La cellule investigation de Radio France a récemment publié une enquête édifiante sur les rapports de connivence, et de complaisance, entre un clan familial qui gère une infrastructure sportive de prestige, et la communauté d’agglomération mulhousienne (M2A), qui la lui concède.

Le travail des journalistes lève ainsi le voile sur les collectivités locales qui dépensent des sommes considérables pour soutenir l’activité… et le train de vie de la famille Horter, véritable potentat à la direction du club depuis sa création en 1962.

Le père, Laurent, président inamovible jusqu’en 2017 où il est remplacé par son fils Lionel. L’épouse du fondateur et son autre fils sont également présents dans des activités qui s’exercent jusqu’à la Fédération française de Natation… Des intouchables, donc…

Le 9 juin 2020, selon Radio France, au Tribunal judiciaire de Mulhouse, un illustre nageur, Yannick Agnel, attaque le MON qui ne lui aurait pas payé les émoluments qui lui revenaient. Étrangement, cela n’a pas fait une ligne dans le Journal Unique du Crédit Mutuel (aussi appelé L’Alsace-DNA).

Un mois plus tard, le 7 juillet, le tribunal condamne le MON à payer 60 000 euros au champion olympique de Londres « qui n’a pas été payé de sa dernière année de contrat au club. »

Cette discrétion du Journal Unique démontre tout l’embarras que suscite cette affaire sur le plan politique mulhousien : le club du Mulhouse Olympique Natation, et sa familiale présidence, a toujours entretenu des rapports assez ambigus avec les politiques en s’engageant clairement à droite.

Le quotidien unique est pourtant obligé de parler des « affaires » quand il apprend que Radio France va publier le résultat d’une enquête de vrai journaliste. Pourquoi le journal du Crédit Mutuel n’en a pas parlé avant (ou si peu) …

A la parution de l’enquête, la rédaction dépêche deux pointures, qui sont bien obligées de parler du contenu des révélations de Radio France, déjà connues grâce au rapport de la Cour des comptes dont nous publions et commentons les points soulevés en 2017.

Mais aussi par la circulation de lettres anonymes apparemment bien documentées. Dont L’Alterpresse68 n’a hélas jamais été destinataire : nous aurions volontiers enquêté à partir de sources aussi sûres…

La ligne éditoriale de L’Alsace-DNA est claire : tout cela serait une machination politique, car l’actuel président du MON s’est engagé comme second sur la liste de Lara Million (LaREM), avec l’appui d’Emmanuel Macron dont la ministre du sport Roxana Maracineanu, ancienne nageuse du MON, et intime de la famille Horter, préside le comité de soutien. Selon nos deux plumes du journal Unique, le ressentiment d’une autre tête de liste, qui ne digère toujours pas le fait de ne pas y avoir été élu président (suivez mon regard vers la région Grand Est…) serait le motif de tout ce tohu-bohu.

Nous connaissons assez bien le marigot de la politique mulhousienne pour ne pas être naïfs sur les coups bas susceptibles d’agrémenter une campagne électorale. Mais ce n’est pas notre approche de l’affaire.

Mettre cela sur le compte d’une machination politique évite surtout de parler du fond… qui certes embarrasse la famille Horter, et dont la justice aura désormais à dérouler l’écheveau, et connaitre l’ensemble des tenants et aboutissants.

Tout occupés, dans l’un de nos articles publiés en octobre 2018, à traiter du sort des piscines grand public de l’agglomération mulhousienne (en l’occurrence les projets de fermeture en cours), dont notamment l’illustre établissement Pierre et Marie Curie, mais aussi les Jonquilles, et la piscine de Ungersheim, notre petite équipe avait omis de porter la focale sur le prestigieux « centre d’entraînement et de formation à la natation », objet de l’enquête journalistique de la cellule de Radio France.

