Les patrons de la métallurgie en Allemagne ont dû capituler : les grèves d’avertissements lancés fin janvier et début février ont coûté environ 200 millions aux entreprises. De quoi revenir à de meilleurs sentiments et de négocier réellement les revendications d’IG Metall. Ces négociations ont eu lieu en Bade-Württemberg qui est ainsi devenu le land « pilote » : comme de coutume, cet accord va être étendu à l’ensemble du pays. Une victoire importante pour le DGB dans ses temps de disettes pour la plupart des organisations syndicales dans les pays développés.

Le 6 février, après d’âpres dis­cus­sions, un accord a été signé et porte sur les points suivants :

  • Les sala­riés à temps plein pour désor­mais déci­dé de réduire leur temps de tra­vail heb­do­ma­daire à 28 h et reve­nir plus tard, à leur conve­nance, à plein temps.
  • Les sala­riés avec des impé­ra­tifs par­ti­cu­liers – édu­ca­tion d’enfants jusqu’à l’âge de 8 ans, garde des parents âgés, tra­vailleurs sou­mis à des condi­tions de tra­vail pénibles comme le tra­vail en équipe – seront indem­ni­sés en par­tie et pour­ront choi­sir entre aug­men­ta­tion de salaire ou huit jours de congés supplémentaires.
  • Les employeurs peuvent en contre­par­tie, deman­der aux sala­riés de tra­vailler au-delà des 35 heures conventionelles.
  • Une aug­men­ta­tion de salaire de 4,3% inter­vien­dra le 1er avril prochain.

D’intéressantes aug­men­ta­tions salariales

En plus des 4,3% d’augmentation, une prime de 100 euros sera ver­sée aux sala­riés pour une com­pen­sa­tion des mois de jan­vier à mars, les 4,3% ne s’appliquant qu’à par­tir du 1er avril.

En 2019, une nou­velle com­po­sante va inté­grer le salaire : le « com­plé­ment sala­rial conven­tion­nel. Il repré­sen­te­ra 27,5% du salaire men­suel et sera ver­sé chaque mois de juillet. Cer­tains sala­riés pour­ront tou­te­fois faire un choix : au-lieu du com­plé­ment sala­rial, ils pour­ront béné­fi­cier de huit jours de vacance supplémentaires.

Ega­le­ment au mois de juillet, chaque sala­rié dans le Bade-Würt­tem­berg tou­che­ra une prime fixe de 400 euros annuels. Dans d’autres régions, cette somme pour­rait être infé­rieure car les salaires y sont éga­le­ment plus bas. Mais si l’entreprise est en dif­fi­cul­té, elle peut soit réduire la somme, soit repor­ter son ver­se­ment, soit l’annuler tout sim­ple­ment. Ce sera déci­dé au niveau des entreprises.

Selon le patro­nat, tous ces dis­po­si­tifs cor­res­pondent à 7,7% d’augmentation d’ici mars 2020.

Temps de tra­vail : contre le temps par­tiel imposé

Tous les sala­riés à temps com­plet ont le droit de réduire pas­sa­gè­re­ment leur temps de tra­vail de 35 h à 28 h par semaine pour une durée entre 6 mois et deux ans. De fac­to, ce temps de tra­vail réduit peut durer plus de deux ans car il est reconductible.

Mais ce dis­po­si­tif peut être refu­sé par l’employeur si plus de 10% des sala­riés d’une entre­prise veulent réduire leur temps de tra­vail ou bien si 18% sont déjà à temps par­tie soit selon les dis­po­si­tifs de l’accord ou bien sous la forme clas­sique. D’autres refus peuvent inter­ve­nir, par exemple si le sala­rié deman­deur détient une qua­li­fi­ca­tion clé pour le fonc­tion­ne­ment de l’entreprise.

En contre­par­tie, les employeurs peuvent aug­men­ter le temps de tra­vail pour les autres sala­riés de 35 h à 40 h hebdomadaires.

A ce sujet, il faut rap­pe­ler qu’historiquement, IG Metall a été le pre­mier en Europe à bri­ser ce qu’il nomme «le dogme des 40 heures». Dès 1982, sous le slo­gan «Plus de temps pour vivre, aimer et rire», il lance les pre­mières grèves pour les 35 heures. La semaine de 35 heures sera fina­le­ment mise en place à l’ouest de l’Allemagne à par­tir de 1995, cinq ans avant la loi française.

L’accord pilote entre le syn­di­cat de branche IG Metall et le patro­nat ouvre la voie au concept, inédit, de flexi­bi­li­té du temps de tra­vail choi­si par les sala­riés. Il ne revient certes pas à réduire la durée légale du temps de tra­vail à 28 heures mais envoie un sym­bole fort dans le cadre de ce débat.

La pos­si­bi­li­té de temps par­tiel n’est en soi pas nou­velle, elle est déjà depuis long­temps ins­crite dans la loi. Mais elle peut être refu­sée par l’employeur au nom du bon fonc­tion­ne­ment de l’entreprise.

