Dès le début du 20è siècle, le par­ti socia­liste (PS) joue un rôle impor­tant dans la ville indus­trielle de Bâle. En 1902, Il obtint pour la pre­mière fois un siège au gou­ver­ne­ment de la ville com­po­sé de sept membres, res­pon­sable à la fois pour la ville et le Can­ton de Bâle-Ville, sui­vi d’un deuxième siège en 1908. La même année, le PS devint le pre­mier par­ti au Grand conseil, le par­le­ment de la ville-can­ton avec ses 130 dépu­tés, grâce au vote à la pro­por­tion­nelle intro­duit en 1905. 

En 1920, la PS obtint presque la majo­ri­té abso­lue au Grand conseil, mais au cou­rant des années 1920, y per­dit à nou­veau la moi­tié de ses sièges. Mais puisque dans les can­tons suisses, les par­le­ments et les gou­ver­ne­ments sont élus direc­te­ment par la popu­la­tion dans des scru­tins simul­ta­nés, mais sépa­rés, les rap­ports de force de l’exécutif ne reflètent pas tou­jours ceux des par­le­ments. C’est ain­si que le PS a pu à cette époque conser­ver ses deux sièges au gouvernement. 

Suite à la crise éco­no­mique de 1929, le par­ti retrou­va à peu près sa force ini­tiale et lors des élec­tions de 1935, il réus­sit à délé­guer deux repré­sen­tants sup­plé­men­taires au gou­ver­ne­ment en y obte­nant ain­si la majo­ri­té. Au Grand conseil, les par­tis de gauche (PS et com­mu­nistes) et les par­tis bour­geois (libé­raux, radi­caux et chré­tiens-démo­crates) étaient à éga­li­té avec 62 sièges pour chaque camp, les 6 res­tants étant répar­tis sur divers par­tis minoritaires. 

C’était le début de “Bâle la rouge” qui gou­ver­na la ville jusqu’en 1950.

Après le décès d‘un des quatre membres socia­listes du gou­ver­ne­ment en 1941, Carl Miville fut élu à sa place, mais exclu du PS en 1944 à cause de sa proxi­mi­té idéo­lo­gique avec les com­mu­nistes. Ceux–ci avaient été inter­dits par le gou­ver­ne­ment fédé­ral à Berne au début de la guerre, mais lorsqu’en 1944, la fin de celle-ci poin­tait à l’horizon, les com­mu­nistes avaient à nou­veau le droit de créer un par­ti, cepen­dant sous un autre nom: “Par­ti ouvrier et popu­laire” (POP). [1] 

Miville rejoi­gnit ce nou­veau par­ti, de sorte que Bâle, pour la pre­mière et, depuis lors, unique fois, comp­ta un com­mu­niste au sein de son gou­ver­ne­ment, désor­mais “rouge-rouge”, une sorte de ver­sion hel­vé­tique du “Front populaire”. 

Genève avait sui­vi l’exemple fran­çais en 1936, sous la direc­tion du com­mu­niste Léon Nicole, mais cet épi­sode ne dura que deux ans. 

Après Genève et Bâle-Ville, aucun autre can­ton suisse n’a expé­ri­men­té un Front popu­laire. Bâle res­tait donc le seul can­ton avec cette com­po­si­tion de son gou­ver­ne­ment. Aux élec­tions de 1947, le POP avait atteint son apo­gée avec plus de 30 sièges au Grand conseil, presque autant que le PS, mais cette vic­toire était en même temps le com­men­ce­ment de sa des­cente, car avec le début de la guerre froide, sa popu­la­ri­té était en chute libre dans les années suivantes. 

En 1949, Carl Miville quit­ta le  POP à cause de la trop grande dépen­dance de Mos­cou de ce der­nier, et renon­ça à se repré­sen­ter aux élec­tions de 1950[2]. Le PS conser­vait ses trois sièges au gou­ver­ne­ment, mais y per­dait la majo­ri­té au pro­fit des par­tis bour­geois. C’était la fin de “Bâle la rouge”.

Cette époque de 15 ans, répar­tie à peu près à parts égales entre les années avant, pen­dant et après la deuxième guerre mon­diale, res­te­ra cer­tai­ne­ment en mémoire comme la plus remar­quable de l’histoire de Bâle du 20è siècle.  Plu­sieurs grandes construc­tions, réa­li­sées pour com­battre le chô­mage qui était éga­le­ment impor­tant à Bâle, tel le musée des beaux arts, l’université et l’élargissement du pont Wett­stein sur le Rhin, sont encore aujourd’hui des témoins visibles de cette époque. 

Celle-ci est sur­tout liée au nom de Fritz Brechbühl, un des deux socia­listes nou­vel­le­ment élus en 1935 qui était en charge du dépar­te­ment de la police spé­cia­le­ment expo­sé à la cri­tique. Il entre­prit des réformes atten­dues depuis long­temps, en trans­for­mant une police auto­ri­taire qui avait com­bat­tu les mani­fes­ta­tions syn­di­cales après la pre­mière guerre mon­diale d’une main de fer, en une police plus proche des citoyens. 

