propriétaire Gerteis au prix de 330 000 euros. Une partie des 6 hectares serait en passe d’être acquise par la commune pour la somme de 120 000 euros, le reste est convoité par M. Colombina fils qui souhaite compléter son lot de « chasse d’eau » et passer à 25 hectares.
L’objectif de la commune est de créer une « zone naturelle », sans que celle-ci ne soit réellement définie, et sans que les citoyens n’en connaisse les futurs usages.
Il est en effet à craindre que le ou les futurs propriétaires, dont on apprenait le caractère retors, et fin connaisseurs du droit (puisque l’un serait notaire), ne finissent par interdire l’accès au lieu…
L’association Alsace Nature, dont l’un des représentants assistait à la réunion, propose au maire d’user de son mandat de conseiller départemental pour activer les compétences de la CEA, afin de mettre en oeuvre sa politique en faveur des espaces naturels sensibles (ENS).
La structure environnementaliste propose au besoin ses « services à la commune de Richwiller, afin de réaliser un état des lieux faunistiques et floristiques du site ainsi que des conseils pour la gestion du futur espace naturel ».
Agricolique germinale
Le maire borne immédiatement le terrain du prochain sujet abordé avant de céder la parole à un homme qui se dresse au premier rang : « je n’accepterai pas d’agriculteur basching ».
M. Wittmann, céréalier sur le ban communal, prend la parole. Il y est propriétaire de terres agricoles, tout comme au sein de la commune de Hoschtatt. Il est par ailleurs président d’une coopérative agricole « Alsace fraicheur », située à Colmar. Certains de ses terrains sont adjacents à des lotissements richwillerois.
Trois agriculteurs exploitent actuellement des parcelles sur Richwiller. Les terres exploitées se situent à proximité immédiate de l’EHPAD et d’un nouveau lotissement de 180 logements.
Selon lui, 400 hectares de terres arables disparaissent chaque année en Alsace, du fait de l’artificialisation des sols. Le maire intervient à propos pour rappeler que Richwiller occupe quelques 550 hectares de surface. L’agriculteur précise que ses parcelles de plus en plus contiguës. Il soulignera d’ailleurs à plusieurs reprises la nécessité de ne pas céder de terre aux grignoteurs immobiliers.
Un plaidoyer qui interroge à bien des égards. Car comment les lotisseurs s’accapareraient-ils ces terres sans qu’elles ne soient effectivement vendues par des agriculteurs ?
Afin de rassurer, là encore, sur les usages d’intrants dans ses champs, il croit pouvoir proposer des « bandes enherbées », de 5 mètres de largeur, le long des habitations voisines, le tout en lien avec les services communaux, qui prendrait en charge le coût d’installation et d’entretien, à condition que celles-ci ne se transforment pas en « dépotoirs » par les crottes de chiens, nuancera-t-il.
Le décret du 27 12 2019 impose pourtant bien des limites d’épandages aux agriculteurs pour « protéger les riverains et les établissements accueillant des personnes vulnérables (Ehpad) des conséquences sanitaires liées à l’exposition aux pesticides. »
C’est précisément le cas à Richwiller, ou l’Ehpad « Le village », situé 26 rue Schabis, se trouve en bordure de champ agricole.
Il n’existe cependant aucune limite bien définie en bordure des nouvelles zones urbanisées récemment. Les limites sont d’ailleurs fixées à 20 mètres pour les pesticides très dangereux, 10 mètres pour les épandages hauts et 5 mètres pour les épandages bas qui concernent plus particulièrement la commune.
Il serait par ailleurs très utile de connaitre précisément le type de pesticides utilisés par les agriculteurs, ainsi que les périodes d’épandages.
Le problème est d’ordre sanitaire et réglementaire. Alsace Nature et l’association Gaïa demandent au maire d’organiser une réunion entre les parties prenantes : élus municipaux, agriculteurs, représentants des riverains et des associations de défense de l’environnement. Information et coopération étant les conditions nécessaires afin de trouver des solutions satisfaisantes.
Ce faisant, l’agriculteur concédera d’ailleurs étrangement qu’il s’agit bien de « protéger les maisons des agriculteurs ».
Et pour ce faire, rien de tel que la technologie satellitaire ! Les doses d’intrants y sont calculées le plus justement, par le truchement des photos vues du ciel. Yann Arthus Bertrand ne ferait-il pas mieux en montgolfière ?