L’Allemagne connaît, comme tous les pays, une aug­men­ta­tion phé­no­mé­nale de ce qu’on appelle le « tra­vail aty­pique ». Cela va du temps par­tie impo­sé jusqu’à la créa­tion de « tra­vailleurs indé­pen­dants », condi­tions de tra­vail lar­ge­ment déve­lop­pé dans la nou­velle éco­no­mie du numé­rique. Sous cou­vert de « liber­té pour le tra­vailleur », les employeurs rompent le lien de subor­di­na­tion entre le sala­rié et l’entreprise, ren­dant ain­si la situa­tion sociale de plus en plus précaire.

Il faut rap­pe­ler qu’IG Metall déve­loppe cette exi­gence de rééqui­li­brage des pou­voirs au sein de l’entreprise depuis de nom­breuses années : ain­si, sur la ques­tion des cour­riers élec­tro­niques adres­sés aux sala­riés après leur départ du bureau, elle obte­nu une pre­mière inter­dic­tion chez Volks­wa­gen en 2011 déjà.

IG Metall, par cet accord, réus­sit à bri­ser le sacro-saint pou­voir abso­lu des employeurs qui conduit à une absence de démo­cra­tie dans les entre­prises : en per­met­tant aux sala­riés de choi­sir leur durée du tra­vail, une petite part de liber­té sup­plé­men­taire se fait jour sur le lieu de tra­vail. Ce qui fait hur­ler M. Gat­taz, du MEDEF : « Ce modèle n’est pas trans­po­sable en France ». La ségré­ga­tion de classe n’est pas prête à dis­pa­raître pour le patro­nat français !

Un accord transposable ?

Bien évi­dem­ment, les condi­tions de négo­cia­tions sociales sont pro­fon­dé­ment dif­fé­rentes d’un pays euro­péen à l’autre.

L’Allemagne est la pre­mière éco­no­mie euro­péenne dont toutes les com­po­santes s’améliorent : la crois­sance, les expor­ta­tions, l’inflation. Le taux de chô­mage est des­cen­du à 5,4% en jan­vier et de nom­breux sec­teurs sont confron­tés à une pénu­rie de main d’œuvre. Cette confi­gu­ra­tion posi­tive per­met à IG Metall d’exiger une meilleure répar­ti­tion des richesses et, contrai­re­ment à la France, les fruits de la crois­sance com­mencent à être mieux par­ta­gés en Alle­magne. Il était grand temps, car les mesures Hartz IV du chan­ce­lier SPD Schroe­der ont créé une masse de tra­vailleurs pauvres qui sont les vic­times d’une crois­sance éco­no­mique uni­que­ment favo­rable aux entre­prises jusqu’à présent.

Autre atout indé­niable que d’autres syn­di­cats euro­péens n’ont pas : avec près de 2,3 mil­lions d’adhérents, IG Metall, qui défend les sala­riés toutes caté­go­ries confon­dues dans l’industrie, la sidé­rur­gie, l’automobile, l’électronique ou encore le tex­tile, est le plus gros syn­di­cat d’Europe. Il est aus­si répu­té pour être sur une base plu­tôt offen­sive, com­bat­tive et n’hésite pas à faire appel aux actions de ses membres pour contraindre le patro­nat à des conces­sions. Dis­po­sant d’importants moyens finan­ciers, sa caisse de grève lui per­met d’indemniser ses adhé­rents gré­vistes et donc de mener des actions qui peuvent durer dans le temps.

Inté­res­sant éga­le­ment à l’échelle fran­çaise : hor­mis la CGT, tous les autres syn­di­cats ont déci­dé d’abandonner la reven­di­ca­tion de la réduc­tion du temps de tra­vail. Or, pour la CFDT sur­tout, le DGB repré­sente un modèle et rêve d’instaurer en France un modèle social ins­pi­ré de l’Allemagne. Que pense-t-elle d’une reven­di­ca­tion iden­tique à celle de l’IG Metall ? Dif­fi­cile à savoir, car aucun com­men­taire n’apparaît ni sur le site de la Confé­dé­ra­tion, ni sur celui de la Fédé­ra­tion des Métaux CFDT.

Il semble bien que la plu­part des obser­va­teurs syn­di­caux, même la Confé­dé­ra­tion euro­péenne du Syn­di­cat consi­dèrent que seule l’Allemagne peut «se per­mettre» cet accord. Etrange réac­tion :  car en France, les 40 plus grands groupes côtés à la bourse de Paris ont réa­li­sé plus de 50 mil­liards d’euros de béné­fices durant le pre­mier semestre 2017. C’est une pro­gres­sion de 23,6% par rap­port à l’année pré­cé­dente. Et toute l’économie béné­fi­cie actuel­le­ment de la croissance.

Sur­tout que la reven­di­ca­tion de l’IG Metall relance la ques­tion de la réduc­tion du temps de tra­vail pour répondre aux extra­or­di­naires gains de pro­duc­ti­vi­té que sus­citent les nou­velles tech­no­lo­gies du numé­rique et de la robotisation.

Oui, l’accord alle­mand et la reven­di­ca­tion de l’IG Metall répond bien aux pro­blèmes que ren­contrent tous les modèles sociaux bâtis sous l’ère de l’industrie tra­di­tion­nelle, ce sont donc des don­nées à por­tée uni­ver­selle. Puisse le syn­di­ca­lisme s’en ins­pi­rer partout.

Michel Mul­ler