En évoquant ces fermetures, M. Bux (Vice-président délégué aux sports de M2A) affirmait alors qu’il suivait les recommandations de la Cour des comptes : on peut constater que celui-ci n’a pas croulé sous les scrupules quand il s’est agi de priver les quartiers populaires de leur piscine ; contrairement à l’immobilisme qu’il affiche à l’égard des affaires du Mulhouse Olympique Natation et de la famille Horter… dont la gestion fut épinglée, elle aussi, par la Cour des comptes !

Une infrastructure censée faire l’admiration nationale, qui suscite surtout l’interrogation des citoyens mulhousiens, amateurs et amatrices de sports nautiques, qui ne peuvent s’acquitter des centaines d’euros demandées pour y accéder.

Le quidam devant alors se contenter de la piscine souvent sursaturée de l’Illberg, qui jouxte le centre d’entrainement.    

Dans notre article sur le projet de fermeture de piscines à M2A, nous ne lui avions consacré que quelques lignes, pour rappeler que l’installation élitaire avait couté la bagatelle de 5 millions d’euros, pour le bénéfice de quelque 2000 membres du club « Mulhouse Olympic natation ».

On verra plus bas que la construction de l’infrastructure, justifiée par le souci de doter la ville d’un équipement sportif de très haut niveau, ne sert effectivement que pour un tiers de temps à cette mission !

On dit souvent que le diable se cache dans les détails. En l’occurrence, il se noierait plutôt dans un rapport de 80 pages, que la Cour régionale des comptes avait publié le 23 décembre 2017 (en guise de cadeau de Noël empoisonné pour le personnel politique communautaire ?), à la gestion des piscines et centres aquatiques publics de Mulhouse agglomération.

Mais ce sont surtout 2 pages parmi les 80 qui attirent l’attention du lecteur. Les magistrats financiers y radiographiaient en effet l’installation, et y relevaient alors de multiples anomalies.

À commencer par des financements croisés invraisemblables : le MON abritant en fait 2 structures dissociées. D’abord le MON, structure associative de droit local créée en 1962, et le “MON club“, société anonyme à responsabilité limitée fondée en 2004 par Lionel Horter, et dont la gérante est depuis 2015 Marjorie Horter, sa compagne.

A noter qu’une antenne de restauration a également été créée en 2012 par la même société commerciale en tant qu’établissement secondaire. Elle est évoquée et identifiée dans l’enquête de Radio France comme étant le restaurant du centre nautique. Son doux nom commercial laisse songeur: « La plage ». Avant les pavés ?

Pour l’anecdote, celle-ci avait installé son siège social au 11 rue Élisabeth à Mulhouse, entre 2004 à 2013, dont on apprend, au travers d’un article de l’Alsace consacré à la sortie de l’annuaire historique de Mulhouse 2020, qu’elle était sans doute la rue la plus hautement gentrifiée de la ville. 

C’est ce que les magistrats de la Cour des comptes appellent une « double mise à disposition à titre privatif par voie de convention ».

Autrement dit, M2A, gestionnaire public de l’infrastructure, a choisi de la confier doublement au « clan » Horter, par une série de contrats de mise à disposition, et cela au moins jusque l’année 2027 pour l’association MON, et 2028 pour la SARL « MON club », moyennant une redevance annuelle plus une part variable.

Le montage et les flux financiers entre les deux structures entre lesquelles transitent des subventions annuelles à hauteur de plus de 200 000 euros pour l’association MON, des rétrocessions de la part de celle-ci vers « Mon club », et des reversements de la part de ce dernier vers l’association, relèvent de l’usine à gaz grand volume, et contribue sans doute à l’opacification du budget. Sans compter les avantages en nature dont elles bénéficient, à travers notamment la mise à disposition d’un éducateur sportif de la part de M2A…

Chose étonnante pour une infrastructure publique vouée au sport de haut niveau : deux tiers des créneaux horaires du centre sont en fait réservés aux clients de la société privée gérée par la famille Horter (66% selon la Cour des comptes) ! Celle-ci étant vouée à la natation loisir et à la santé. En témoigne les activités mentionnées à son calendrier: aquajogging, aquapalmes, aquacycling, aquarunning…

La chambre ira jusqu’à écrire que « la valorisation de la mise à disposition du centre d’entraînement «est en cours d’évaluation par m2A»alors que l’association en bénéficie depuis plus de cinq ans ».

