Le poète a toujours raison, qui voit plus haut que l’horizon. Ferrat et Aragon se retrouvent toujours chez Claude Diringer, enfant de Westhalten dans la vallée noble, aujourd’hui retraité installé à Dessenheim, après avoir travaillé pendant 36 ans comme infirmier de secteur psychiatrique au centre hospitalier de Rouffach où il était aussi délégué syndical CGT.
Ç’avait été pour lui un choc quand au collège de Rouffach son professeur de musique lui avait fait découvrir Nuit et Brouillard de Jean Ferrat. À ce choc s’est ajouté ensuite celui de voir l’ancien camp de concentration du Struthof, puis plus tard le drame des Malgré-Nous et des Alsaciens-Mosellans internés à Tambov où il se rend encore régulièrement. Cela l’a forgé en homme de conviction et de combat sous de multiples formes, de l’engagement syndical à gauche et de la défense de la culture alsacienne à la militance pour le genre humain partout dans le monde, effectuant par exemple avec son épouse Marthe une mission au Sénégal pour l’ONG Échanges et Solidarité ou devenant parrain d’enfants indiens. La substantifique moelle de tout cela est la poésie, qui dit-il est la nourriture de son âme, son ouverture sur la vie, le rêve, la liberté et la fraternité. Son Panthéon est habité par Victor Hugo, Stéphane Mallarmé, Apollinaire, Arthur Rimbaud, Jacques Brel et l’Alsacien Hans Jean Arp, cofondateur du dadaïsme et « qui apporta des lettres de noblesse à l’expression universelle alsacienne ». Son chemin a alors forcément croisé à l’époque celui d’Henri Bannwarth, écolo pionnier de la viticulture bio qui a créé au milieu des années 1970 le Stammtisch de Rouffach « qui était un lieu de rencontre de tous les habitants de notre terre ». Claude Diringer y rencontra le philosophe Jean-Paul Sorg qui lui fit connaître les poètes, artistes et écrivains André Weckmann, Conrad Winter, Sylvie Reff, Gérard Leser, Louis Schittly et René Ehni.
Le Cercle culturel Nathan Katz
Avec certains, Diringer a fondé le Cercle culturel Nathan Katz, en 1981, l’année même de la mort du grand poète et dramaturge sundgauvien. Depuis, il organise tous les ans en janvier, mois du décès de Katz, un hommage sur sa tombe au cimetière central de Mulhouse, où l’ami Daniel Muringer chante le chantre. Au départ, sur une idée de René Ehni, le Cercle culturel Nathan Katz s’appelait Unsri Causa Nostra, une façon de marquer l’alsaciannitude. Le poète Diringer dit qu’il se considère comme « un pèlerin sur notre terre et que nous devons la transmettre à nos enfants dans le meilleur état possible ». Il se sent comme André Weckmann dont « l’œuvre universelle est portée par une tolérance sans faille, un attachement à notre région et à notre culture, un amour de la liberté et de la justice, se plaçant toujours du côté des opprimés dans tous les pays du monde ».
C’est Sorg qui l’a poussé à écrire ses poèmes en alsacien, ce qui lui a aussi valu de nombreux prix en France comme en Allemagne. La poésie de Claude Diringer raconte la vie, les gens, les nuits et les jours. Il explique : « J’ai des textes sélectionnés dans une centaine d’anthologies alsaciennes, françaises et badoises. Je suis le produit de ma double culture francophone et alémanique, issu sans doute d’une ancienne immigration thuringeoise, sens que les généalogistes donnent à mon patronyme. Je me sens héritier de poètes tels que Thomas Murner, Nathan Katz er Émile Storck dont l’écriture est proche de mon parler de Westhalten. Je lis la poésie allemande avec une prédilection pour Heinrich Heine et Rainer Maria Rilke. » Homme pluriel, Claude Diringer a aussi fondé Les Cahiers du Rhin et s’occupe également comme correspondant de plusieurs organes de presse.
