La presse s’en est émue : Michel Lucas, la soi-disant « emblématique » (« Les Echos ») patron du CIC-Crédit Mutuel abandonne ses fonctions… à 75 ans. Bel âge pour prendre sa retraite. Au bout d’une quarantaine d’années au sein du Crédit Mutuel il a réussi à atteindre le poste le plus élevé… et a fait d’un organisme bancaire se référant à Raiffeisen, le mutualiste, une banque comme une autre qui affiche encore le terme de « Mutuel » en ayant abandonné toutes les valeurs de la mutualité. Il a aussi à son actif la suppression de milliers d’emplois… mais le Crédit Mutuel vient d’être élu banque de l’année par le Financial Times. Une reconnaissance par les pairs…
Mais à regarder de plus près, ce départ ressemble à un faux-départ. En effet, s’il quitte les fonctions à la Banque Fédérative du Crédit Mutuel (en fait la banque centrale de toutes les caisses), il conserve pourtant la présidence de la Confédération nationale du Crédit Mutuel et celle de la Fédération du Crédit Mutuel Centre Est Europe, basée à Strasbourg.
Ces postes n’ont rien d’honorifiques. La Confédération est l’organe central du réseau au sens du code monétaire et financier. En clair, l’organisme « politique »qui donne les orientations. Des fois que certains de ses membres voudraient revenir aux valeurs mutualistes, le chantre du libéralisme bancaire veillera. Et la Fédération du Crédit Mutuel Centre-Est Europe est tout simplement la plus puissante de la confédération qui en compte 11. En clair, M. Lucas continuera de diriger les affaires et il aura à sa disposition l’organisation la plus forte pour « convaincre » tous les autres des bienfaits de ses décisions.
Reste encore ouverte la question de la présidence de la filiale technologique du CIC-Crédit Mutuel, Euro-Information. Celle-ci est la garante de la cohésion informatique non seulement du géant bancaire mais de toutes les filiales… dont celles de la presse. A ce titre, Euro-Information maintient et exploite un système d’information qui est commun à toutes les entreprises du groupe quelle que soit leur activité. Ce sont près de 2000 salariés, répartis dans plusieurs entités, qui génèrent en 2011, près de 800 millions d’euros de chiffre d’affaires. Il s’agit là du vrai centre névralgique du groupe qui permet de contrôler chaque entité sous toutes les facettes : production, administration, finances… Rien n’échappe à Euro-Information. Le Big Brother du CIC-Crédit Mutuel.
Mais malgré le temps libre gagné, M. Lucas ne restera pas oisif. Il garde précieusement la main sur les médias appartenant au groupe et qui font du CIC-Crédit Mutuel le premier groupe de presse quotidienne française. Là il n’y a pas de limite d’âge et il reste du pain sur la planche pour atteindre les objectifs que le président s’est fixé. Bloqué par une décision du Conseil de la concurrence qui lui interdit de fusionner des journaux… avant 2016, la constitution du journal unique est en marche. Mutualisation des articles, regroupement de filiales, liquidation d’entreprises, se font régulièrement en toute impunité. Et si les salariés avec leurs syndicats rechignent ou se rebellent (ce qui peut tout de même se comprendre !), M. Lucas sort l’artillerie lourde pour imposer son monde idéal. Un monde dans lequel tout le monde accepterait les diktats des dogmes financiers que le CIC-Crédit Mutuel met en application pour le bien-être du peuple. Mais celui-ci n’a pas encore bien compris tout cela. Eh bien, le journal unique du groupe continuera de leur expliquer que dans un monde global, la pensée aussi, doit être unique et globale.