Autrement dit, en 2017, les magistrats financiers n’avaient aucun moyen de connaitre le cout réel de la mise à disposition d’un centre… délégué depuis déjà 5 années aux Horter !

La conclusion pour les magistrats en est évidente : « La chambre observe que l’accompagnement financier du MON est peu lisible et que sa régularité budgétaire et financière gagnerait à être consolidée. Il est actuellement le fruit d’une multitude de délibérations communautaires, de conventions et d’avenants passés avec l’association MON comme avec la SARL MON Club ».

Mis devant le fait accompli (déjà !) en 2017 : « le président de m2A précise qu’il a mis en œuvre un dialogue de gestion renforcé avec le MON et qu’en juin 2017, le club a présenté sa nouvelle gouvernance, ainsi que les mesures prises pour réduire son déficit et un projet sportif renouvelé ».

Et il y avait effectivement de quoi mettre en œuvre un « dialogue renforcé » depuis lors, tant le suivi des comptes du MON par M2A interroge au plus haut point, y compris au niveau judiciaire.

Ainsi, la Cour observait que les recettes et les dépenses communiquées à m2A par le  MON, diffèrent au moins partiellement des comptes annuels de l’association certifiés par un  commissaire aux comptes.

Par exemple, sur les comptes annuels de 2015, les charges de l’association s’élèvent à 1 213 212 € (très proches des données déclarées officiellement à M2A), mais ses produits s’élevaient à 1 209 141  € (soit un écart de –230 000 € avec les données versées à M2A).

De la même façon, sur les comptes annuels 2014, les charges de l’association s’élèvent à 1 187 302€ (soit un écart de -46 000 € avec les données versées à M2A) et ses produits à 1 183 404€ (soit un écart de -366 000€ avec les données officielles).

Pourquoi ces divergences ? Sont-elles fondées ? Et si oui, que sont devenues ces sommes apparemment évaporées des lignes comptables ?

Mais c’est surtout la lâcheté de l’exécutif de M2A qui est de loin la plus éclatante. Avertis très tôt par la Cour des comptes, elle a choisi ne pas mettre les choses au clair avec la famille Horter.

Lâcheté surtout, car quand il s’est agi de priver des milliers de familles populaires d’une piscine, le président Jordan et son vice-président Bux n’ont pas hésité à trancher. Pourquoi donc cette mansuétude à l’égard du MON ?

Dans un entretien publié par le Journal Unique en date du 6 octobre, et titré « M2A réitère son soutien au MON » (sic), Fabian Jordan et Daniel Bux tentent de s’expliquer. Jordan : « Jamais la justice ne nous a avertis de cette enquête. Pas plus que je n’ai eu connaissance des courriers anonymes qui ont, semble-t-il, circulé en ville. » Il était bien le seul…

L’intrépide Daniel Bux en rajoute : « On essaie de le [le MON] soutenir au maximum parce que, sinon, on risque de se retrouver avec une coquille vide à la place de son centre d’entraînement. Une coquille vide qui coûterait plus cher qu’en état de fonctionnement… »

Il est vrai que ce centre a été intégralement financé par des fonds publics à hauteur de 5.478.895 € HT et mis à disposition exclusive du club en 2011 moyennant une redevance de 140.000 € par an… Mais le MON reçoit des subventions publiques pour son fonctionnement. En 2016, la somme de 260.000 € lui était versée…

L’exécutif de M2A se doutait-il d’irrégularités dans la situation financière du MON ?

Là aussi Fabian Jordan tombe des nues (si, si, on vous assure) : « Jamais, (…) sinon nous aurions réagi. Nous avons connaissance de difficultés de gestion, mais aucune suspicion ». Pourtant il se dit prêt à revoir certaines modalités avec une condition : « il faut pour cela que le club règle les arriérés de sa dette due à M2A. Un plan de redressement est d’ailleurs en place depuis ce printemps. »

Cette apparente méconnaissance est préoccupante de la part de celui qui dirige M2A, surtout au vu des conclusions du rapport de la Cour des comptes mentionnées plus haut.

