AREVA:
4,9 milliards de pertes en 2014 pour le «fleuron historique» de l’industrie nucléaire française et 2 milliards en 2015.
Le cauchemar du chantier de l’EPR, construit pour l’électricien finlandais TVO sur le site d’Olkiluoto, se poursuit: il devrait coûter de fait de 7 à 8 milliards pour 3 milliards de facturation et devrait être livré en 2018, soit 9 ans après la date prévue… si tout va bien.
L’EPR de Flamanville suit le même chemin
Areva doit mener des essais de qualification afin de démontrer que la cuve de l’EPR de Flamanville est fiable après constat de la présence de microfissures dans l’acier du couvercle et du fond de la cuve.
Des organisations françaises hostiles à l’atome ont annoncé ce 3 mars le dépôt de recours devant le Conseil d’Etat en vue de l’annulation d’un arrêté relatif aux équipements sous pression nucléaire qui, selon elles, n’a comme seul objectif que d’accorder un délai supplémentaire de trois ans pour permettre à Areva de se mettre en conformité avec la réglementation qui s’applique à ces équipements depuis 2005.
Le président des l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) vient de déclarer qu’avant la fin de l’année Areva devrait démontrer la fiabilité de la cuve de l’EPR ou «la changer» – ce qui est techniquement au minimum très complexe, la cuve étant au cœur du réacteur.
La conjonction du rachat par Areva de la société canadienne UraMin en 2007 à 10 fois le prix des titres valorisés un an auparavant et des actifs dépréciés à 1,5 milliards d’euros en 2011 a incité le parquet financier à ouvrir une enquête en février 2014. Un juge d’instruction a été désigné pour une affaire où conflits d’intérêts, paradis fiscaux et disparition de quelques milliards sont évoqués.
Le carnet de commande EPR est depuis longtemps vide de toute commande.
En décembre 2009 la filière française a perdu la compétition pour la construction de deux centrales à Abu Dhabi et les entreprises françaises n’ont conquis que 2% du marché international total des réacteurs.
Après Tchernobyl et Fukushima la quasi totalité des projets de réacteurs à travers le monde est gelé.
Enfin personne ne semble connaître la faisabilité réelle d’une version « light » de l’EPR, parfois évoquée, ni même son acceptabilité par l’Autorité de sécurité nucléaire (ASN).
A Cadarache, le réacteur de recherche devait entrer en service en 2014. Il accuse un retard considérable et son budget initial de 500 millions a déjà doublé.
L’activité de retraitement du combustible usagé gérée par Areva dans son usine de la Hague n’intéresse personne hors de nos frontières.
Areva, c’est 47.000 salariés, 30.000 en France dont 2700 emplois devraient être supprimés et plus de 400 dans la Drôme sont déjà concernés par un plan de suppression d’emplois officialisé.
Bure
Le coût du futur stockage géologique des déchets nucléaires à haute activité et à longue vie dans le sous sol de la commune de Bure – outre la contestation du projet dans sa conception même par les opposants à ce projet (CIGEO) – vient de faire l’objet d’un recours devant le Conseil d’Etat par cinq associations et ONG.
L’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs avait évalué le prix de la construction et de l’exploitation, pour une durée de cent quarante ans, à 34,4 milliards d’euros. Les producteurs de déchets (Areva et EDF) l’avaient estimé à 20 milliards. Mme Segolène Royal l’a évalué à 25 milliards.
Pour les opposants cela revient à faire payer aux générations futures des sommes non provisionnées.
E.D.F
Symbole phare des entreprises du CAC 40 depuis sa cotation en bourse, le titre a perdu plus de 40% en 2015 et depuis le 21 décembre dernier il ne figure plus dans cet indice boursier parisien de référence.
Les difficultés d’Areva – dont la branche réacteurs a été rachetée récemment par EDF– l’envolée des coûts des réacteurs, les retards précités des EPR en Finlande, à Flamanville et les travaux préliminaires arrêtés de deux réactereurs au Royaume-Uni font fuir les investisseurs.
EDF est confrontée en même temps aux contraintes du «grand carénage» qui vise à rafistoler tous les réacteurs français en vue de repousser leur durée de vie à au moins 50 ou 60 ans, pour une durée d’exploitation initialement prévue de 40 ans.
Ce grand carénage des 58 réacteurs en France est estimé à 55 milliards d’euros et près du double d’ici 2030 si on y ajoute le renouvellement du parc.
Rappelons que la dette d’EDF est déjà très lourde et qu’elle a doublé en dix ans…et l’ouverture du marché de l’énergie à la concurrence change sensiblement la donne pour l’ancien détenteur du monopole de l’électricité, malgré des résultats financiers encore confortables en 2015.
