Jocelyn Peyret croqué par Veesse
Jocelyn Peyret, Colmarien d’adoption, est notamment l’auteur d’une rétrospective sur André Barnoin, notre ami dessinateur décédé en mars dernier, intitulée « Dédé, 40 ans d’humeurs graphiques » et d’un roman inspiré de la lutte contre le GCO de Strasbourg, « Moins vite ! », que nous éditons tous deux et vous proposons dans notre librairie solidaire. Il nous explique ci-dessous comment et à partir de quel matériau il travaille à la rédaction de ses ouvrages, marqués du sceau de l’engagement et de la description d’un réel social sans ambages ni politiquement correct…
1° Tu as choisi de consacrer un ouvrage à un dessinateur de presse engagé (Dédé.…) et tu as rédigé un roman inspiré par le combat des opposants au GCO de Strasbourg (Moins vite !). Les personnalités engagées en matière sociale et écologique, ou atypiques en général, sont-elles des sujets plus stimulants que d’autres pour ton imaginaire et ton écriture ?
Ce doit être un peu le cas. Mais je pense qu’il s’agit plutôt d’une forme de témoignage personnel. Un témoignage romancé afin de laisser libre court à l’imaginaire et de pouvoir prendre une certaine distance avec la réalité.
Il n’en demeure pas moins, qu’œuvrant dans le milieu écolo-libertaire depuis une trentaine d’années, je suis nourri des alternatives et d’un certain mode de pensées, de réflexions et d’actions.
Mon parcours a été ponctué de bénévolat et de salariat, de militance(s) et d’apprentissage(s) intellectuels, mais pas trop non plus, je suis plutôt quelqu’un qui suis dans l’action, le mouvement.
Le livre consacré à André Barnoin est un hommage qui m’a semblé important de mener de par sa personnalité, son implication et son chemin militant. Qui plus est j’étais peut-être la personne la plus informée pour cela, après lui bien entendu. Menant depuis quelques années un travail de recherche sur l’histoire de la presse alternative dans le Grand Est, j’avais à plusieurs reprises croisé le chemin de Dédé à travers les journaux et magazines auxquels il avait participé. J’avais donc quasiment tout le matériel à la maison dans mes archives.
Et ce fut un réel plaisir d’en extraire la substance nécessaire à ce travail, une plongée dans l’univers particulier d’un humaniste au grand cœur, d’un révolté du quotidien.
Pour le roman Moins Vite !, l’approche est différente. Il s’agissait de témoigner, à ma manière, d’une dynamique militante. Je me suis inspiré d’une Zad ayant existée, celle de Kolbsheim contre le projet GCO. Elle est le fil conducteur du roman, l’attache géographique de l’action. Elle en est aussi le cœur palpitant de maints soubresauts humains et militants.
Ce fut pour moi l’occasion de rassembler plusieurs approches militantes, du féminisme au véganisme, sans oublier un autre aspect qui m’est chère, une ambiance musicale qui par de multiples références constitue une bande son originale.
Mais bien souvent, en ce qui me concerne, quand je commence l’écriture d’une histoire, je ne sais pas où cela va me mener. Au bout d’un certain nombre de pages, je deviens le transcripteur des personnages, comme si j’étais le témoin extérieur qui prenait des notes avant de rédiger et de mettre en ordre ces témoignages.
2° Ton roman s’inscrit dans une certaine mesure dans le prolongement de l’un de tes précédents, intitulé « La tribu des derniers romantiques » dans lequel nous rencontrons le personnage de Kilo, que nous retrouvons dans Moins vite !. De nombreuses références à ce premier roman sont présentes dans ce second opus. Si Kilo est un personnage récurrent, de quoi serait-il l’archétype pour toi, et quelle part de toi-même y mets-tu ?
Je pense que comme de nombreux auteurs, chacun de mes personnages peut être une portion de ma personnalité. Une part assumée, une part cachée, une part rêvée et une part inconnue qui se révèle quelques fois dans la rédaction. Par surprise au détour d’une virgule ou d’une situation.
C’est peut être le roman dans son entièreté qui met à jour la complexité de l’auteur, mais ce peut être aussi pris comme un exutoire, une manière de libérer les formes obscures de ma psychopathologie. D’ailleurs au début de mes essais littéraires, il s’agissait pour moi de libérer des humeurs, des coups de gueule et des colères. Un peu à la manière de Dédé sauf que lui s’exprimait par le dessin, le trait vif et incisif, qui lui permettait certainement d’expulser un trop plein. L’écrit a été, et est encore, une forme de thérapie, une introversion par laquelle je peux exprimer ce que je n’arrive pas toujours à formuler verbalement.
