Stuttgart était marquée « DGB » en ce samedi 27 janvier 2018. S’y déroulait en effet, la « Bezirkskonferenz du DGB du Bade-Württemberg », en somme le congrès, au niveau du Land, de la puissante centrale syndicale allemande. Fort de 812.000 membres dans le Bade-Württemberg (en progression constante depuis 2011 où il comptait 809.000 adhérents, le DGB compte en 2017, près de 6 millions d’adhérents (5.995.437 exactement) dont les deux plus grosses fédérations sont IG Metall (2.262.661) et Verdi (1.987.336). On estime que toutes les organisations françaises réunies comptent moins de 2 millions d’adhérents.

Une vraie force s’est donc expri­mée dans la capi­tale du Bade-Würt­tem­berg avec des débats domi­nés par la situa­tion dans la métal­lur­gie dont les négo­cia­tions tari­faires avaient lieu dans la nuit pré­cé­dent le congrès.

Pen­dant que les congres­sistes atten­daient le compte ren­du des négo­cia­tions noc­turnes entre Gesamt­me­tall et IG Metall, ils eurent droit à l’intervention de la vice-pré­si­dente Elke Han­nack dans lequel elle ne déve­lop­pa qu’un seul thème : le sou­tien aux négo­cia­tions entre CDU-CSU et SPD pour for­mer une nou­velle grande coa­li­tion. Qua­li­fiant le « Son­die­rung­spa­pier », pre­mière mou­ture d’un accord de gou­ver­ne­ment entre les par­tis, de « verre à moi­tié plein », elle prit réso­lu­ment le contre­pied d’une grande par­tie des membres du SPD oppo­sés à la recon­duc­tion d’une coalition.

Membre de la CDU, la syn­di­ca­liste du DGB n’a pas vrai­ment convain­cu la salle : applau­dis­se­ments tièdes et remarques d’un délé­gué : « Nous ne t’avons pas invi­té de Ber­lin pour nous par­ler de ce sujet ». Inci­dent clos… et Mme Elke Han­nack reprit son avion pour ren­trer sans attendre la fin du congrès.

Mar­tin Kurz­mann : « Nous vou­lons un verre plein » !

Le pré­sident du DGB dans le Land Bade-Würt­tem­berg (qui fut réélu triom­pha­le­ment lors de ce congrès) Mar­tin Kurz­mann, a ouvert les débats avec une inter­ven­tion très offen­sive. Sou­te­nant les reven­di­ca­tions d’IG Metall de 6% d’augmentation des salaires (« Nor­mal, les caisses sont pleines… »), il répon­dit indi­rec­te­ment à sa vice-pré­si­dente natio­nale en consi­dé­rant qu’il ne pou­vait se conten­ter d’un verre à moi­tié plein, « Nous vou­lons un verre plein ! … Car nous défen­dons les acquits comme nous vou­lons de nou­velles conquêtes sociales ». Il se féli­ci­ta de la pro­gres­sion de 2,5% du PIB dans le BW, « grâce au tra­vailleurs et fonctionnaires ».

Mais il ne man­qua pas de dénon­cer la situa­tion des sala­riés qui se dégradent aus­si en Alle­magne : « La crois­sance ne béné­fi­cie qu’aux mana­gers…  Pour 40% des sala­riés, la situa­tion s’est même for­te­ment dégra­dée. Leur salaire brut réel est plus bas qu’il y a 20 ans… Uni­que­ment un peu plus de la moi­tié des sala­riés sont cou­verts par une conven­tion col­lec­tive. (Ndlr : en Alle­magne, contrai­re­ment à la France, les sala­riés ne sont pas auto­ma­ti­que­ment cou­verts par la conven­tion col­lec­tive. Pour cela, il faut que l’employeur adhère à l’organisation patro­nale du sec­teur)…  Le tra­vail à temps par­tiel s’est déve­lop­pé, sur­tout pour les femmes qui le subissent plu­tôt que de le choi­sir… Beau­coup d’entre elles ont deux ou trois emplois pour vivre… Le tra­vail pré­caire aug­mente éga­le­ment dans le si pros­père Bade-Würt­tem­berg… A pré­sent, près de deux mil­lions de sala­riés du Land sont sou­mis à des contrats aty­piques : temps par­tiel, tra­vail inté­ri­maire ou occasionnel…

Mar­tin Kurz­mann, comme de nom­breux ora­teurs, ont fait des contrats de tra­vail à durée déter­mi­née suc­ces­sifs sans qu’ils soient subor­don­nés à l’exis­tence d’une rai­son objec­tive (sach­grund­lo­sen Befris­tung von Arbeits­ver­trä­gen) le thème prin­ci­pal de la confé­rence. Exi­geant l’abandon de cette mesure (que M. Macron veut géné­ra­li­ser en France par ses ordon­nances), le DGB du BW retient quatre axes reven­di­ca­tifs pour les quatre années à venir : « Un tra­vail meilleur »,  « une meilleure for­ma­tion », « une vie meilleure » et un « DGB fort ». Les pré­oc­cu­pa­tions prin­ci­pales pour l’avenir sont des emplois stables, une cou­ver­ture conven­tion­nelle plus impor­tante, plus de coges­tion, une for­ma­tion pro­fes­sion­nelle conti­nue pour tous les sala­riés, une éga­li­té des chances au sein du sys­tème de for­ma­tion, des inves­tis­se­ments avec un Etat à la manœuvre ain­si qu’une poli­tique fis­cale et sociale plus équitable.