Pour l’entreprise les prix de vente deviennent inférieurs à ses coûts de production; le financement du projet de réacteurs nucléaires en Angleterre (projet Hinkley Point) aggrave ses fragilités financières et risque de la priver des moyens nécessaires au renouvellement du parc nucléaire.
Les coûts des mises à niveau de pour les centrales en France (comme partout dans le monde) menacent de faire exploser la facture de production de l’électricité nucléaire.
On estime la majoration nécessaire du prix du kilowatt heure à 25% pour faire face à ces déficits financiers.
EDF a annoncé le 21 janvier un plan de réduction de 5% de ses effectifs (soit 4200 postes pour la France seule et 8000 dans le monde) pour un effectif total de 160 000.
Commission d’enquête parlementaire:
Denis Baupin, vice-président (EELV) de l’Assemblée nationale, a déclaré devant cette formation: «Si l’Etat veut éviter à EDF le marasme dans lequel s’enfonce Areva, il doit faire des choix clairs et donner pour feuille de route à l’électricien [EDF] le triptyque: maîtrise de l’énergie, énergies renouvelables, décentralisation et réseaux intelligents».
Entendu il y a quelques mois par cette même commission l’ancien président du directoire d’Areva, Luc Oursel, a confirmé l’implosion du modèle énergétique nucléaire français: demandes toujours plus fortes de sécurité de la part des populations, coûts non maîtrisés des installations, compétitivité disparue face à des énergies renouvelables aux coûts tendanciellement décroissants se conjuguent.
Le rapport de la Cour des Comptes pointe l’inflation des coûts d’exploitation des centrales françaises: plus 21% en 3 ans, largement dus aux phénomènes de vieillissement des installations et aux difficultés de maintenance induites.
L’Autorité de sûreté des installations nucléaires (ASN) rappelle régulièrement, avec insistance, qu’il n’y a pas de garanties que la durée de vie des réacteurs puisse être prolongée.
Les «micro» fissures constatées sur des cuves des réacteurs qui semblent quasi impossibles à changer et leur dégradation continue sous le bombardement neutronique sont un des facteurs d’aggravation majeure; nos voisins belges viennent de découvrir que leurs réacteur comportent des milliers de ces «micro» fissures…. dont certaines de près de 20cms.
Ségolène Royal, ministre de l’environnement et de l’énergie vient de se déclarer ce 28 février «prête à donner le feu vert au prolongement de vie des centrales nucléaires françaises, sous réserve de l’avis de l’Autorité de sûreté nucléaire».
Rappelons que la ministre n’a absolument aucune compétence pour décider des conditions d’exploitation ou pas des réacteurs nucléaires; l’ASN est une autorité indépendante et, comme la femme de César, ne saurait être soupçonnée.…
La loi de transition énergétique promulguée en août 2015 prévoit de baisser de 75 % à 50% d’ici à 2025 la part de l’électricité d’origine nucléaire en développant et renouvelant en même temps les filières de l’énergie renouvelable.
Mais Madame la ministre n’a pas mentionné des fermetures de réacteurs si la production du parc hexagonal électronucléaire est plafonnée à son niveau actuel.
La Cour des Comptes, dans son rapport, de février, estimait que la part de l’atome dans le mix électrique devrait se traduire par « la fermeture de 17 à 20 réacteurs».
Les ONG ont des estimations d’arrêt de 5 à 8 réacteurs d’ici 2018 et de 19 à 24 supplémentaires d’ici 2023 pour se mettre en ligne avec la loi sur la transition énergétique.
Le PDG de l’entreprise publique EDF a un avis différent: arrêt de seulement 2 réacteurs à moyen terme – par exemple ceux de Fessenheim – pour compenser la mise en service de l’EPR de Flamanville attendue donc en fin 2018.
Les coûts et conditions de ces options différentes auraient des conséquences très différentes.
Pays frontaliers de centrales françaises
La ville et le canton de Genève viennent d’annoncer le 2 mars le dépôt d’une plainte contre X «pour mise en danger délibérée de la vie d’autrui et pollution des eaux» visant la centrale nucléaire du Bugey dans l’Ain (30 kms de Lyon et 70 de Genève).
L’Allemagne et le Luxembourg s’inquiètent publiquement de la sûreté de la centrale de Cattenom. Le leader des Verts au Parlement allemand a demandé au gouvernement fédéral d’ouvrir des négociations avec la France en vue de la fermeture de la centrale pour «danger imminent».
Le dernier rapport de l’Autorité de sûreté nucléaire française (ASN) pointait des déficits de performance en matière de sûreté nucléaire par rapport au niveau général EDF et soulignait «plusieurs écarts aux référentiels d’exploitation ainsi qu’une maîtrise imparfaite des installations » pour Cattenom, pour conclure que le «site doit retrouver davantage de rigueur dans l’exploitation des installations».