Mais c’est aussi une forme de prise de distance, la romance permettant de mettre un pied de côté et de traiter d’une manière moins frontale une réalité féroce et violente, du moins à mes yeux.
Nous pouvons dire que je me soigne en écrivant des fictions plutôt qu’en me confiant à un spécialiste des traitements neuroleptiques !
Donc, en effet, Moins Vite ! comme mon précédent roman sont des témoignages personnels, des pièces éparses de ma personnalité. À chacun‑e d’imaginer quelles sont-elles !
3° Le livre sur Dédé est d’abord un hommage, mais également une entrée en matière sur l’histoire de la petite presse, du fanzine gonzo à la feuille de chou inspirée, des titres sans lendemain, au succès d’estime qui ont pu traverser les années. Pourquoi ce goût pour cet aspect particulier de l’histoire de la presse papier, dont tu prépares une recension dans un prochain ouvrage ?
Aucune idée ! Je pense que cela est certainement dû à mon parcours militant, à Lyon où j’ai habité une dizaine d’années et où j’ai rencontré le milieu militant. Je dis souvent que j’ai fait mes classes militantes dans cette ville. Et puis, pour ma génération, j’ai 52 ans, l’habitude de s’informer via les journaux, magazines et livres avant l’avènement d’Internet.
Peut-être aussi un aspect matérialiste qui fait que j’ai une tendance à préférer un journal papier à un site web. J’ai également plus d’aisance à lire cette forme de presse que devant un écran.
J’ai également au cours de mes engagements associatifs participé au lancement du journal La Décroissance ou de Car Busters, et je continue à rédiger quelques chroniques pour le mensuel Silence.
Sinon, cet intérêt pour la presse alternative dans le Grand Est est consécutif de mon précédent travail[1] sur l’émergence des mouvements écologiques et citoyens dans les années 1970 en Alsace. Pour mener à bien ce projet je me suis intéressé à l’émergence d’une presse militante (Klapperstei 68 et Uss’m Follik particulièrement).
Mais je n’étais pas rentré dans les détails de leur histoire, ce n’était pas mon sujet. Puis par la suite j’ai été invité à animer une chronique hebdomadaire sur la presse alternative actuelle pour Radio MNE. Cette chronique qui était de 5 mn fin 2018 est devenue une émission à part entière de 30 minutes dans laquelle chaque semaine je donne la parole à un‑e représentant‑e de la presse indépendante[2].
J’ai donc plongé la tête la première dans la presse libre[3] et depuis maintenant plus de 2 ans je mène un travail de fourmi à rechercher des références de journaux et des contacts de personnes ayant participé à certains d’entre eux. Je me suis retrouvé submergé par l’ampleur de la tâche. Je ne pensais pas me retrouver face à une telle diversité.
Bien entendu certains titres ont connu une longévité de plusieurs années quand certains ont disparu au bout de quelques numéros quand ce n’était pas après un unique tirage.
Quoiqu’il en soit, je continue à fouiller dans les archives, qu’elles soient personnelles ou départementales/régionales, et je mène régulièrement des interviews lorsqu’il m’est possible de remonter les pistes et de retrouver des témoins, des rédacteurs, des lecteurs quand je n’ai rien d’autre à me mettre sous la dent !
Mais, en dehors du fait que j’ai parfois l’impression de me noyer sous les articles, c’est un travail passionnant qui me plonge dans une certaine histoire locale, celle vue par des citoyens, qui même s’ils avaient tous des préférences politiques, syndicales ou associatives, n’en restent pas moins souvent plus indépendants que la presse quotidienne régionale.
Et, dernier intérêt, je trouve cela passionnant de récolter des témoignages de l’histoire non officielle, des traces d’implication dans la vie d’une communauté (j’entends par là une commune, un département, une région, etc.). Les personnes qui ont créé ces journaux, les ont fait vivre, ont, à mon avis, fait preuve de beaucoup plus de démocratie que la plupart des politicien-nes.
Puis, malgré le fait que certains des journaux n’étaient imprimés qu’à quelques centaines d’exemplaires, ils témoignent souvent bien mieux que la presse officielle, d’une histoire, d’une pensée et d’une époque. Ils en sont souvent les acteurs quand l’autre presse n’en est qu’un pale témoin, déformant bien souvent la réalité pour ne pas déplaire aux puissances économiques et politiques.
Comme le rappelle le sous-titre du Canard Enchaîné : « La liberté d’expression ne s’use que quand on ne s’en sert pas » !
Et je reste admiratif de tous ceux et toutes celles qui œuvrent dans ce sens. N’arrivant pas à écrire de manière journalistique sur l’actualité, je me rattrape en rendant hommage, là aussi, à ces personnes, leur abnégation et courage.