Mais c’est par d’autres déclarations que l’on commence à voir certains dessous de l’affaire, lesquels illustrent l’extraordinaire sagacité de l’exécutif communautaire.

Lors de l’enquête de Radio France, le journaliste Sylvain Tronchet, les interroge encore :

Avez-vous participé aux Assemblées générales de l’association MON ? Daniel Bux, le vice-président de Mulhouse Alsace Agglomération (M2A), principal financeur du club, admet qu’il n’a jamais été convié par le MON à y participer, alors que tous les autres grands clubs sportifs mulhousiens l’invitent tous les ans !

Et apparemment, cela ne chagrine pas notre vice-président ! Il s’agit pourtant d’un club qui coûte à tout le moins 270.000 euros au budget communautaire et qui, selon Fabian Jordan, ne paye pas ce qu’il doit à M2A…

Si ce n’est de la désinvolture, cela lui ressemble beaucoup. Quoi qu’il en soit, les contribuables de l’agglomération apprécieront comme il se doit…

Venons-en à une révélation bien étrange publiée par Sylvain Tronchet : un accord entre le MON et l’agglomération prévoit que le club paiera tous les ans à M2A une redevance basée sur son chiffre d’affaires à laquelle il faut ajouter les frais d’eau, d’électricité et de chauffage du centre d’entrainement.

Ainsi, le MON aurait dû payer aux alentours de 252.000 € en 2019 selon les estimations de la cellule d’investigation de Radio France. Mais la famille Horter ne réglait que 150.000 € chaque année, une somme forfaitaire en fait. Avec qui a-t-elle négocié ce prix d’ami ?

Ce sont 500.000 € qui échappent au budget de l’agglo, estimation nullement contestée par les responsables.

Comment une telle entorse aux textes adoptés par les élus a-t-elle pu intervenir ? Nous citons le journaliste de France : « Daniel Bux, le vice-président de l’agglomération chargé des sports, en charge du dossier depuis près de 10 ans nous livre une réponse surprenante : “Je ne sais pas ce qui a pu conduire à cela. Mais à chaque fois qu’il y avait un problème, les Horter ne venaient pas chez moi, ils allaient frapper à la porte du dessus.” »

En langage commun, on appelle cela une « potiche ».

Et qui est donc derrière la porte « du dessus » ? Jean Marie Bockel, qui ne se souvient plus “des détails“.

Comme le précise Sylvain Tronchet : « On ne saura donc pas pourquoi. « Ce que je peux vous dire, explique-t-il, c’est que les Horter frappaient régulièrement à ma porte pour faire état de difficultés, d’insuffisance de financement… Je me souviens de demandes permanentes de leur part ». 

Il ne manquait que lui pour achever le tableau en fanfare ! De ce fait, nous ne résistons pas au plaisir de publier un extrait de l’article de Radio France :

« Alors que nous écrivions cet article, nous avons reçu un coup de téléphone de Bruno Fuchs, le député (Modem) du Haut-Rhin, que nous n’avions pourtant pas sollicité. “Je sais que vous enquêtez sur le MON, nous explique cet élu qui a soutenu la liste Million-Horter aux municipales. Il faut que vous sachiez qu’on n’est pas dans un dossier purement sportif ou de financement public. Depuis que Franck Horter s’est lancé en politique, les choses se sont compliquées pour lui”, tout en prenant bien soin de nous dire qu’il ne “voulait pas interférer” dans notre travail journalistique.

Quand nous demandons à Bruno Fuchs si c’est Franck Horter qui lui a donné notre numéro de téléphone, il marque un silence, puis lâche : “Oui, effectivement, je l’ai rencontré. Mais il ne m’a pas demandé de vous appeler !” »

Mais tout cela va changer, foi de Bux…

Michel Muller & Mario DI STEFANO

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