« Nos écrivains et artistes devraient être moins timorés »
Le regard qu’il porte sur les intellectuels et créateurs alsaciens d’aujourd’hui est le suivant : « Nos écrivains et artistes devraient être moins timorés, car trop rares sont ceux qui ont réussi à se faire connaître au-delà de la ligne bleue des Vosges. En musique et dans les variétés, nous avons quelques noms qui ont réussi à faire reconnaître leur talent, ils sont un peu le bosquet qui cache la forêt. Dans l’édition, depuis Alfred Kern et Jacques Almira nous attendons toujours encore un auteur qui pourrait décrocher un prix littéraire de renom en automne. La filière scientifique se porte mieux avec l’obtention de prix Nobel qui témoignent de la richesse universitaire et de recherche dans notre région. Pour notre nécessaire bilinguisme, pour les auteurs ayant un rayonnement dans le monde germanophone, la plupart sont issus de la génération vieillissante. Il ne suffit pas d’appeler au bilinguisme, nos slogans doivent se transformer en actes et permettre à la jeune génération de s’épanouir dans la langue du voisin. Sans cela, comment notre littérature alsacienne séculaire pourra-t-elle se transmettre aux futures générations ? Quelques initiatives existent, trop isolées, l’action devrait être commune aux penseurs, écrivains, scientifiques et décideurs. »
Une question le turlupine depuis quelques années : « Combien d’Alsaciens ou Alsaciennes sont employés comme interprètes dans les instances européennes à Strasbourg ? »
« Cette réforme du territoire est un absurdité »
Que pense-t-il de la grande région ? « Cette réforme du territoire est une absurdité ! dit-il. Une réelle vision d’avenir aurait dû débuter par une réflexion sur des eurorégions, au sein de l’Union Européenne et les territoires concernés dans des pays ayant une frontière commune. J’ai l’impression que malgré les accords de Schengen, les frontières restent encore présentes dans nombre de têtes. »
Et que lui inspire cette Alsace qui a surtout voté à droite et à l’extrême droite aux dernières départementale ? : « Le constat est que l’Alsace vote traditionnellement à droite. Où sont passés le centrisme alsacien et la démocratie chrétienne ? Les manifestations de l’automne dernier laissaient espérer que nos élus pourraient construire, ensemble, un véritable projet d’avenir pour notre région, imparable en face de décideurs trop technocrates. Mais nos élus sont trop inféodés à leurs partis et semblent n’avoir comme seul horizon leur réélection. Quelques voix différentes se font entendre mais sont noyées dans la masse. La politique alsacienne donne l’impression d’être une couverture que chacun tire à soi, au point de la déchirer, permettant ainsi à l’extrême droite de s’installer par un vote qui de protestation se transforme en vote d’adhésion. L’horreur ! Je ne peux comprendre que mes concitoyens alsaciens, dont les parents et grands-parents ont tant souffert de l’extrémisme nazi pendant la Seconde Guerre mondiale, puissent adhérer aux discours de l’extrême droite. »
Unser Land : il faut transformer l’essai
Comment Claude Diringer analyse-t-il alors les scores significatifs du mouvement autonomiste alsacien Unser Land ? « Le résultat des dernières départementales est un succès pour eux, répond-il. Des électeurs espérant une pratique différente de la chose politique ont pu porter leurs suffrages sur eux. Maintenant, il faut transformer l’essai. Ce sera difficile en raison de la disparité des groupes qui ont réussi à se fédérer pour ces élections départementales. Les prochaines élections régionales seront le test qui permettra, ou non, la pérennisation du mouvement. »
Que faut-il alors faire pour faire vivre l’Alsace et sa culture ? « Que toutes les associations littéraires et culturelles puissent se rencontrer sur un projet commun de développement harmonieux dans notre région. Que nos instances culturelles comprennent qu’une réflexion sur l’expression artistique et littéraire est intimement liée à une approche populaire. Un effort est à effectuer dans une approche pédagogique de l’art pour le plus grand nombre, pour permettre ainsi qu’un public plus nombreux ait envie de visiter une exposition, de pousser la porte d’une galerie d’art ou d’une librairie… »
« Fessenheim : il faut accepter qu’elle n’est pas éternelle »
Pour Claude Diringer, « la centrale nucléaire de Fessenheim reste cette épée de Damoclès pendue sur nos têtes » : « Il faut accepter qu’elle n’est pas éternelle et qu’il faudra la fermer dans quelques années. C’est aujourd’hui qu’il faut commencer à préparer sa fermeture par une réflexion sur son futur démantèlement et des projets économiques pour le bassin de vie où elle est située. Une transition sereine est possible avec des hommes de bonne volonté. Si nos décideurs réfléchissent dès à présent à son futur démantèlement, la France pourra devenir la référence mondiale pour une échéance qui touchera de nombreux pays dans les prochaines années. Il est important que ces sites ne se transforment pas en d’innommables friches. »
Le poète porte aussi son regard sur l’Europe : « Un grand signe pour enrayer l’euroscepticisme serait d’aligner le prix du timbre, celui du carburant et d’autres produits de consommation courante. La mise en place d’un salaire minimum garanti décent pour de mêmes professions, dans toute l’Union Européenne, (avant d’y réfléchir pour tous les pays du monde), éviterait la tentation migratoire ou ces délocalisations qui font tant de mal à notre économie. »
Et parce que le présent et l’avenir se nourrissent du passé, Claude Diringer finit sur un vœu personnel : « Je souhaite la mise en place d’un recensement de toutes les tombes, dans les cimetières de nos villes et villages, de personnalités, écrivains, poètes, artistes, scientifiques, et autres qui ont œuvré pour le rayonnement de notre chère Alsace. Une initiative qui évitera l’oubli de ces personnalités et l’abandon de leurs sépultures. » C’est vrai que le Cercle Nathan Katz, dont il est le secrétaire, a déjà sauvé celle de Nathan Katz à Mulhouse.
Jean-Marie Stoerkel