L’en­vo­lée du franc suisse vient de remettre en lumière quelques pra­tiques dou­teuses des banques qui, entre autres, ont ima­gi­né des dis­po­si­tifs, par­fois très toxiques, dont sont vic­times aujourd’­hui des par­ti­cu­liers, des col­lec­ti­vi­tés locales et des éta­blis­se­ments publics. Pour l’ins­tant, les par­ti­cu­liers concer­nés semblent vou­loir ripos­ter avec plus de déter­mi­na­tion que les élus…

Les par­ti­cu­liers aus­si : l’exemple d’un prêt auprès du Cré­dit Agri­cole d’Alsace

Sous­crire un prêt immo­bi­lier en devise autre que l’eu­ro s’est avé­ré à haut risque lorsque l’emprunteur ne dis­pose pas de reve­nus dans cette devise et plus encore lorsque l’emprunt, alors dou­ble­ment toxique, est affec­té d’un taux aléa­toire indexé sur le taux de change de la devise en ques­tion, comme l’ont ima­gi­né cer­tains finan­ciers déci­dé­ment très, très imaginatifs .

La loi votée en juillet 2013 pro­hibe désor­mais, ce type d’emprunt dès lors que le prêt n’est pas des­ti­né à finan­cer une opé­ra­tion à carac­tère inter­na­tio­nal et qu’il est sans rela­tion directe avec l’objet de la conven­tion ou avec l’activité de l’une des par­ties ; c’est bien l’indexation sur l’évolution de la mon­naie étran­gère qui est ain­si visée, confor­mé­ment au Code moné­taire et financier.

Mais en fait nombre de par­ti­cu­liers « béné­fi­ciaires » d’emprunts anté­rieurs sont aujourd’­hui, vrai­ment en grande dif­fi­cul­té : ceux qui, pour finan­cer leurs pro­jets immo­bi­liers et sur les conseils de leurs ban­quiers ont contrac­té des emprunts indexés sur le franc suisse. Depuis 2008 celui-ci s’est en effet appré­cié de près de 60% par rap­port à l’euro et son évo­lu­tion récente ne fait qu’amplifier la ten­dance. L’association fran­çaise des usa­gers des banques esti­mait, fin 2011, que 15 000 per­sonnes étaient concer­nées par ces cas d’indexation d’emprunts sur le franc suisse.

Un exemple: L’Al­ter­presse 68 a ren­con­tré une per­sonne en Alsace, qui a sous­crit un emprunt immo­bi­lier en francs suisses auprès du Cré­dit Agri­cole en 2004 . 

Pour un équi­valent de 260 000 euros emprun­tés en 2004 elle reste devoir à ce jour….258 000 euros… après avoir déjà rem­bour­sé 144 000 euros, inté­rêts et capital…..

L’évolution de la situa­tion per­son­nelle de l’intéressée s’ajoutant à la nou­velle pari­té euro/franc suisse abou­tit, dans son cas par­ti­cu­lier, à des charges de rem­bour­se­ment excé­dant lar­ge­ment ses capa­ci­tés finan­cières et la vente de la mai­son acquise devient sa seule option… (même si le mon­tant de la vente ne cou­vri­rait pas les rem­bour­se­ments res­tant dus.…).

A quoi joue le Cré­dit Agricole ?

Peu aver­tie des risques encou­rus, confron­tée en outre à une situa­tion fami­liale qui la laisse désor­mais seule à devoir assu­mer la charge du rem­bour­se­ment, sans béné­fi­cier d’une cou­ver­ture contrac­tuelle du taux de change que l’organisme prê­teur n’a pas mis en place, elle sup­porte désor­mais un risque finan­cier non maî­tri­sable qu’elle a bien ten­té de jugu­ler en sai­sis­sant la jus­tice. Mais durant un conten­tieux qui pour­rait être fort long et en l’at­tente d’une déci­sion défi­ni­tive, la banque conti­nue d’im­po­ser ses échéances.

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A‑t-elle fait preuve d’une grande légè­re­té dans sa déci­sion de contrac­ter ce prêt ? Ou plu­tôt l’organisme ban­caire, spé­cia­liste, par défi­ni­tion, a‑t-il failli à ses obli­ga­tions pro­fes­sion­nelles, telles que la légis­la­tion et l’évolution de la posi­tion des tri­bu­naux les définissent ?

Ain­si quid du devoir de vigi­lance et de dis­cer­ne­ment que l’établissement de cré­dit doit obser­ver pour évi­ter que l’emprunteur ne courre un risque excessif ?

Quid de son devoir de mise en garde, de son devoir conseil, de son devoir d’information, tels que défi­nis par la juris­pru­dence ? Quid de l’obligation que l’offre de cré­dit men­tionne le taux effec­tif glo­bal, (TEG) c’est à dire notam­ment les com­mis­sions de change, cal­cu­lées selon un barème connu (car, à défaut, c’est bien le coût total du cré­dit qui n’est pas connu de l’emprunteur). Quid de l’information sur les condi­tions et moda­li­tés de varia­tion du taux d’intérêt ?

L’organisme prê­teur devait évi­dem­ment infor­mer des consé­quences liées au risque de change lors d’un emprunt libel­lé en devise étran­gère. Et cette obli­ga­tion d’information ne pou­vait se limi­ter à une brève « notice d’information » stan­dar­di­sée et inadap­tée, au carac­tère de l’emprunt.

La banque condam­née par le tribunal !

Le Cré­dit agri­cole de Metz vient donc d’être récem­ment condam­né pour démar­chage illi­cite et irré­gu­la­ri­tés pour ce type d’emprunts immo­bi­liers en francs suisses rem­bour­sables en euros, notam­ment pour défaut d’information sur les risques finan­ciers encou­rus et démar­chage illi­cite. Il semble que ce soit une pre­mière… espé­rons que ce ne soit pas une dernière! 

A cette heure nous ne savons pas si la banque fera appel mais les déve­lop­pe­ments de ce conten­tieux seront importants.

La déci­sion du tri­bu­nal aurait pour consé­quence de lais­ser à la charge de la banque seule la perte de change et les inté­rêts conven­tion­nels, l’emprunteur n’ayant plus qu’à rem­bour­ser le seul capi­tal d’origine, en euros, comme un prêt à taux zéro.

D’autres banques sont actuel­le­ment pour­sui­vies dans des affaires simi­laires de prêts toxiques en francs suisses (BNP Pari­bas notamment)

Dans le cas alsa­cien cité, une nou­velle audience de juge­ment est pro­gram­mée en mars à Mul­house. Nous ne man­que­rons pas de suivre ce dos­sier, ain­si que d’autres qui pour­raient être por­tés à notre connais­sance par nos lec­trices et lec­teurs ou par une asso­cia­tion de consommateurs.

C.R.

Voir la suite de cet article consa­crée aux col­lec­ti­vi­tés et orga­nismes publics :

Quand toxique rime avec hel­vé­tique… (2)