L’incident survenu à Fessenheim en 2014 et l’appréciation de son degré exact de gravité défraient l’actualité du jour; il menace de tourner à l’incident diplomatique avec l’Allemagne qui rappelle de plus en plus fortement la nécessité de fermer cette centrale, incarnation du combat des anti nucléaires des deux côtés du Rhin depuis des années.
Des questions, une exigence:
La France est le pays le plus nucléarisé du monde, le seul à générer plus de la moitié de son électricité à partir de l’atome.
Aujourd’hui la sûreté du nucléaire français est en question mais ce nucléaire est devenu également dangereux économiquement pour le pays tout entier.
Peut-on laisser Areva entraîner dans le gouffre le fleuron industriel qu’est EDF?
Face à l’offre de services énergétiques combinant maîtrise de l’énergie, énergies renouvelables, réseaux intelligents, faut- il en rester à la seule proposition d’EPR dont aucun modèle ne fonctionne dans le monde?
L’Etat ne doit- il pas jouer, de toute urgence, le rôle de stratège dans ses entreprises à capitaux publics?
EDF ne pourra pas mener de front la transition énergétique, la remise à niveau de ses centrales, la construction d’un nouveau parc, le sauvetage d’Areva. Le coût faramineux du carénage des centrales nucléaires ne devrait- il pas être investi dans des moyens de production électrique alternatifs ?
Le déclin de la filière nucléaire est désormais visible au niveau planétaire: le nucléaire pesait 18% de l’électricité mondiale, il n’en représente plus que 11%.
En 2017 les renouvelables électriques produiront dans le monde deux fois plus d’électricité que le nucléaire.
L’impasse est devant nous et le marché international se rétracte depuis 20 ans.
Pour redéfinir une politique énergétique il faut rappeler les atouts hexagonaux considérables pointés par Denis Baupin devant l’Assemblée nationale il y a déjà un an: «formidable potentiel en énergies renouvelables (solaire, trois régimes de vent, des énergies marines, hydrauliques, biomasse, géothermie) en métropole et dans ses îles».
Et pour emprunter encore au plaidoyer de Denis Baupin «le parc vieillissant, un coût du nucléaire neuf prohibitif»,« la nécessaire comparaison des filières de production et la vérité des prix» pour une France «qui ne peut rater la révolution énergétique mondiale»…«si l’Etat veut éviter à EDF le marasme dans lequel s’enfonce Areva, il doit lui donner pour feuille de route le triptyque maîtrise de l’énergie, énergies renouvelables, décentralisation et réseaux intelligents».
Pour la Fédération de l’Energie et des Mines CGT le projet Hinkley Point d’ EPR pour les Britanniques est une fuite en avant qui fragilise la filière nucléaire et qui divise dans l’entreprise publique jusqu’à la direction.
Sa porte – parole, Marie – Claire Cailletaud, déclare que sa Fédération exige «un bilan de la déréglementation qui est en train de nous envoyer [l’entreprise] dans le mur».
Cette Fédération continue par ailleurs de dénoncer la loi de transition énergétique qui ne s’attaquerait pas aux émissions de gaz de serre car centrée sur la baisse de la part du nucléaire et sur l’ouverture à la concurrence des barrages hydroélectriques, secteurs non producteurs de CO2 et qui, en outre, privilégie une « libéralisation désastreuse ».
Mais la CGT n’est pas la seule à dénoncer l’aventure britannique : Le directeur financier d’EDF, Thomas Piquemal, a présenté sa démission au PDG du groupe en raison d’un désaccord sur la faisabilité du projet controversé de construction de deux réacteurs à Hinkley Point
L’heure est à des choix cruciaux:
Naufrage industriel d’Areva, échec du modèle global nucléaire français, réponses aux défis énergétiques avec une offre industrielle désormais inadaptée au marché mondial en nucléaire et très en retard en alternatif, opacité cultivée sur les vrais coûts du nucléaire, dangerosité accrue des installations du fait de leur vieillissement, dangerosité du recours à la sous – traitance et à une main d’œuvre d’appoint pour des installations très hautement spécialisées, défis financiers majeurs, imposent désormais des réponses urgentes et une vraie vision pour le moyen et le long terme
L’avenir énergétique ne saurait dépendre de la désinformation, des aveuglements idéologiques, du poids du lobby du nucléaire, des errements stratégiques imposés par le politique à son principal énergéticien, EDF, chargé en outre du désastre Areva, des méfaits d’une déréglementation libérale, de l’absence de priorités assumées, bref d’une véritable politique, en dépit des options retenues par la loi sur la transition énergétique.
Le nucléaire – roi à la française appartient à hier.
Désormais dans la zone des icebergs dérivants la politique énergétique française ne doit pas mettre le cap sur la banquise pour les éviter.
Entre ce monde et celui de demain il faut choisir le cap de la transition énergétique…et vite.
Christian Rubechi