Conclu­sion de Mar­tin Kurz­mann, ova­tion­né par les deux cents par­ti­ci­pants dans la salle : « Les sala­riés ne doivent pas s’attendre à des cadeaux. Nous devons ensemble lut­ter pour obte­nir des avan­cées sociales ».

Roman Zit­zels­ber­ger (IG Metall) : 300 entre­prises en grève d’avertissement dans le BW !

Milieu de mati­née, Roman Zit­zels­ber­ger, pré­sident de l’IG Metall dans le BW, les traits tirés, vint rendre compte du dérou­le­ment des négo­cia­tions de la nuit. Au petit matin, les patrons ont quit­té la table de négo­cia­tion. Roman refuse de voir cela comme une fin des dis­cus­sions tari­faires mais comme une sus­pen­sion : pour rame­ner les entre­prises à de meilleurs sen­ti­ments, il annonce que le syn­di­cat va appe­ler à des cen­taines de grèves d’avertissement.

On ne sait pas tou­jours, en France,  com­ment se déroulent ces négo­cia­tions chez nos voi­sins. Les accords conven­tion­nels sont redis­cu­tés régu­liè­re­ment, en géné­ral tous les deux ou quatre ans. Mais les négo­cia­tions ne se mènent pas dans tous les Län­der en même temps : cette année, c’est le land du Bade-Würt­tem­berg qui est le pre­mier à entrer en dis­cus­sion. Cela tombe bien pour le syn­di­cat, c’est un des « Land » où se concentrent les plus grands groupes métal­lur­giques, comme les indus­tries auto­mo­biles. Sans que cela soit auto­ma­tique dans les textes, dans les faits il s’avère que le résul­tat des négo­cia­tions dans le BW vont s’imposer peu ou prou à l’échelle fédé­rale. D’où l’importance de ces grèves d’avertissement sou­te­nus par le DGB à l’échelle nationale.

Roman Zit­zels­ber­ger le dit sans ambage : « Ces grèves d’avertissements ont pour but de rame­ner les employeurs à la table de négo­cia­tion. Si la pro­chaine ren­contre se solde par un échec, nous entre­rons dans une lutte totale ». Après avoir ten­té de pour­suivre le syn­di­cat pour « grèves illé­gales », le patro­nat a mesu­ré que cette atti­tude allait le mener dans une impasse. D’où l’accord inter­ve­nu quelques jours après, on peut esti­mer que le suc­cès écla­tant des grèves d’avertissement y est pour quelque chose.

Un DGB du BW ouvert vers les autres

Deux exemples que j’ai décou­verts durant ce congrès : le DGB du Land est très impli­qué dans la poli­tique d’intégration des réfu­giés en par­ti­ci­pant à la LAG Flücht­ling­sar­beit ( Lan­de­sar­beits­ge­mein­schaft soit une Com­mis­sion de tra­vail du Land pour le sou­tien aux réfu­giés). En com­pa­gnie d’associations et de divers mou­ve­ments, cette com­mis­sion aide les réfu­giés à l’intégration par la for­ma­tion géné­rale et professionnelle.

Une autre acti­vi­té inter­na­tio­nale d’envergure : « Les quatre moteurs pour l’Europe ». Avec la région Rhône-Alpes fran­çaises, la Lom­bar­die, la Cata­lu­nya (Cata­logne), le DGB du BW a créé une alliance entre des régions qui n’ont pas de fron­tière com­mune, mais elles sont des centres éco­no­miques impor­tants par­mi les plus aisés d’Europe. L’objectif : faire entrer le social dans la poli­tique euro­péenne par des actions concrètes et des réflexions com­munes sur la fina­li­té de l’Union européenne.

Très actif dans la coopé­ra­tion trans­fron­ta­lière, entre autres dans les Comi­tés syn­di­caux inter­ré­gio­naux. A noter que, pour la Sud Alsace, le DBG de Fri­bourg est très actif dans le Comi­té syn­di­cal inter­ré­gio­nal avec les syn­di­cats suisses et fran­çais, sur­tout sur la situa­tion des tra­vailleurs frontaliers.

Ce congrès a été une occa­sion de véri­fier que le syn­di­ca­lisme alle­mand est très actif et repré­sente une force consi­dé­rable : la réflexion qui tra­verse actuel­le­ment le DGB à pro­pos du « syn­di­ca­lisme 4.0 », en clair com­ment adap­ter le syn­di­ca­lisme peut-il rele­ver le défi des condi­tions sociales pré­caires que veut impo­ser l’économie du numé­rique. Une ques­tion fon­da­men­tale qui ne se pose pas qu’en Alle­magne : mais le reste de l’Europe syn­di­cale se met-elle au dia­pa­son du DGB ?

Michel Mul­ler