Entre­tien de la rédac­tion de l’Alterpresse 68 avec Moham­mad AKBAR, Pré­sident de l’association REDA (Réflexions et échanges en Alsace dans la dyna­mique Pré­sence musulmane)

Michel Mul­ler (M.M) : Bien­ve­nue pour cet échange qui se situe dans un contexte par­ti­cu­lier, celui des atten­tats du 7 jan­vier, de la mani­fes­ta­tion « Char­lie » du 11 et sur­tout d’un cli­mat géné­ral où la com­mu­nau­té musul­mane, à tort ou à rai­son, est inter­pel­lée de plus en plus direc­te­ment par nombre d’acteurs de la vie poli­tique et socié­tale française.

Et d’abord, rapi­de­ment, vos réflexions, sur  les décla­ra­tions du maire de Mul­house rela­tives aux retards à la ren­trée en classe, réels ou pas, d’enfants  pour cause de prière après les démen­tis embar­ras­sés de Mon­sieur Rott­ner et de la vice – pré­si­dente de l’U.M.P, l’écho natio­nal de cette affaire ou pseu­do affaire ?

Moham­mad AKBAR (M.A) : Je suis inter­ve­nant social dans le quar­tier concer­né et je puis vous assu­rer que pas­sée la pre­mière émo­tion, forte, de parents de confes­sion musul­mane, la réac­tion a été de trai­ter cela avec un grand sou­rire, voire d’en rire. Dans la reli­gion qui est la mienne, l’heure des prières ne fait pas l’objet de pres­crip­tions rigides ni d’impératifs qui puissent empê­cher un enfant d’aller à l’école en temps et heure.

Il est évident, par contre, que ces décla­ra­tions par­ti­cipent d’un cli­mat entre­te­nu où tout de qui est « musul­man » semble poser ques­tion, du fou­lard au pain au cho­co­lat, voire donc au res­pect des horaires de classe.

On peut com­prendre que nombre de musul­mans soient inquiets, voire déve­loppent une men­ta­li­té d’assiégés ; si l’on conti­nue sur cette lan­cée, on ver­ra un cli­mat d’affrontement se déve­lop­per, des fric­tions dues tout sim­ple­ment au manque de contact et de communication.

Dans ce quar­tier, les parents d’élèves musul­mans se sont sen­tis visés mais au-delà il faut noter que cet inci­dent pointe  des ques­tions impor­tantes : la notion de laï­ci­té et sa por­tée mais aus­si les per­cep­tions cultu­relles dif­fé­rentes qui pour­raient tout sim­ple­ment expli­quer que pour un enfant de tra­di­tion musul­mane l’excuse de la prière puisse appa­raître comme « la » bonne excuse incon­tes­table, là où un enfant d’une autre culture aurait pu évo­quer, par exemple, la mala­die d’un parent pur jus­ti­fier un retard.

Ber­nard SCHAEFFER (B.S) : Cette mini affaire N.K.M/ Jean Rott­ner est ridi­cule et l’Education natio­nale aurait pu être plus ferme dans ses réserves expri­mées à l’encontre des élus concer­nés. J’ajoute que c’est une pos­ture poli­tique misé­rable qui s’inscrit dans une stra­té­gie, voir les cas de pro­fes­seurs sus­pen­dus, dont un à Mul­house tout récem­ment ; la com­mu­nau­té musul­mane devrait réagir.

 M.A :  La com­mu­nau­té musul­mane n’existe pas et il ne paraît peut être pas néces­saire qu’elle se crée.

Je ne sou­haite pas voir une repré­sen­ta­tion struc­tu­rée, un cler­gé, voire un pape, parce que tel ou tel intel­lec­tuel ou res­pon­sable poli­tique le déci­de­rait. Je ne crois pas en des repré­sen­tants recon­nus par les pou­voirs publics qui ne seraient pas d’abord recon­nus par leur base, les fidèles….sans comp­ter ces repré­sen­tants « offi­ciels » dési­gnés par les pou­voirs publics et sur la base de cri­tères aus­si sérieux que le nombre de mètres car­rés de mos­quées ou car­ré­ment « média­tiques » dont la dési­gna­tion n’a rien de démocratique.

Ce qui existe par contre c’est une com­mu­nau­té de foi.

B.S : Par­lons du « blas­phème » dont les repré­sen­tants des com­mu­nau­tés chré­tiennes et juives ont deman­dé la sup­pres­sion du droit local avant les évè­ne­ments du 7 jan­vier mais qui semblent s’être ravi­sées depuis.

M.A : Il s’agit en fait d’une bataille idéo­lo­gique chez les musul­mans et d’un tra­vail de fond pour réin­ven­ter les règles socié­tales. Tarik Rama­dan parle d’un « Nou­veau Nous ».

Il s’agit bien de redé­fi­nir des valeurs essen­tielles comme « laï­ci­té », « démo­cra­tie », dans un envi­ron­ne­ment désor­mais mul­ti­cul­tu­rel, voire mon­dia­li­sé ; il s’agit de même de défi­nir et contex­tua­li­ser des mots clés de notre propre réfé­ren­tiel cultu­rel, « jihad » par exemple.