Signe exté­rieur de ce chan­ge­ment, les poli­ciers reçurent peu avant le début de la deuxième guerre mon­diale de nou­veaux uni­formes dont le casque res­sem­blait à celui des “bob­bies” lon­do­niens. Par ce geste, Brechbühl vou­lut aus­si se démar­quer de l’Allemagne nazie voi­sine et de sa police. Dès 1938 et sur­tout pen­dant la guerre, il s’engagea en outre pour une poli­tique humaine en faveur des réfu­giés, en uti­li­sant au maxi­mum la marge de manoeuvre étroite que lui lais­saient les direc­tives très res­tric­tives des auto­ri­tés fédérales. 

Ain­si, de nom­breux juifs alle­mands ont réus­si à fran­chir la fron­tière suisse même après sa fer­me­ture presque her­mé­tique aux réfu­giés suite à une ordon­nance fédé­rale de 1942, pour trou­ver refuge à Bâle. De cette manière, Brechbühl contri­bua beau­coup au fait que “Bâle la rouge” se démarque favo­ra­ble­ment de l’ “Alle­magne brune” pen­dant cette époque difficile. 

Très popu­laire, il fut réélu huit fois par les Bâlois et pen­dant ses 28 ans au gou­ver­ne­ment, il en assu­ra la pré­si­dence annuelle alter­née pas moins de cinq fois, la der­nière en 1963. Pour des rai­sons de san­té, il ne put plus assu­mer cette fonc­tion et mou­rut en cette même année à l’âge de 66 ans. La ville lui accor­da le rare, mais plei­ne­ment méri­té hon­neur de funé­railles d’État à la Cathé­drale. Avec Fritz  Brechbühl, “Bâle la rouge” fut aus­si enter­rée sym­bo­li­que­ment, 13 ans après son décès politique.

Depuis 1950 et au-delà du tour­nant du siècle, le rap­port de force au gou­ver­ne­ment res­ta constant: quatre repré­sen­tants des par­tis bour­geois et trois socia­listes, une “grande coa­li­tion” typi­que­ment hel­vé­tique dans laquelle tous les grands par­tis sont représentés. 

Au début du 21è siècle appa­rut, comme dans les pays voi­sins, un nou­veau par­ti, les Verts. Aux élec­tions de 2004, il obtint un siège au gou­ver­ne­ment, au dépens des par­tis bour­geois. Grâce à la proxi­mi­té idéo­lo­gique entre Verts et Socia­listes, une majo­ri­té rouge-verte était née. La posi­tion des Verts fut ren­for­cée en 2009 suite à un amen­de­ment consti­tu­tion­nel approu­vé par vote popu­laire qui créa une pré­si­dence per­ma­nente du gouvernement. 

Guy Morin du par­ti des Verts, méde­cin éco­lo­giste, fut élu direc­te­ment par le peuple comme le pre­mier véri­table “maire” de la ville depuis presque 150 ans, avec des com­pé­tences  directes dans les domaines de la culture, de l’urbanisme et de la coopé­ra­tion trans­fron­ta­lière. Les trois dicas­tères[3]-clé que sont les finances, l’économie et le social ain­si que les tra­vaux et les trans­ports publics sont depuis dans les mains des membres socia­listes du gouvernement. 

En 2016, Éli­sa­beth Acker­mann, jusque-là pro­fes­seur de musique, prit la suc­ces­sion de son col­lègue de par­ti Guy Morin. En géné­ral, le gou­ver­ne­ment rouge-vert a fait du bon tra­vail pen­dant les 16 années écou­lées, par une poli­tique de finance et d’impôts sage et pro­fi­table qui assu­rait un équi­libre entre une éco­no­mie pros­père avec la jus­tice sociale et un envi­ron­ne­ment sain. 

Les trois par­tis bour­geois repré­sen­tés au gou­ver­ne­ment ont lar­ge­ment sou­te­nu cette poli­tique, par contre le par­ti conser­va­teur de droite UDC (Union démo­cra­tique du centre) qui n’a jusqu’ici obte­nu aucun siège au gou­ver­ne­ment était res­té iso­lé dans son oppo­si­tion à des lois pro­gres­sistes. Les élec­tions de ce 25 octobre déci­de­ront si le suc­cès de la “Bâle rouge-verte” trou­ve­ra une suite…

Hans-Jörg Renk

Sources: René Teu­te­berg: Bas­ler Ges­chichte, Chris­toph Merian Ver­lag Basel 1986

Robert Heuss: Bas­ler Poli­zei 1816–2016, Schwabe Ver­lag Basel 2016. 

Pour de plus amples infor­ma­tions sur l’histoire de Bâle de 1933–1945, visi­ter l’exposition actuelle consa­crée à cette époque au Musée his­to­rique de Bâle (His­to­risches Museum) au Barfüs­ser­platz dans le centre ville. (plus d’informations sur www.hmb.ch)


[1] Le par­ti fas­ciste “Front natio­nal”, peu impor­tant en nombre d’adhérents, fut inter­dit en même temps que le par­ti com­mu­niste et le res­ta jusqu’à sa dis­pa­ri­tion com­plète après la fin de la guerre.

[2] Son fils, Carl Miville junior, à pré­sent presque cen­te­naire, repré­sen­ta le can­ton de Bâle-Ville pen­dant de longues années au Conseil des Etats, la deuxième chambre du Par­le­ment fédé­ral à Berne, en tant que membre du PS.

[3] En Suisse, sub­di­vi­sion d’une admi­nis­tra­tion communale.