4° Comment écris-tu, et quel est le style que tu cherches à imprimer dans tes récits ? Par ailleurs, quelles sont tes références livresques, culturelles, et plus largement « militantes » ?
Du point de vue de l’écriture, je suis des plus désordonné ! Je n’ai pas de plan, de sommaire, et ne sais jamais quel va être le résultat. Je ne connais bien souvent, ni le début, ni le développement, ni la fin.
J’ai l’impression de me retrouver face à un puzzle que je reconstitue pièce après pièce et qui prend forme petit à petit. Avec quelques fois des pièces qui ne sont pas à leur place voir même des pièces qui n’ont rien à faire là, qui proviennent d’un autre puzzle sur lequel, si j’ai le temps et la motivation, je travaillerai un autre jour.
C’est un peu comme si un personnage me parlait ou qu’une scène me demandait d’être retranscrite. J’écris comme ça vient puis je mets en forme, je retravaille l’ensemble que ce soit pour que ça colle aux personnalités du roman. Puis, petit à petit le puzzle prend forme et je commence à découvrir l’ensemble. Je réajuste, je déplace, avant de prendre du recul afin d’observer la cohérence de l’ensemble.
Je n’arrive pas à vraiment définir un style qui me serait propre. Je considère Moins vite ! comme un roman-documenté ou un documentaire-romancé.
J’aime la forme brute autant que la forme plus poétique. Ce qui explique que l’on retrouve autant des scènes crues que des scènes de procrastination naturaliste.
Le politiquement correct est quelquefois une notion qui m’emmerde, comme une volonté bourgeoise de vouloir gommer ce qui fait l’existence, ce qui contribue à la saveur de la vie comme à une littérature hospitalière qui voudrait que tout soit propre et beau comme un électroencéphalogramme plat. Jusqu’au jour où le voile se déchire et laisse apparaître ce que certains préféreraient ne pas voir.
La vie n’est pas un long fleuve tranquille, j’essaye de ne pas me voiler la face et de ne pas aseptiser la réalité.
Ce qui ne veut pas dire que j’évolue forcément dans un univers glauque, même si j’apprécie énormément les romans que l’on dit noir ou encore la production cinématographique belge pour son côté dérangeant et perturbant dans sa démonstration de l’existence humaine.
C’est cette approche qui fait que j’ai un penchant musical pour tout ce qui est décalé, le free jazz, le punk rock ou encore le rap. Mais cette approche est également consécutive de ma recherche de paroles exprimant un témoignage, une colère, une militance particulière.
Quant à mes références militantes, elles sont diverses et inhérentes de mon parcours personnel. J’ai travaillé pour une association lyonnaise qui se finançait par la vente en magasin de livres, journaux, produits ménagers, papier recyclé, etc et qui accueillait de multiples autres associations comme celles luttant pour le Tibet, contre la voiture en ville, le racisme, le sexisme, pour la réduction des déchets à la source, contre l’énergie et l’arme nucléaire, pour les coopératives biologiques (loin du réseau Biocoop quant au fonctionnement et philosophie), etc.
J’ai également participé à des occupations de terrains, contre le projet d’A51 entre Grenoble et Sisteron dans les années 1990 ou encore à Grenoble contre la construction d’un stade de foot qui malheureusement se construisit au détriment d’un parc urbain, avant de soutenir par des présences éphémère les ZAD de Notre-Dame-des-Landes et celle contre le GCO. Dans ces intervalles de temps j’ai participé à plusieurs actions de désobéissance civile lors d’actions de blocage ou, plus légères, de clowns activistes.
Aujourd’hui que je suis papa de deux enfants, Émile 5 ans et Adèle 3 ans, je suis moins actif physiquement sur le terrain pour rester au plus près d’eux.
Ce qui explique, en partie, que mon besoin d’exprimer mes colères et militances se traduise, ces derniers temps, par des projets littéraires, roman ou documentaire confondus.
- Dédé, 40 ans d’humeurs graphiques, 15 euros, en vente ici
- Moins vite !, 17 euros, en vente ici
[1]L’épopée alsacienne du Dreyeckland – 1970–1981, une décennie de luttes écologiques, citoyennes et transfrontalières – Ed. Do Bentzinger 2017 – Voir http://librairie.alterpresse68.info
[2]https://www.mixcloud.com/radio-mne/playlists/les-autres-voix-de-la-plan%C3%A8te/
[3]Indépendante, libre, alternative, etc. les qualificatifs sont nombreux pour parler de cette presse qui peut être autant locale que nationale.