Les musul­mans ont aus­si à s’interroger et ils ont évi­dem­ment des choses à apporte dans cette démarche.

Nous devons aus­si apprendre à vivre notre reli­gio­si­té, à ne pas entrer dans la logique de com­mu­nau­tés cam­pant sur leurs règles, se regar­dant en « chiens de faïence ».

Nous  devons aus­si ces­ser de cher­cher à plaire aux médias comme nous devons redé­fi­nir des mots qui sont dans le Coran mais doivent être recon­tex­tua­li­sés, « lapi­da­tion » et « jihad » par exemple.

L’Islam n’est ni un dra­peau, ni un boulet.

M.M : Laï­ci­té  par exemple est un concept variable dans une socié­té qui connaît une crise à plu­sieurs entrées et où laï­ci­té devient laï­cisme. Com­ment votre com­mu­nau­té de foi res­sent-elle cela ?

M.A : Laï­ci­té est un mar­queur ; nous savons tous que c’est l’Islam qui est visé. Des reli­gions ont pris leur place dans notre socié­té et d’autres reven­diquent désor­mais la leur. La porte est-elle bloquée ?

Il ne s’agit pas d’une ques­tion de textes sacrés mais bien d’une ques­tion idéologique.

Laï­ci­té est un concept essen­tiel­le­ment fran­çais d’ailleurs ; la ver­sion turque du mot se com­prend comme «athéisme », comme pour les musul­mans en général.

Laï­ci­té ne doit pas s’entendre comme une injonc­tion, voire une agres­sion  et c’est trop sou­vent le cas.

Les musul­mans doivent redé­fi­nir le concept par un tra­vail intra-com­mu­nau­taire d’abord ; ils doivent faire ce tra­vail pour tout un ensemble de mots clés dont : vio­lence, ter­ro­risme,  femme, peines au sens pénal, dont la lapi­da­tion, l’amputation.

M.M : Par­le­rons-nous d’Islam de France ? La Répu­blique et la reli­gion sont-elles anti­no­miques ? On sait que la Consti­tu­tion euro­péenne, des pays euro­péens ont des approches dif­fé­rentes par rap­port à cette place de la religion.

M.A : Oui, Islam de France, si on redé­fi­nit un Islam qui reste trop lié à son temps et à son contexte historique.

L’Islam d’hier ou d’avant-hier n’est pas celui d’aujourd’hui et l’Islam d’Egypte n’est pas celui de France ou d’Indonésie. Mais atten­tion : je ne parle pas d’Islam de pou­voir ; je ne parle pas d’une reli­gion d’Etat.

Il n’y a pas d’antinomie de prin­cipe ; il n’y a que des contextes his­to­riques, pour la Répu­blique comme pour l’Islam.

M.M : « Tra­vailler ensemble », « vivre ensemble » mais dans un contexte d’inégalités de pou­voirs, de richesses, de ten­sion sociales. On peut rele­ver que le voile inté­gral des riches saou­diennes ne semble pas poser de pro­blèmes dans les bou­tiques de luxe à Cannes ou à Paris.

M.A: Atten­tion à ne pas sché­ma­ti­ser : tout n’est pas lutte des classes mais le social reste un fac­teur majeur. Les par­tis de gauche clas­sique oublient l’importance de fac­teurs spi­ri­tuels dans leurs approches et ana­lyses. Les par­tis de droite, au contraire, peuvent sur­es­ti­mer le fac­teur religieux.

M.M : Pour ter­mi­ner ces échanges j’aimerais que vous reve­niez sur le contexte sécu­ri­taire actuel de notre socié­té qui va de pair avec une vio­lence socié­tale accrue ; je n’en veux pour preuve que la ten­dance géné­rale à l’aggravation des peines pro­non­cées par les tri­bu­naux, le dis­cours « tout répres­sif », les lois anti­ter­ro­ristes, les débats réac­ti­vés sur la ques­tion du blas­phème, etc.

M.A. Si aujourd’hui dans les quar­tiers, pour reprendre cette expres­sion, on jette des pierres sur les camions des pom­piers il faut aus­si consta­ter que la loi et son appli­ca­tion sont à géo­mé­trie variable et dépendent  trop sou­vent du type d’accusé, de prévenu.

Je rap­pelle aus­si que les contrôles vexa­toires de forces de l’ordre dans cer­taines zones, pour cer­tain types d’habitants, existent.

Je veux sou­li­gner que ces inéga­li­tés sociales, que ces vexa­tions, aggravent consi­dé­ra­ble­ment les risques de radi­ca­li­sa­tions rapides et impré­vues pour cer­tains jeunes.

Nous en connais­sons les conséquences.

Malaise social, sen­ti­ment d’humiliation, non-recon­nais­sance cultu­relle, autant de fac­teurs contraires à une valeur que la Répu­blique gagne­rait à valo­ri­ser la Fra­ter­ni­té dans le trip­tyque Liberté-Egalité-Fraternité.

 Ce sera mon mes­sage aux forces qui se réclament de la gauche.