15h15 Deux véhi­cules de police bana­li­sés viennent de pas­ser rapi­de­ment ave­nue Ken­ne­dy, en direc­tion de la Porte Jeune – « Quo­ti­dien L’Al­sace du lun­di 10 décembre 2018 » 

Parce que l’histoire se joue par­fois sur la recen­sion de quelques anec­dotes signi­fi­ca­tives, il nous est essen­tiel qu’un jour­nal d’investigation alter­na­tive, tel Alterpresse68, se réfère désor­mais à la doxa jour­na­lis­tique de son excellent et illustre confrère mul­hou­sien « L’Alsace ». En effet, ce type de jour­na­lisme tré­pident, voire incons­cient, empor­té par le seul sou­ci de « por­ter la plume dans la plaie », à l’ins­tar d’un Albert Londres conspuant par ses mots l’hor­reur du bagne de Cayenne, convoyait l’une de ses récentes dépêches vers les som­mets de l’en­ten­de­ment et de la dénon­cia­tion citoyenne. Il s’a­gis­sait alors de rendre compte de la situa­tion des mani­fes­ta­tions lycéennes à Mul­house, le lun­di 10 décembre à 15h15 :

 « Deux véhi­cules de police bana­li­sés viennent de pas­ser très rapi­de­ment ave­nue Ken­ne­dy, en direc­tion de la Porte Jeune » !

Mieux que l’intrépidité for­ce­née de ces rédac­teurs au long cours, nous choi­sis­sons pour notre part de rendre compte des lignes de fuite, des impen­sés, ou encore des non-dits, que le phare infor­ma­tion­nel du sud-alsace renonce, par légi­time néces­si­té de pré­ser­ver la concorde locale, à vous révé­ler quotidiennement. 

Ain­si, nos 2 jour­na­listes embar­qués sur le théâtre des hos­ti­li­tés juvé­niles, que nous ne nom­me­rons cha­ri­ta­ble­ment pas, parce qu’ils agissent sous le régime de l’anonymat, et dont le cou­rage est au moins pro­por­tion­nel à l’absence totale de témé­ri­té, relatent dans un pal­pi­tant récit, trans­crit par séquences suc­ces­sives de 5 minutes, quelques-unes des fric­tions ecto­plas­miques consta­tées un moment entre les jeunes mani­fes­tants lycéens, et leurs moindres amis poli­ciers, sur le front d’un non évè­ne­ment réel­le­ment adve­nu en ce ven­dre­di 7 décembre 2018 à Mulhouse. 

Notre rédac­tion n’é­tait pas pré­pa­rée à devoir révé­ler un jour ce que nous détaillons plus bas. Mais, tran­sis de fièvre sociale consé­cu­tive à la publi­ca­tion de la dépêche de nos confrères, signa­lant le folle équi­pée de ces deux véhi­cules bana­li­sés rou­lant éhon­té­ment sur la fière Ave­nue Ken­ne­dy, afin de se diri­ger vers le pan­dé­mo­nium de tous les lucres, tapi en pleine lumière, qu’est le centre Porte Jeune, nous devions de res­ti­tuer au public les infor­ma­tions de pre­mier choix en notre pos­ses­sion, en dépit du dan­ger qui mena­ce­ra assu­ré­ment nos repor­ters exaltés. 

Les voi­ci donc, repro­duites in-exten­so:

14H00 Le café du centre com­mer­cial porte jeune duquel nous sor­tons pro­digue un savant mélange de jus de chaus­sette aux accents de brouet fai­san­dé à la chi­co­rée. Une honte !

14H05 L’air est vif, et dégage des fla­veurs poi­vrées. L’atmosphère pétille d’ivresse sociale à peine enta­mée. Il y règne une ner­vo­si­té suf­fi­sam­ment pesante pour auto­ri­ser une sus­ten­ta­tion pro­chaine de pavés.

14H10 Un cor­don de gardes mobiles se place entre les voies du tram et l’entrée de la rue du Sau­vage. Une matraque passe. 

14H15 Des poli­ciers en tenue civile et cagou­lés de noir s’extraient de véhi­cules bana­li­sés, armés de pis­to­lets lan­ceurs de balles. Était-il vrai­ment oppor­tun, pour ces fonc­tion­naires, de dis­pu­ter sur les lieux une par­tie de pétanque ?

14H20 Un poli­cier en civil cas­qué, et aux mœurs imbé­ciles, dont la res­sem­blance avec l’ex-factotum du Pré­sident de la Répu­blique, Alexandre Bena­la, est assez stu­pé­fiante, intime à quelques parents lon­geant le par­vis du centre com­mer­cial de déguer­pir. « Vous n’êtes pas bien de venir ici avec vos enfants ! », éructe-t-il aux géni­teurs impas­sibles. De l’autre côté de la rue, des restes d’enfants rai­son­na­ble­ment qua­li­fiés pour subir les gaz lacry­mo­gènes, narguent les plan­tons cui­ras­sés.

14H20 Une cohorte pubes­cente d’une qua­rante d’individus décide de pas­ser à l’action, en se pré­ci­pi­tant le long des ruelles adja­centes à la rue du Sau­vage. Une poi­gnée de gardes mobiles les suit sans convic­tion, à la manière de parents rési­gnés et éga­rés. Nous aus­si.

14H25 Devant la bijou­te­rie de la rue du Sau­vage, des punks à chiens font ton­ner leurs baffles avec « Ils veulent nous tuer » des Bérus. C’est vrai­ment la chien­lit !

14H30 Paroxysme de notre colère froide: le vin chaud du mar­ché de Noël est bien trop concen­tré en can­nelle !

14H31 Tumé­fiés par la rage de ne pou­voir éclu­ser 2 ou 3 verres, nous déci­dons d’en reve­nir à nos gen­til­hom­mières. A l’é­vi­dence, il n’est ici de place que pour de res­pec­tables repor­ters à houp­pette blonde, que nous ne sommes certes pas ! L’enfer miel­leux de ces mar­chands du Temple Saint-Étienne nous est deve­nu odieux. Nous ver­sons cepen­dant quelques larmes d’im­puis­sance avant de rega­gner nos pénates, alors même qu’autour de nous une folle jeu­nesse aux déhan­che­ments sou­dains, et aux feu­le­ments incom­mo­dants, incons­ciente du dan­ger sour­nois qui menace son gosier, réus­sit la prouesse d’avaler un chur­ros en une seule bou­chée, sans lar­moyer un brin devant les pro­jec­tions de fri­ture chaude, qui font luire son visage insolent !