Se déclarant prêt à procéder aux travaux paysagers dès l’année 2023, il en appelle à la confiance des riverains. Un espoir toutefois douché par le maire, qui invoque l’énormité des dépenses énergétiques à venir pour justifier le report du projet.
Après s’être posé en victime : « on subit des attaques qui disent que l’on est des pollueurs » (que d’accusations vipérines !), il soutiendra que l’espace agricole est un « poumon » dans une ville ou un village.
Ce n’est évidement pas faux en soi, mais ajouter aussitôt que 1 hectare de maïs absorbe autant de carbone que la forêt, est un argument un peu plus spécieux…
Surtout quand on sait que « l’agriculture et le changement dans l’utilisation des terres contribuent pour 24 % aux émissions de gaz à effet de serre. Les chercheurs estiment que cette part augmentera de 30 à 40 % d’ici à 2050 ».
On trouvera pourtant un tel argument affiché sans ambages sur de nombreux sites internet. Aussi bien « maïs culture durable »; que le syndicat « coordination rurale », ou le blog libéral « contrepoints », tous en conviennent assurément, surtout à partir de données obsolètes !
Tous ces supports sont pourtant l’émanation de groupements d’intérêts privés agricoles ou de néolibéraux proclamés, partisans du productivisme.
Il suffit, a contrario, de jeter un oeil sur des publications universitaires de référence, dont les sources sont mieux construites, pour se faire une autre idée de la situation :
Le CNRS indique par exemple que « D’un point de vue agronomique, la culture de maïs ensilage offre le meilleur rendement en produisant jusqu’à 1,3 gramme de carbone par litre d’eau consommé, contre 0,65 gramme pour le blé et 0,2 gramme pour le tournesol », et ajoute : « En revanche d’un point de vue environnemental, le blé dont le cycle est plus long, fixe davantage de carbone dans le sol : il permet de séquestrer jusqu’à 1 gramme de carbone par litre d’eau consommé. Par contre, le tournesol à cycle court et le maïs ensilage présentent des bilans négatifs : ils appauvrissent le sol en carbone et sont, par conséquent, producteurs nets de gaz à effet de serre ».
Le fait est que deux systèmes agricoles, peuvent se comporter aussi bien comme source de gaz à effet de serre, que puits de gaz à effet de serre, selon le volume des émissions de CO₂, CH₄ et N₂O ainsi que la séquestration du carbone du sol.
Voici ci-dessous un schéma de Murilo Veloso (Enseignant-chercheur en Sciences du sol à l’Université de Rouen), illustrant les deux situations opposées, selon que l’agriculteur opère sur un sol tassé et richement azoté (à gauche) ou qu’il soigne sa structure de sol (à droite) :
De même, toujours du même universitaire, une illustration de ce que l’agriculture conventionnelle et ses pratiques impliquées telles la monoculture, le labour du sol et la forte dépendance des intrants, contribuent à augmenter les émissions de gaz à effet de serre et à réduire la séquestration du carbone du sol, faisant du système agricole une source de gaz à effet de serre (à gauche). Ou des pratiques agroécologiques telles que culture de couverture, semis direct, culture intercalaire, légumineuses et l’agroforesterie qui contribuent à diminuer les émissions de gaz à effet de serre et à augmenter la séquestration du carbone du sol, faisant du système agricole un puits de gaz de gaz à effet de serre (à droite) :
Le secteur agricole a évidemment pour vocation première de nourrir la population, il est fondé sur des processus biologiques très complexes. Les principaux gaz émis par le secteur sont liés à ces processus : ce sont le protoxyde d’azote (N2O) et le méthane (CH4).
De là à prétendre que « l’agriculture fait beaucoup pour l’environnement », ainsi que le soutient de nombreux agriculteurs du secteur conventionnel, il y a un monde que les tenants d’une production agricole extensive, littéralement addict aux produits phytosanitaires, au point d’avoir dénaturé l’agriculture paysanne, ne veut toujours pas découvrir.
Ce n’est donc pas la population qui pratique « l’agriculteur bashing », c’est l’agriculture qui est malade de ses technologies, et ce faisant matraque la nature. Nourrissant mal la population, ses alternatives respectueuses de l’environnement ne sont alors destinées qu’aux classes les plus aisées.
C’est notamment de ce constat dont traite l’essai récemment paru au éditions du Seuil : « Reprendre la terre aux machines, Manifeste pour une autonomie paysanne et alimentaire »…